Accueil    MonKiosk.com    Sports    Business    News    Femmes    Pratique    Le Togo    Publicité
NEWS
Comment

Accueil
News
Économie
Article



 Titrologie



Autre presse N° 001 du

Voir la Titrologie

  Sondage

Scènes
© aLome.com par Edem Gadegbeku & Parfait

Scènes
© aLome.com par Edem Gadegbeku & Parfait



 Nous suivre

Nos réseaux sociaux



 Autres articles


Comment

Économie

Grand reportage: Quand la pêche illicite ronge Katanga
Publié le mardi 3 octobre 2017  |  Togo Top News


© aLome.com par Edem Gadegbeku & Parfait
Scènes quotidiennes au Port de pêche de Lomé, un jour ouvrable
Lomé, le 04 février 2017. Scènes quotidiennes au Port de pêche de Lomé, un jour ouvrable. Un port qui a besoin de moderniser ses outils de production pour être performant.


 Vos outils




 Vidéos

 Dans le dossier


L’ampleur de la pêche illégale, non déclarée et non réglementée, dite pêche INN au large des côtes ouest-africaines n’épargne pas le Togo. Sous le regard impuissant des pêcheurs locaux, des navires étrangers pêchent à la limite des eaux territoriales togolaises. Aussi certains pêcheurs artisanaux utilisent-ils des matériels non conformes dans l’exercice de leur travail, malgré les interdictions. Les communautés vivant le long de la côte, pour qui la pêche est une activité séculaire, sont particulièrement affectées par ces phénomènes de la pêche illicite. Comment le fléau impacte-t-il exactement le vécu quotidien de ces populations côtières ? Ce grand reportage réalisé par Togotopnews à Katanga, un village de pêcheurs situé dans la zone portuaire, permet de mieux appréhender la situation.

Vers le côté-Est du Port de pêche de Lomé communément appelé « Habour », nous longeons la plage. Nous sommes en Septembre 2017, peu après le début de la grande saison de pêche. Le vent souffle par ravale et la mer fait grand bruit. On aperçoit à perte de vue des habitations de fortune, accessibles par des ruelles de terre bosselé. Il s’agit ici d’un village de pécheurs appelé Katanga. La poussière environnante associée à une insalubrité criarde choquent. Pourtant, dans les lieux vivent de milliers de personnes, des communautés de diverses régions du Togo et celles des pays voisins à l’instar du Ghana. Ici, toutes les activités économiques tournent autour de la pêche. C’est un véritable petit monde où grouillent pêcheurs, mareyeuses, transformatrices et revendeuses de poissons … Personne n’a le temps pour s’amuser. Hommes, femmes et enfants sont tous au travail, sans presque repos. De jour comme de nuit, sous la pluie comme sous le soleil, les hommes au péril de leur vie prennent d’assaut la mer, dans le seul espoir de ramener des poissons. Et aux femmes de prendre le relais. Elles trient, lavent, sèchent ou fument les poissons. Les enfants quant à eux, commencent dès leur plus jeune âge à se familiariser avec le milieu aquatique.

Ironie du sort, ces populations qui s’adonnent à cœur joie au travail, voient leurs activités ralentir de manière drastique, depuis que les pratiques de la pêche illicite se sont accentuées au large des Côtes Ouest Africaine. Loin d’être un phénomène nouveau, la pêche illicite non déclarée et non réglementée (INN) a en réalité, gagné en intensité ces dernières années. Motivée par plusieurs raisons dont le gain économique, la pêche INN selon les spécialistes, inclut des activités diverses telles que la pêche non autorisée dans les zones économiques exclusives (ZEE) et dans les organisations régionales de gestion des pêches (ORGP), la prise d’espèces jeunes et protégées, l’utilisation d’engins prohibés, la non déclaration des prises, etc.

Si cette pratique constitue une véritable menace environnementale en épuisant les stocks halieutiques mondiaux et menaçant les écosystèmes marins, elle a de graves impacts sur les populations côtières. Au Togo, elle affecte sérieusement ces communautés qui fournissent sur le marché togolais, une bonne partie de poissons notamment les anchois, sardines, thons, crevettes, crabes, coquillages etc…



«Nous travaillons mais nous vivons dans une grande précarité »

En labourant les fonds de la mer avec leurs engins de pêche, les chalutiers détruisent l’habitat des poissons et les rendent peu à peu stériles. Les pêcheurs artisanaux voient ainsi leurs prises diminuer de jour en jour. Ce qui entraine une situation de pauvreté non seulement de ces pêcheurs mais aussi de tous les acteurs liés à la pêche artisanale. La colère des communautés côtières qui assistent impuissamment les bateaux étrangers piller leurs poissons, en dit long.

