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Appel aux universitaires/Universitaire: L’esprit ou la fonction?

Publié le mardi 14 aout 2018  |  Le Rameau de Jesse
Colloque
© aLome.com par Edem Gadegbeku & Jacques Tchako
Colloque interdisciplinaire des Universités sociales du Togo et d`une équipe de chercheurs du Département de Philosophie de l`UL autour du thème: "Crise du pouvoir politique et développement en Afrique"
Lomé, du 02 au 03 mars 2018. Auditorium de l`Université de Lomé. Colloque interdisciplinaire des UST (Universités sociales du Togo) et d`une équipe de chercheurs du Département de Philosophie de l`UL autour du thème: "Crise du pouvoir politique et développement en Afrique". Cette rencontre a connu la participation d`une diversité d`acteurs politiques et universitaires locaux et étrangers. Ce colloque est à l’actif des UST avec l’appui de l’Union Européenne. Dans son discours d’ouverture, le coordonnateur des UST, Pr David Dosseh, a demandé aux acteurs politiques africains de privilégier l’intérêt général de leurs populations au détriment des intérêts égoïstes.
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Par Maryse QUASHIE


Il y a quelques mois, lors d’un colloque international1, un débat mémorable a eu lieu à Lomé, sur la différence entre l’universitaire et l’intellectuel ; ce débat, comme toute vraie controverse intellectuelle, a eu un impact énorme auprès du public présent , et même hors de l’enceinte de l’auditorium où il s’est déroulé ; il a eu des suites jusque dans la sous-région ouest africaine, et au Togo, il a fait des vagues dont on ressent les effets (pas toujours positifs) jusqu’à présent… En effet, certains ont cru comprendre que les promoteurs du colloque postulaient une sorte de dévalorisation de l’universitaire au profit de l’intellectuel, et qu’on ne leur reconnaissait pas la dignité de l’intellectuel.


De fait, dans ce débat tout a été question de niveau d’appréciation des réalités, et des concepts qui en sont issus. Le colloque de mars se situait au plan du rôle social de l’intellectuel, rôle qu’il ne suffit pas d’être universitaire, pour remplir correctement. Nous n’avions alors pas eu le temps de décortiquer le concept d’universitaire, et il me semble que justement les suites de ce colloque nous y convient.

Qu’est-ce qu’un universitaire ? Une rapide définition permet d’affirmer que c’est celui qui, issu de la formation universitaire, travaille à l’université, généralement comme enseignant. Cela fait de l’universitaire, une personne qui a une place spéciale parmi les travailleurs. En effet tout travailleur transforme et/ou produit : le travailleur agricole produit et transforme les produits naturels, tandis que le travailleur de l’industrie produit des biens technologiques, et le travailleur du domaine des services produit de l’organisation facilitant la vie des uns et des autres. Mais en principe c’est l’universitaire qui produit et transmet les savoirs dont tous les autres travailleurs ont besoin dans leur secteur respectif. Sa dignité provient de cela. J’ai bien dit sa dignité et non sa supériorité.

Cette précision se comprend en référence à l’opposition chrétienne, paulinienne en particulier,
devenue commune aujourd’hui, entre l’esprit et la lettre, entre saisir ce qui fait la substance d’un fonctionnement, et se contenter d’en utiliser des règles et prérogatives. Sur cette base, je suis convaincue qu’on peut définir un universitaire selon l’esprit et un universitaire selon la lettre.

On ne peut comprendre l’esprit universitaire sans remonter à la fondation de l’université et particulièrement à l’attachement constant à l’idée d’indépendance universitaire qui remonte aux origines médiévales de l’institution. Ainsi la fondation en 1215 de l’Université de Paris consacre la reconnaissance par le pape de l’émancipation de la corporation et des maîtres et étudiants parisiens (Universitas magistrorum et scolarium parisiensium) de l’autorité épiscopale. Attestée formellement par un sceau, l’autonomie de l’Université s’affirmera politiquement. Malgré l’amoindrissement de ces privilèges avec l’affirmation dès le 15èmesiècle d’un contrôle du pouvoir royal, des franchises universitaires subsistent encore aujourd’hui (responsabilité exclusive des autorités universitaires dans le maintien de l’ordre).

Le souci d’indépendance n’est donc pas seulement un souci corporatiste, ni même l’évocation théorique du respect des franchises universitaires alors que les pratiques, parce que certaines fonctions donnent des facilités pour cela, font régner l’ordre grâce à des instances extra universitaires.


Non, l’esprit universitaire consiste à protéger l’indépendance physique mais surtout intellectuelle de chaque enseignant. L’esprit universitaire est fondé sur une culture du respect de l’autre, contraire à la culture du soupçon qui consiste à édicter règles après règles, textes juridiques après textes juridiques, pour contrôler les procédures, puis contrôler les contrôleurs, etc. On est alors attaché aux fonctions universitaires, emprisonné dans une bureaucratie étouffante. Et on arrive à des résultats imprévisibles pour celui qui se contente de sa fonction : une kyrielle de règlements, amène à de multiples tentatives pour contourner les règlements, la tricherie s’installe. On émet alors des codes éthiques, de déontologie, etc. Or, aucun code imposé n’a jamais développé la moralité des personnes. C’est lorsque le code est adopté librement, qu’il devient règle intériorisée par chacun.

