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Egypte-UA: priorités et enjeux de la diplomatie africaine du Caire

Publié le jeudi 7 mars 2019  |  RFI
Cérémonie
© Autre presse par PRESIDENCE DE LA COTE D`IVOIRE
Cérémonie solennelle d`ouverture du 32è Sommet ordinaire de la Conférence des Chefs d`Etat et de Gouvernement de l`Union Africaine (UA)
Addis-Abéba (Ethiopie), dimanche 10 février 2019. Cérémonie solennelle d`ouverture du 32è Sommet ordinaire de la Conférence des Chefs d`Etat et de Gouvernement de l`Union Africaine (UA).
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L’Egypte, qui a succédé au Rwanda à la tête de l’Union africaine, veut profiter de sa présidence tournante d’un an pour renforcer son rôle sur la scène africaine. Elle propose à ses voisins subsahariens un vaste programme de coopération, allant du militaire au géostratégique, en passant par l’économie et le commerce interrégional. Mais le président Sissi, qui est désormais le nouveau patron de l’UA, se montre plus réticent à poursuivre les réformes de l’organisation panafricaine engagées par son prédécesseur, le Rwandais Paul Kagame.



Les observateurs de la politique étrangère égyptienne sont unanimes. Le Caire prend très au sérieux son mandat de président tournant de l’Union africaine. Prenant la tête de l’organisation panafricaine réunissant les 55 pays du continent, lors du sommet qui s’est tenu du 10 au 11 février dernier à Addis-Abeba, le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi s’est dit déterminé à faire de cette présidence l’étape décisive de la réintégration de son pays dans le continent. Forte de ses 44 ambassades africaines, l’Egypte veut redevenir la porte du monde vers l’Afrique et la porte de l’Afrique vers le monde.

« L’accession de l’Egypte à ce poste de leadership aussi convoité que prestigieux est le résultat de l’activisme diplomatique tous azimuts dont le président Sissi fait preuve depuis son arrivée au pouvoir en 2013 », affirme le politologue Andrews Atta-Asamoah, Senior Research Fellow (chercheur principal) à l’antenne d’Addis-Abeba de la Fondation Institute for Security Studies (ISS) Africa.

Et le chercheur d’ajouter : « Renforcer son rôle sur la scène africaine est devenu l’un des objectifs majeurs du Caire, qui est engagé depuis les bouleversements internes du début de la décennie dans un processus de diversification de ses alliances diplomatiques et stratégiques. D’ailleurs l’administration égyptienne se prépare depuis plusieurs mois pour faire de son mandat à la tête de l’UA une opportunité politique en termes d’influence et une opportunité de business pour les entreprises égyptiennes à la recherche de nouveaux horizons».

« Profondeur stratégique »

Pays africain de par sa géographie, l’Egypte s’est longtemps définie par sa dimension panarabe. Cette dimension avait été mise en avant par le leader de l’indépendance égyptienne Gamal Abdel Nasser. L’homme s’était pourtant illustré par sa solidarité avec les mouvements indépendantistes subsahariens et fut l’un des pères fondateurs de l’Organisation de l’union africaine, prédécesseur de l’UA. Ses successeurs, Anwar al-Sadate et Hosni Moubarak se sont, eux, résolument tournés vers le Moyen-Orient, sacrifiant l’Afrique. C’est ce qui fait dire à Amira Mohammed Abdel-Halimi, chercheuse du Centre des études politiques et stratégiques d’al-Ahram, que pendant 70 ans Le Caire a ignoré l’Afrique, alors qu’historiquement le continent constitue pour l’Egypte sa « profondeur stratégique » et source de son influence.

Les relations institutionnelles entre l’Afrique et l’Egypte sont tombées à leur plus bas niveau sous Hosni Moubarak. Après l’attentat dont celui-ci fut victime en 1995 sur son chemin vers l’Ethiopie où il devait assister à un sommet de l’UA, il ne mit jamais plus les pieds dans l’Afrique subsaharienne pendant le reste de son mandat.

Les années Sissi débutèrent aussi sous des auspices peu favorables avec l’Egypte, mise au ban de l’organisation continentale, suite à la reprise en main autoritaire du pays par l’armée dont est issu son nouvel homme fort. Les diplomates égyptiens s’employèrent alors à obtenir la fin rapide de la suspension de leur pays, ce qui fut chose faite un an plus tard, lors du sommet de Malabo en 2014. La contribution de l’Egypte à hauteur de 12,5% au budget de l’Union ne fut sans doute pas étrangère à cette décision de réintégration, soutiennent les observateurs.

