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Sa retraite, Knysna, son image… Patrice Evra nous dit tout

Publié le jeudi 1 aout 2019  |  Le Parisien
Ballon
© Autre presse par DR
Ballon de foot
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L’ancien capitaine de l’équipe de France nous annonce, à 38 ans, la fin de sa carrière. Il avait beaucoup d’autres choses à dire. Il en découle un entretien passionnant, enrichissant et sans temps mort.


Depuis sa violente altercation avec un fan marseillais , en préambule à un match de Ligue Europa à Guimaraes, le 2 novembre 2017, on l'avait un peu perdu de vue. Il revenait, parfois, sur le devant de la scène au travers de vidéos un peu lunaires, ou de quelques craquages, sur les réseaux sociaux.

On a retrouvé Patrice Evra au tout début du mois de juillet dans un établissement parisien proche de l'Arc de Triomphe. La poignée de main est franche. Le sourire en bandoulière. L'ancien mancunien apparaît apaisé. Chaleureux. Il avait d'abord une annonce à nous faire. Une heure durant, il a ensuite déroulé le film de son histoire intime avec un verbe sans filtre.

À 38 ans, êtes-vous toujours en quête d'un club ?

PATRICE EVRA. Non, c'est fini. J'arrête. Il s'agit d'une décision mûrement réfléchie. Je suis un homme comblé. Je n'aurais jamais imaginé accomplir tout ce que j'ai réalisé dans ma carrière. C'est le moment de dire « merci et au revoir ».

Avez-vous eu des propositions depuis votre départ de West Ham en juin 2018 ?

Oui, mais je dis stop. J'ai l'impression d'être guidé par un ange. Ça peut prêter à sourire, mais c'est ainsi. Tout est une question de destin, rien n'est dû au hasard. Quand je fais un choix, je m'y tiens.

C'est la fin d'une aventure de vingt ans, commencée en D3 italienne au SC Marsala…


C'est quand on décide d'arrêter que l'on mesure que le chemin parcouru a été incroyable. Je ne suis pas passé par un centre de formation. Ma carrière, ça a été « du quartier aux étoiles ». C'est de la folie. Je me souviens de l'époque à l'école, quand, à la rentrée des classes, les professeurs nous demandaient ce que l'on voulait faire plus tard. Certains répondaient « avocat, docteur ou policier », et moi « footballeur ».

Et comment réagissait-on ?

La prof me disait : « tu penses que sur 300 enfants, tu seras le seul recruté ? ». Je répondais « oui », et tout le monde rigolait. Aujourd'hui, je ne suis pas là pour prendre une revanche sur ces gens-là, mais ça me semble important de dire qu'il ne faut pas tuer les rêves des enfants. Il faut leur dire que c'est possible mais qu'il va falloir bosser.

Parmi vos 22 titres figure la Ligue des champions qui échappe aux clubs français depuis 1993. Que leur manque-t-il ?

Je ne suis pas là pour donner des conseils, mais ce n'est parce que tu achètes les meilleurs que cela va marcher. Il faut qu'il y ait une alchimie entre les joueurs.

Le PSG, justement, a mis les moyens mais connaît une succession d'échecs. Comment l'expliquer ?

Je suis Français et bien placé pour le dire : en France, on aime bien être deuxième. Celui qui gagne, c'est un tricheur, ou alors il gagne trop. On n'a pas envie de faire mal. On est trop gentils. Ce manque d'ambition est frappant. Il faudrait se dire : « on est Français, on est les meilleurs ». Si tu te sens fort, il s'agit de l'exprimer et d'arrêter de trop respecter les autres grands clubs. Le PSG a acheté des joueurs étrangers. Mais cela vient de l'âme. Les Parisiens se poseront les bonnes questions. Tu gagnes la C1 grâce à l'histoire du club. J'ai grandi en région parisienne. Si Paris, demain, remporte la Ligue des champions, je serai un homme heureux. Après j'ai joué à Manchester, c'est pour ça que je supportais mon équipe quand les deux clubs se sont affrontés l'hiver dernier.

Le nom de Sir Alex Ferguson est indissociable de celui de Manchester. Quels étaient vos rapports ?

Nous avons un lien spécial. À mon arrivée, il a été très dur avec moi. Mais il m'a fait confiance et a fini par nommer le petit Français capitaine. Quand il me l'a annoncé, je lui ai dit « ok, je réfléchirai demain ». Il m'a regardé et m'a dit « espèce d'enfoiré de Français » (rires). Il m'a permis d'être moi-même. Il ne m'a pas jugé.

D'autres personnes vous ont marqué ?

La première c'est Sandro Salvioni, mon entraîneur de Nice. Il a voulu que je sois arrière gauche alors que j'étais ailier. La deuxième, c'est Didier Deschamps . Quand je l'ai rencontré à Monaco en 2002, ça a été très fort. Ma mère aussi a été très marquée par l'homme. C'est quelqu'un de franc, qui ne te félicite jamais, qui ne te dit jamais « tu as fait un bon match », mais qui te rappelle à l'ordre si nécessaire. Et je le prends toujours comme un compliment. Didier m'a dit « gagner, c'est important ». Ferguson lui disait que gagner, c'était normal. C'est la différence que je ferais entre ces deux immenses techniciens.