« Des bateaux sophistiqués viennent pêcher clandestinement dans nos eaux. Ces chalutiers cassent nos roches et les gorgones. Ce qui fait que, nous n’avons plus de zones de reproductions particulières qui doivent nous donner suffisamment de poissons. Ces navires bousculent la translation, détruisent les zones de reproduction, cassent tout puis les poissons s’éloignent. Par conséquent, nous travaillons mais nous vivons dans une grande précarité», nous confie M. KIssimbo HUNLEDE, qui pratique la pêche depuis l’âge de 6 ans.

L’homme âgé aujourd’hui de 86 ans, surnommé « doyen », déplore également l’attitude de ces collègues qui continuent d’utiliser des matériels prohibés pour pêcher : « Certains des nôtres aussi utilisent des lamparos fabriqués par voie artisanale, des filets non appropriés et des produits chimiques qui paralysent les poissons. Cet état de chose entraîne également une pénurie de poissons. Il faut que tout cela cesse », lance-t-il.

Le jeune Mawouli, né à katanga est fils d’un pécheur et d’une fumeuse de poissons. Il fait la scène de plage depuis le bas âge. Rencontré, le jeune pécheur nous explique à son tour comment la pêche illicite a rendu plus vulnérable son « village natal ». «Du haut de la mer, les navires étrangers captent tous nos poissons et nous n’avons plus rien. Quand j’ai commencé à faire la pêche, normalement à pareille période de grande saison, on capte beaucoup de poissons. Maintenant, on pratique la même pêche à la même période et on n’a rien. Une fois que nous n’avons pas suffisamment de ressources, il devient difficile pour nous de renouveler les matériels d’exploitations. Du coup, nous avons des matériels défectueux et désuets. Vous n’êtes pas sans savoir aussi que nous avons des familles à nourrir. Mais comme nous n’avons plus de poissons, nous n’arrivons pas à subvenir à nos besoins. », déplore-t-il.

Chez les fumeuses de poissons, le son de cloche est le même. Mme AHOLLOU Doris, Présidente d’une organisation de fumeuses de poissons dénommée "Scoops Amen", basée à Katanga martèle: « quand il y a beaucoup de poissons, nous aussi nous les achetons moins cher et quand on les revend, on fait assez de bénéfices. Mais aujourd’hui où il y a pénurie, le prix du poisson revient très cher. Le panier que nous achetions dans le temps à 3000 F CFA coûte aujourd’hui jusqu’à 33000 F CFA par moment. Et donc, nous n’avons pas assez de bénéfices parfois même nous perdons. Il est donc difficile pour nous, de trouver de quoi vivre et des moyens pour soigner nos enfants en cas de maladies ».

Allant dans le même sens, Akouwavi Koumassi, aussi fumeuse de poissons rajoute : « Katanga est une zone oubliée. Nous manquons des infrastructures socio de base. Mais au moins de par le passé où on trouvait des poissons, on ne se plaignait pas trop. Au moins nos activités se déroulaient très bien. Et chacun mangeait à sa faim. Malheureusement, c’est tout le contraire qu’on vit présentement.»

Selon ces populations côtières, la scolarisation des enfants en prend également un sérieux coup. « Comme nos prises sont diminuées et nous n’avons plus assez de revenus, nos enfants sont déscolarisés. Or, un enfant qui n’est pas scolarisé et bien éduqué devient un danger social. Il y a tellement d’enfants déscolarisés ici qu’on n’a pas besoin des loupes pour en trouver. Il y en a qui ont commencé l’école mais abandonné, fautes de moyens. Beaucoup d’enfants dans le milieu n’ont jamais mis pieds à l’école.», fustige le jeune pêcheur Mawouli.

Ces dires sont confirmés par les témoignages de deux adolescents qui ont respectivement quitté les bancs à l’âge de 15 et 12 ans. « J’avais 15 ans et j’étais en classe de 5ème quand mon papa m’a dit que je ne pourrai plus continuer mes cours. La raison évoquée, c’est le manque de moyens. Et depuis trois ans, j’aide mon père à faire la pêche», a raconté Yawovi. Et à son ami Ayité de renchérir : « Vous voyez tous ces enfants qui sont là-bas, ils ne vont pas à l’école. Nos parents disent qu’il n’y a pas d’argent ».

Cet abandon scolaire des enfants n’est pas sans conséquences. Le vol, le banditisme, la délinquance et l’usage de la drogue sont entre autres fréquents dans le milieu.