Renouer les liens historiques

Quoi qu’il en soit, la réadmission du Caire dans le sanctum sanctorium africain répondait aussi à la stratégie de la nouvelle administration égyptienne de renouer les liens historiques avec l’Afrique subsaharienne, stratégie à laquelle le président Sissi lui-même n’a cessé de donner de la voix depuis sa prise de pouvoir en 2013.

« Mon pays est engagé à se rapprocher de l’Afrique et nous sommes déterminés à œuvrer pour le renforcement de nos liens avec tous les pays du continent sans exception », répète inlassablement le raïs aux acteurs politiques et économiques du continent qu’il croise, en les recevant en Egypte ou pendant ses déplacements en Afrique. Ces déplacements constituent, selon l’entourage présidentiel, plus de 30% des voyages à l’international effectués par le chef de l’Etat égyptien entre 2014 et 2018.

En témoignage du sérieux de sa volonté de repositionnement sur le continent, l’Egypte a également lancé au cours des dernières années de nombreuses initiatives économiques, militaires, ainsi que des projets pour mieux impliquer la société civile dans ce processus de rapprochement, notamment la jeunesse africaine. Le Caire a multiplié par exemple le nombre de bourses destinées aux étudiants africains désireux de venir poursuivre leurs études dans les universités égyptiennes. Les jeunes Subsahariens sont de plus en plus nombreux à participer à la conférence annuelle pour la jeunesse qu’accueille l’Egypte tous les ans à la station balnéaire du Sud-Sinaï, Charm el-Cheikh.

Ces initiatives portent aussi sur la multiplication des stages de formation proposés aux forces africaines de maintien de la paix dans les académies égyptiennes et l’intensification de la coopération en matière de sécurité et de partage de renseignements militaires. A l’occasion du sommet de l’UA en février dernier, lorsque l’Egypte a pris le flambeau de la présidence de l’organisation panafricaine, la presse égyptienne est revenue de long en large sur la mobilisation de différents ministères et agences gouvernementales pour mettre en œuvre des actions de promotion de commerce et d’investissements interafricains.

A l’initiative du gouvernement, l’Egypte a accueilli entre novembre et décembre 2018 pas moins de trois événements : un forum d’investisseurs ainsi qu’une foire interafricaine et une réunion de ministres interafricains de commerce. Le gouvernement a par ailleurs créé au cours des dernières années une agence égyptienne de partenariat pour le développement (équivalent de l’Agence française de développement), un fonds destiné à garantir les investissements privés en Afrique et un fonds d’investissement dédié au développement des infrastructures. Conséquences : les investissements égyptiens en Afrique se sont élevés en 2018 à un chiffre record de 10,2 milliards de dollars, contre environ 2,8 milliards de dollars de l’Afrique vers l’Egypte.

Intérêts vitaux

Pour le politologue du CEPS d’al-Ahram, Amira Mohamed, cet activisme à l’égard de l’Afrique s’explique, en partie, par le souci de sauvegarde des intérêts vitaux égyptiens sur le continent. Les ressources hydrauliques font partie de ces intérêts vitaux.

« Hérodote disait que "l’Egypte était le don du Nil", rappelle pour sa part Andrews Atta-Asamoah. « Loin d’être une simple métaphore, cette image reflète, poursuit le chercheur, la dépendance étroite de l’économie égyptienne par rapport au fleuve. Aujourd’hui encore, 97% des besoins hydrauliques de l’Egypte sont assouvis par le Nil. » Cette dépendance séculaire est mise à mal par la construction lancée par Addis-Abeba en 2011 de son Grand Barrage de la renaissance (GERD) qui promet d’être la plus grande centrale hydroélectrique de l’Afrique. Conséquence à terme pour l’Egypte : perte de 2 millions d’acres de terres agricoles et baisse de 20 à 40% de sa production d’électricité.

Comme l’affirment les spécialistes, la résolution de cette crise hydraulique ne peut qu’être bilatérale, c’est-à-dire sur la base des négociations avec les pays situés à la source et le long du Nil, la prise de conscience par l’Egypte de son isolement sur cette question a été, selon les observateurs, le point de départ de son retour sur la scène africaine. « La présidence (de l’UA) est une bonne opportunité pour régler nos différends avec les autres pays du continent », a déclaré Tarek Radwan, qui dirige la Commission des affaires africaines, l’un des principaux décideurs de la politique africaine de l’Egypte, avec le gouvernement et la présidence.


On s’attend également à ce que le Caire mette à profit cette année de présidence pour faire avancer ses pions en matière de paix et sécurité. Du point de vue des Egyptiens, les principaux enjeux dans ce domaine sont : la lutte contre le terrorisme, la sécurisation de la mer Rouge et, last but not least, le conflit libyen.

