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Santé : Comprendre les récents écroulements de jeunes filles à Sokodé/Parole au psychologue clinicien Nofe Sedo

Publié le samedi 16 mars 2019  |  aLome.com
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© aLome.com par E. G.
Joseph Yaovi Nofe SEDO, psychologue clinicien au Centre Hospitalier Régional de Sokodé, Doctorant en psychopathologie et psychologie clinique à l’Université de Picardie Jules Verne (en France)
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Psychologue clinicien au CHR (Centre Hospitalier Régional de Sokodé), Joseph Yaovi Nofe SEDO, a suivi de très près le récent phénomène d’écroulements de jeunes filles ces dernières semaines dans la ville de Sokodé (centre-Togo). Il nous en livre les interprétations cliniques.




Bonjour Yaovi Nofe SEDO. Présentez-vous aux visiteurs du portail «aLome.com», s'il vous plait.


Je suis Joseph Yaovi Nofe SEDO, psychologue clinicien au Centre Hospitalier Régional de Sokodé, Doctorant en psychopathologie et psychologie clinique à l’Université de Picardie Jules Verne (en France).


Dites-nous, Monsieur Sedo, comment peut-on comprendre le phénomène de transe vécu ces derniers mois par de jeunes élèves dans des établissements scolaires de la ville de Sokodé?


Merci pour l’opportunité que vous m’offrez pour donner d’amples explications sur le phénomène de transe à la population. Tout d’abord, je pense qu'il serait judicieux de parler de comment s’est manifesté le phénomène, et ensuite penser à lui donner un sens clinique.
De ce fait, en avril 2018 et janvier 2019, environ une quarantaine voire une cinquantaine de filles se sont écroulées à l'école. Le phénomène a commencé par les mêmes filles et a recruté 02 ou 03 filles de plus. C'est-à-dire qu’il y a eu plusieurs épisodes d'écroulement collectif et les filles qui sont tombées dans le premier épisode ont été les mêmes à tomber dans un second temps, avec quelques-unes qui se sont écroulées pour leur première fois. Environ 2/3 des filles étaient à leur première crise, et 1/3 est à leur deuxième ou troisième épisode à ce jour. Certaines filles ont fait la crise à l'école, d'autres à l'église ou encore au marché.

La crise se manifeste par des sensations d'étouffement, un mal de cœur, des polypnées (respiration rapide), puis un écroulement avec roulement par terre, des cris, des pleurs et des propos incohérents. La crise dure au minimum 05 minutes, et au maximum 10 minutes, avec des rémissions le même jour ou les jours suivants. Elle touche les filles âgées de 12 à 21 ans et de plusieurs ethnies. Après la crise, il n’y a pas de blessures physiques sur les filles, l’état de conscience est normal, la mémoire est conservée et elles communiquent parfaitement. Après l'observation de la crise, nous avons fait des entretiens avec certaines filles et avec certains parents.

Il ressort de ces entretiens psychologiques que les filles estiment avoir eu peur en voyant une camarade tombée ! L’une d’entre elle nous confia que le jour où elle est tombée, elle ne tenait pas son eau bénite (en effet, quand la crise a eu lieu la première fois dans son école, elle allait dorénavant tous les jours au cours avec de l'eau bénite). Certaines ont affirmé qu'elles ont eu mal au cœur, puis elles ont perdu connaissance. Nous avons noté un antécédent de drépanocytose, d’asthme et de problèmes cardiaques chez au moins le tiers des filles. En explorant le contexte familial et socioculturel de cette série de crises, nous avons trouvé un fait marquant : aucune des filles n’habite avec ses parents géniteurs. Elles sont soit chez les grands-parents, ou soit chez un proche parent ou encore dans une famille reconstituée. Elles sont dans une situation de précarité, et de difficultés relationnelles. Par exemple, une fille hospitalisée a même refusé de voir son père, qui d'ailleurs était son unique accompagnant. De plus, la plupart de ces élèves ne mangeait pas avant d'aller en classe. Les propos tenus au cours de la crise étaient en rapport à des faits déjà vécus par ces filles.