Posons-nous la question qui brûle les lèvres : qu’est devenu le CAMES au cours des dernières années, à tel point qu’on ait eu besoin d’édicter un code de déontologie, guère opérationnel jusque-là ? D’une instance de certification de la qualité des enseignants et des enseignements, le CAMES est devenu la machine à délivrer les labels ouvrant la porte aux privilèges attachés aux fonctions universitaires (au Togo, selon les pratiques en vigueur ces dernières années, les grades donnant un rang magistral sont vécus comme la possibilité d’avoir plus de pouvoir administratif, et non pas plus d’expertise scientifique, obligation constituant la vraie norme).

Alors la machine de la bureaucratie s’est mise en marche : chaque année on renforce les règles pour barrer la route à certains, et en même temps on contourne ces règles pour ses amis, le retour d’ascenseur étant assuré…

Finalement pourquoi se bat-on pour faire partie des fameux rangs A ?


Pour devenir un universitaire selon l’esprit ? C’est-à-dire pour faire partie de ceux qui produisent le savoir, et Dieu sait si l’Afrique en a besoin pour décoller enfin, ceux qui vivent l’ascèse du travail intellectuel et de la quête de la vérité scientifique dans les difficiles conditions de recherche de nos universités ? Pour devenir un universitaire selon l’esprit, se poser par la force de sa pensée et ainsi traverser l’histoire ?
Ou pour faire carrière, de fonction universitaire en fonction universitaire, s’imposant par la force des règles et privilèges administratifs, se maintenant coûte que coûte quitte à faire appel à des puissances extra-universitaires, politiques en l’occurrence ? Quitte aussi à attaquer par des arguments en dessous de la ceinture ceux qui tentent de protester contre la tricherie ?

Aujourd’hui, les universités, d’Afrique de l’ouest en particulier, ont beaucoup d’enseignants de rang A, mais quels sont les noms que l’histoire de la science retiendra ? On répondra, qu’il n’y a jamais eu autant de publications scientifiques, mais de quelle qualité devrait-on se demander ? Des publications naissent en désordre à cause des règles du CAMES exigeant en particulier, qu’on publie hors de son université : alors on propose des revues juste pour que tel ou tel puisse publier ses articles (là aussi les réseaux d’amitié fonctionnent) mais où est l’innovation dans tout cela, l’effort pour vulgariser des résultats scientifiques fiables ? Le désordre a tellement grandi qu’en matière de publication aussi on a voulu mettre des règles. Cela sert tout juste à empêcher la reconnaissance des revues qui ne bénéficient pas des bons appuis ; pour le reste, les revues avec comités scientifiques composés de dizaines d’enseignants de rang A n’ont guère fait la notoriété de la recherche universitaire africaine…

Revenons à l’indépendance de l’universitaire. C’est pour la protéger, qu’il faut lui assurer des revenus conséquents, pour qu’il n’ait pas à mendier auprès des hommes politiques, auprès des puissants de ce monde, pour qu’il ne vive pas une aliénation préjudiciable à la production d’un savoir non entaché de soupçon. Sinon se multiplie la race des universitaires qui, en vue d’arrondir leurs fins de mois, courent après les études plus ou moins commanditées, avec des résultats triturés dans des ateliers de restitution inacceptables scientifiquement, la race aussi des universitaires à la solde de divers groupes d’intérêt… Ainsi celui qui ne se préoccupe pas du bien-être matériel des enseignants, qui, au contraire utilise sa fonction pour toucher aux revenus des universitaires, ne mérite pas lui-même d’être compté au rang des universitaires, car il se bat alors pour des personnes et des groupes qui cherchent à mettre à mal l’indépendance de l’universitaire.


La mise en place d’un certain style de gouvernance, une certaine façon de vivre sa fonction, participe donc, ou non, à l’épanouissement de l’universitaire en esprit. Et il ne faut guère banaliser cette question. Prenons en exemple la mise en place du système LMD dans nos universités.




Le système LMD n’est pas simplement une structuration particulière de l’institution universitaire, c’est aussi le véhicule d’une certaine société, en l’occurrence, le capitalisme. C’est ainsi que le vocabulaire même du LMD rappelle le schéma libéral : capitalisation, crédits, etc.
Ainsi en est-il aussi de la recherche de l’efficacité et de l’efficience, et donc de la volonté de
rationalisation de l’action éducative dans tous ses aspects : travail de l’enseignant qui doit procéder à une stricte programmation de sa démarche, avec la nécessité de mettre à profit les développements des théories actuelles de l’apprentissage.

Du coup, cela met l’accent sur l’importance de l’évaluation de l’action et des correctifs à apporter rapidement pour garder un haut niveau d’efficacité et d’efficience. L’efficacité correspond aussi à la rentabilisation optimale des investissements : voilà pourquoi en LMD on note un grand développement des services aux apprenants, parmi lesquels les services d’information et de conseil.
Enfin, pour que tout cela fonctionne au mieux, on a besoin d’une gestion stricte à tous les niveaux de responsabilité : chacun de ces niveaux est contrôlé de façon à ce que le fonctionnement de l’ensemble de la machine ne soit pas grippé. Il s’ensuit une culture de l’évaluation et de la reddition de compte (évaluation des performances de tous les acteurs, en particulier des enseignants, mais aussi des principaux responsables administratifs), ce qui ne peut se faire sans une grande transparence managériale. C’est à ce prix que l’institution devient compétitive sur le marché de l’enseignement universitaire. Choisir le LMD, c’est donc aussi choisir cette transparence.

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