Aussi cette grande précarité associée à l’insalubrité criarde entraine-t-elle la récurrence des épidémies à Katanga. On se souvient qu’en 2013, ce quartier a été déclaré le plus important foyer de cholera dans la Commune-Lomé et a fait l’objet d’une opération de désinfection. A l’époque, les pirogues des pécheurs avec leur équipage séjournant en mer, étaient désinfectées dès qu’elles accostaient.

Par ailleurs, certaines sources révèlent que le phénomène de la pêche illicite fait que, les jeunes se désintéressent du secteur de la pêche. Ainsi beaucoup de jeunes ont quitté Katanga pour la capitale Lomé et d’autres villes du Togo à la quête d’une vie meilleure. D’autres entrevoient la migration illégale vers l’Europe comme l’ultime solution à leur désarroi puis que l’existence même du secteur est menacée.

Devant une telle précarité, les populations côtières ne baissent pas les bras.


Des mesures sont prises à l’interne pour contrer le fléau

Réunis en une grande organisation dénommée Union des Coopératives de Pêche Maritime (UNICOOPEMA), les pécheurs, mareyeuses, revendeuses et transformatrices de poissons veulent venir à bout du fléau de la pêche illicite.

« L’un des objectifs de notre union est la lutte contre la pêche illicite. Autrefois, on croyait que c’est l’Etat qui permet à ces gros navires de venir pêcher dans nos eaux. Finalement, on a compris que ce n’est pas le cas. Et depuis lors, nous essayons de combattre le fléau. C’est d’ailleurs l’une des actions prioritaires de notre union», indique M. Adam Abdou Derman, Secrétaire général de l’Union des Groupements et Coopératives de Pêche pour le Développement, membre de l’UNICOOPEMA.

Ce dernier a également fait savoir qu’ il est mis en place une coordination des pêcheurs au niveau du Port de pêche de Lomé qui a pour rôle de faire une surveillance stricte des engins des pêcheurs . «Cette coordination contrôle les mailles, les lamparos, les filets, les engins, bref tous les matériels utilisés pour la pêche, en vue de s’assurer qu’ils sont conformes. En notre sein, nous faisons donc l’auto surveillance. La mesure réduit à petit coup les pratiques illicites au niveau de la pêche artisanale», a-t-il indiqué.

L’Union des Coopératives de Pêche Maritime (UNICOOPEMA) en train de devenir une grande fédération nationale dénommée Fédération Nationale des Unions Coopératives de Pêche du Togo (FENUCOOPETO), compte poursuivre la lutte contre la pêche illicite. Le Président provisoire de la Fédération, M. LEGBEZE Dossey interrogé sur la question, rassure que cette lutte sera toujours au cœur des grands défis de la fédération. Ce dernier qui appelle d’ors et déjà les pécheurs artisanaux à privilégier les matériels conformes, signe et persiste : « l’UNICOOPEMA ne ménagera aucun effort pour mettre définitivement fin à la pêche illicite au Togo».


La prise de conscience de l’Etat

Longtemps accusé par les pêcheurs artisanaux de négliger le secteur de la pêche, le gouvernement togolais a été également à plusieurs reprises indexé par l’Union européenne, les Etats-Unis et les organisations régionales de gestion des pêches sur notamment l’absence de dispositions concernant la recherche et la constatation d’activité de pêche INN et les sanctions à l’encontre des navires togolais, l’absence de mesures adéquates de contrôle sur les navires de pêche battant pavillon togolais, l’obsolescence des règles relatives à l’immatriculation des bateaux de pêche pratiquant la pêche INN et surtout le manque de coopération avec la commission européenne dans le processus d’identification d’opérateurs INN.

Cependant, depuis quelques temps, le secteur retient de plus en plus l’attention de l’Etat.

L’Assemblée nationale togolaise lors de sa deuxième séance plénière de la troisième session extraordinaire de l’année 2016, avait adopté à l’unanimité le projet de loi portant réglementation de la pêche et de l’aquaculture au Togo. Cette loi qui comporte huit (8) titres répartis en trente-trois (33) articles, a pour but de transcrire dans le corpus juridique togolais les nouvelles dimensions des activités de la pêche en lien avec l’évolution du droit maritime et la pêche INN ,de lutter contre la pêche illicite , d’ assurer une meilleure gestion des ressources halieutiques et de punir les auteurs des infractions liés aux activités de pêche.

Aussi, en Octobre 2016, le Togo abritait-il le sommet sur la sécurité et la sûreté maritimes et le développement en Afrique. Une rencontre sanctionnée par la signature d’une charte qui a pour objectifs entre autres de prévenir et réprimer la criminalité nationale et transnationale notamment le terrorisme, la piraterie, les vols à mains armées à l’encontre des navires, le trafic des drogues, le trafic des migrants, la traite des personnes et les trafics illicites connexes de tout genre en mer ainsi que la pêche INN.