Au regard de tous les faits que vous venez d’expliciter, pensez-vous que la cause de ce mal social est psychologique ?


Oui, puisque beaucoup d’éléments convergent là. L'anamnèse présentée par les patientes relève une discontinuité ou le manque de la figure parentale qui est soit décédée, ou soit absente au cours du développement psychosexuel. Les filles ont vécu des événements traumatisants comme le viol, la rupture affective et amoureuse…Nous trouvons qu'il y a une très grande labilité émotionnelle couplée d’une absence de canaux efficaces de verbalisation des difficultés, et d’un environnement anxiogène qui entretiennent la crise. La grande suggestibilité des filles explique les écroulements en masse. Un monologue intérieur est très manifeste chez ces filles qui commencent la crise. Tout ceci amène à formuler des hypothèses d’une crise conversive ou d’une crise d’angoisse. Toutefois, l’exploration psychologique continue.

Certaines personnes pensent que la cause du mal est spirituelle… Pourquoi n’êtes-vous pas vous de l’avis qui soutenait «qu'une fille a fait la crise précitée par manque d'eau bénite qu’elle transportait sur elle» ?


En fait, il faut retenir que l'être humain est un tout: physique, psychologique, social et spirituel. Nous disons ici que les filles traduisent un conflit interne. Ce conflit peut être spirituel ou social ou encore psychologique. Alors, si certaines personnes pensent que le problème est spirituel, nous ne disons pas vrai ni faux, car nous ne sommes pas spirituel pour poser un tel diagnostic. Seulement, nous savons qu'un conflit religieux, un contrat démoniaque non respecté ou autres, peut entraîner des conflits psychiques que ces enfants extériorisent. Pour la fille qui parle d'eau bénite, quand le phénomène de transe s'est passé dans son école sans qu’elle ne fasse la crise, sa tante lui a aussitôt remis de l'eau bénite qu’elle emportait sur elle chaque jour pour aller à l’école. C’est le jour qu’elle n’a pas pris son eau bénite qu’elle a fait la crise. C’est comme elle cherche son protecteur, ne l’ayant pas vu, elle a eu peur et a aussitôt fait la crise.

Y a-t-il un moyen de prévenir cette succession de phénomènes sociaux ?


La prévention chez les filles qui font déjà la crise est possible. Il faut un suivi psychologique qui amènera à d'autres actions, au besoin par exemple, l’initiation d’une thérapie familiale. Le suivi aura pour objectif de trouver des moyens d'expression des conflits autre que le corps. A défaut de ce suivi, les filles pourront reprendre la crise, car elles présentent des prédispositions fragiles et la crise peut survenir à tout moment. Pour la prévenir de façon générale, la réponse doit être écosystémique. Plusieurs acteurs doivent être impliqués tels que les parents qui doivent jouer leur rôle ; surtout en matière d’éducation familiale, les membres de la société qui ne doivent pas alarmer mais soutenir les personnes en difficulté, et l’Etat qui doit mener des actions de sensibilisation sur la santé mentale.


Pour finir, qu'avez-vous à dire à la population togolaise en général pour la rassurer?

Ne pas paniquer. Quelle que soit l'hypothèse que chacun formule, l'essentiel c'est de bien la vérifier avant de la divulguer. Les gens donnent leur avis et proposent des actions sans pour autant bien maîtriser les contours du mal. Il faut que la population s’inscrive en toute situation à la démarche : comprendre le problème, cerner les contours et la cause puis développer un plan de résolution. Pour un problème de santé, il faut d’abord chercher à avoir l’avis des professionnels de la santé. Et quand ceux-ci se retrouvent dans l’incapacité d’apporter des solutions, là on peut se tourner vers le spirituel. Une fois encore merci à vous.



Interview réalisée par E. G. & Akoyi Awukudzogbede
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