L’Egypte partage une frontière commune avec la Libye de 1 200 kilomètres et considère le chaos politique et militaire qui règne chez son voisin, depuis la chute du colonel Kadhafi en 2011, comme une menace potentielle à sa sécurité nationale. La pacification de ce voisin menacé d’implosion est l’un des objectifs majeurs de la politique étrangère égyptienne. Un objectif que l’UA a fait sien en appelant, dès le lendemain de l’intronisation du président Sissi comme son nouveau patron, à l’organisation sous son égide d’une conférence sur la Libye.

Paix et sécurité constituent d’ailleurs un volet important du nouvel engagement africain du gouvernement égyptien. Une dimension que le président Sissi n’a eu de cesse de marteler pendant ses prises de parole devant ses pairs, à l’occasion du sommet de février dernier. Le raïs a plus particulièrement évoqué la proposition égyptienne de mettre en place au Caire un Centre pour le développement de la reconstruction post-conflit et le lancement d’un Forum pour la paix et le développement durable à Assouan, en Egypte, qui aurait pour ambition de s’imposer comme un forum de dialogue pérenne sur la sécurité en Afrique.

«La concrétisation de ces deux projets devrait aider à promouvoir la paix et apporter des solutions viables au problème de déplacements internes, rejoignant ainsi les préoccupations de l’UA qui a dédié l’année 2019 aux réfugiés et déplacés internes », estime le chercheur Andrews Atta-Asamoah. « Il n’en reste pas moins, ajoute-t-il, qu’en faisant campagne pour des institutions basées en Egypte, le président Sissi renforce l’impression que son pays veut instrumentaliser la présidence pour avancer des agendas régionaux et nationaux».

Enthousiasme et réticences


Le soupçon d’instrumentalisation concerne moins la promotion de la coopération économique que les Egyptiens présentent comme l’axe principal de leur présidence. Les objectifs de l’engagement du Caire en Afrique pointés par le président Sissi dans le discours programmatique qu’il a prononcé à la tribune de l’UA, le 10 février dernier après la cérémonie de son investiture à la tête de l’organisation panafricaine, va dans ce sens. Au nombre de trois, ces objectifs sont : le développement des infrastructures, la création d’emplois pour la jeunesse du continent et, last but not least, l’accélération de l’entrée en vigueur de la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlec).

La Zlec est un projet-clé de la présidence rwandaise. Elle a enthousiasmé la plupart des pays membres de l’UA à cause de la perspective à terme de la création d’un marché commun africain qu’elle laisse entrevoir. Les spécialistes pensent que son entrée en vigueur pourrait donner un coup de fouet au commerce interafricain qui, selon un récent rapport de la Banque africaine d’export-import (Afreximbank), stagne à 15% du total du commerce africain, contre 67% pour l’Europe, 58% pour l’Asie et 20% pour l’Amérique latine. Signée par la plupart des pays africains, la Zlec a été ratifiée par 19 Etats. L’Egypte s’est fait fort d’obtenir les trois ratifications manquantes permettant de transformer le projet en loi.

Les Egyptiens se montrent moins enthousiastes pour les autres réformes financières et institutionnelles lancées ces dernières années pour rendre l’UA plus autonome et efficace. « C’est sans doute cela les limites de la volonté d’intégration de l’Egypte, qui, comme les autres grandes puissances africaines telles que l’Afrique du Sud, le Nigeria ou l’Algérie, sont réticentes à une Union africaine trop forte et trop intrusive », affirme le spécialiste de l’ISS, Andrews Atta-Asamoah.

Confirmant cette réticence, un diplomate égyptien influent confie sous le sceau de l’anonymat combien il fut outré de voir le président Kagame imposer sa volonté à la communauté continentale à la faveur de la présidence rwandaise de l’UA. « Ce n’est pas normal que le Rwanda qui ne contribue que quelque 450 000 euros au budget annuel de l’UA - loin derrière les cinq principaux contributeurs dont nous faisons partie,- décide des orientations futures de notre organisation continentale. Nous nous réjouissons que ce soit une grande puissance comme l’Afrique du Sud qui prenne le flambeau de la présidence du continent après nous… »

Trois questions à Osama Abdelkhalek, ambassadeur d’Egypte en Ethiopie

Architecte de formation, Ossama Abdelkhalek est l'ambassadeur d'Egypte à Addis-Abeba depuis le début de cette année. Il a été conseiller auprès du ministre des Affaires étrangères au Caire, le numéro 2 de la représentation permanente de son pays aux Nations unies, avant d'être nommé en Ethiopie. L'ambassade égyptienne d'Addis-Abeba est la plus importante du continent.

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