La préfecture maritime dont l’une des missions est d’assurer le maintien de l’ordre public en mer et la coordination des actions de l’Etat en mer joue également un rôle très déterminent dans la lutte contre la pêche INN.

Selon le Lieutenant BANAWAI Tchilabalo, Chef Bureau Ordre Public à la Préfecture Maritime, de temps à temps, la préfecture maritime organise des patrouilles mixtes en mer. « Ces patrouilles permettent d’aller sur la mer, de constater s’il y a des infractions telle que la pêche INN. Au cas échéant, la préfecture maritime réagit conformément aux dispositions en la matière », nous a indiqué le Lieutenant BANAWAI, avant de préciser que «la surveillance des eaux togolaises est menée 24H/24, 7j/7 , 365j/365 par la marine nationale».

Outre ces différentes dispositions, on cite des exercices de renforcement de capacités comme celui du 11 Septembre 2017 dernier organisé par l’Etat en collaboration avec la marine française et qui avait pour objectif d’outiller les acteurs des différentes administrations impliquées dans l’action de l’Etat en mer à lutter contre la pêche illicite.

Parallèlement, la société civile joue sa partition. Selon M. Sylvain AKATI, Président de l’ONG Association des Jeunes pour le Développement Intégral (AJEDI) qui intervient dans le domaine de l’économie bleue, les ONG accompagnent beaucoup l’Etat dans cette lutte. « Nous faisons régulièrement des contrôles pour constater ce qui se fait par l’Etat au large des côtes », nous informe-t-il.

Ces différentes mesures prises, reconnaissent les pêcheurs « diminuent considérablement le phénomène ». Toutefois, elles sont jugées insuffisantes par ces pêcheurs qui font d’importantes suggestions au gouvernement.


De la nécessité de mettre en place un comité de co-gestion et des structures sanitaires au Port de pêche

Une des propositions essentielles faites par les pêcheurs au gouvernement est la mise en place d’un comité de co-gestion pour promouvoir la surveillance participative des côtes avec la collaboration des pêcheurs locaux. Ces pêcheurs peuvent ainsi participer aux opérations de surveillance en transmettant les informations aux autorités compétentes.

L’Etat est également interpellé à mettre en place des structures sanitaires au Port de pêche de Lomé pour contrôler les produits halieutiques et détecter ainsi les poissons prises à l’aide des produits chimiques, en vue de décourager la pratique. « Je crois qu’avec ce système tous ceux qui ont l’habitude de capturer des poissons par les produits chimiques vont cesser. C’est important parce qu’au-delà de tout, c’est un problème de santé public », recommande Mawouli, Pêcheur.

Certains pêcheurs souhaitent par ailleurs, qu’il y ait un bateau de pêche togolais, à noter que le port de pêche ne dispose pas de bateaux de pêche. Ces derniers soutiennent qu’au lieu de continuer par se faire tricher par des bateaux étrangers, il faudrait que le Togo dispose de son propre bateau de pêche, en vue d’augmenter ses prises.

In fine, le gouvernement est interpellé à prendre plus au sérieux le secteur de la pêche puis que la pêche artisanale contribue jusqu’à 4 pour cent du PIB au Togo.

En revanche, ce pari sera totalement gagné, si au niveau mondial, d’importantes mesures sont autant prises pour contrer le fléau. Selon les experts, il faut entre autres assurer la mise en œuvre et améliorer globalement les accords et mesures internationaux, notamment via la définition d’un véritable statut réglementaire de la pêche dans les zones situées au-delà des juridictions nationales. Il est aussi important d’améliorer la traçabilité des chaînes d’approvisionnement grâce à la collecte systématique des informations de la capture à l’achat, à la mise en œuvre d’indicateurs de suivi des origines et de politiques d’identification des produits à risques de pêche INN. La sensibilisation des consommateurs des pays du Nord constitue par ailleurs, un levier important dans cette lutte car leurs choix influencent les modes de production et d’approvisionnement. Anéantir la pêche illégale passe donc par des actions tout au long de la filière, du Sud au Nord.

Tous les pays doivent en être conscients. Il y va de l’atteinte à l’horizon 2030 de l’ODD 14 qui appelle à « conserver et exploiter de manière soutenable les océans, les mers et les ressources marines aux fins du développement durable ».




Hélène Doubidji
... suite de l'article sur Autre presse


 Commentaires