Êtes-vous toujours proche du sélectionneur français ?

Je n'ai pas besoin d'étaler toute notre relation devant vous, mais c'est spécial. On ne se ment pas. Avant qu'il reprenne les rênes de l'équipe de France, il est venu me voir en me disant qu'il comptait sur moi. On a continué après la Coupe du monde 2014. J'avais dit à l'époque qu'il serait temps de laisser la place aux jeunes, parce que j'avais fait mon chemin en bleu. Il m'a expliqué qu'il avait encore besoin de moi et qu'il me sélectionnerait si les jeunes n'assumaient pas. Je ne vais pas citer leurs noms, mais j'en ai même appelé pour leur dire « vous vous foutez de ma gueule ? Didier doit convoquer un vieux briscard comme moi, j'aimerais bien avoir une vie de famille et me concentrer sur mon club » (rires). Mais à l'arrivée, ça a toujours été une relation franche. Didier, il était au-delà d'un sélectionneur pour moi.

La joie de voir les Bleus gagner le Mondial a-t-elle prévalu sur la déception de ne pas avoir été de l'aventure ?

L'amour du maillot a été plus fort. J'ai reçu tellement de messages que pour moi, c'est comme si je l'avais gagné. J'ai fait le travail jusqu'à l'Euro, ils ont fait le reste. Plusieurs joueurs m'ont dit « Pat, quand on fait certains discours, c'est comme si ton fantôme était dans le vestiaire ». Quand j'entends ça, j'ai gagné. L'équipe de France ne m'appartient pas, elle appartient au peuple français.

Certains observateurs ont situé l'acte fondateur de ce titre cinq ans plus tôt, lors du match de barrage face à l'Ukraine. Partagez-vous cet avis ?

Ça part de là. Je pense que c'est là qu'on a forgé tout le caractère de l'équipe de France, et aussi qu'on a remis en place l'amour pour ce maillot. Il fallait montrer que l'on jouait pour le peuple français et qu'on aimait ce maillot. Dans ma carrière internationale, j'ai eu la chance de côtoyer des joueurs beaucoup plus forts que certains internationaux qui composent l'équipe actuelle. Pour moi, la meilleure équipe dans laquelle j'ai joué avec les Bleus, c'est celle de la finale de l'Euro, d'un point de vue collectif. Et c'est là où Didier est très fort. Il sait construire un groupe et une vie de groupe. Il ne fait rien au hasard.

Vous êtes un intime de Paul Pogba. Avez-vous été surpris qu'il mette du temps à pleinement s'épanouir en sélection ?

Paul, c'est mon petit frère. Parfois, dans le football, on te juge sur tes attitudes. On dit que tu es un Bad boy, ou quelqu'un d'arrogant, on critique ta coupe de cheveux ou ton style vestimentaire… Mais je ne suis pas surpris de l'évolution de Paul. Il écoute, a envie de progresser et de gagner. Il est champion du monde, certes, mais il peut encore faire beaucoup mieux. Il a besoin que je sois un peu derrière lui, que je le pousse.

Êtes-vous bluffé par le phénomène Mbappé ?

J'ai adoré le Kylian de Monaco, contre Dortmund ou Manchester City. C'est cette image que j'ai de lui. Il faut qu'il fasse attention, qu'il soit bien protégé, entouré, mais reste lui-même, pense à être un tueur et à marquer des buts. Je me souviens aussi d'une accélération qu'il avait faite contre Manchester United au match l'aller en février dernier (2-0), j'étais resté scotché. Ça faisait longtemps que je n'avais pas fait « waouh » devant un joueur. Old Trafford s'était un peu arrêté. J'ai côtoyé ses parents, ce sont des gens bien. Ils savent ce qu'ils veulent pour leur enfant. Peut-être qu'un jour Kylian fera des erreurs, mais il grandira grâce à ça.

L'Euro 2016, c'est votre plus grand regret en Équipe de France ?

Oui. C'était ma dernière chance de remporter quelque chose avec mon pays. J'étais sûr à 1 000 % qu'on allait gagner. La seule fois où j'ai senti un coup foireux, c'est quand Cristiano Ronaldo se blesse en finale. J'ai regardé mes coéquipiers et j'ai vu qu'ils étaient soulagés. À la mi-temps, j'ai crié dans le vestiaire, je leur ai dit que je sentais le coup venir, que l'on n'était pas assez efficaces, que ça puait, qu'on se ch… dessus… J'avais la sensation que beaucoup de spectateurs étaient venus au Stade de France pour faire des selfies, pour dire qu'ils étaient là… Je ne critique pas, mais suis convaincu que si la finale se passe au Vélodrome, ce n'est pas la même chose.

D'où vous vient ce sentiment ?

Lors de la demi-finale au Vél contre l'Allemagne, ça tremblait de partout. L'engouement était unique. Je connais les Marseillais, avant d'être Français, ils sont Marseillais. Mais avant ce match, à l'arrivée du bus, je vous promets : tous les Marseillais étaient Français.

Savoir votre nom associé au fiasco de Knysna, ça vous hante ?

On est en 2019 ! Je n'ai pas de mal à en parler. Didier me dit aussi que je devrai vivre avec ça. Mais dans la rue, personne ne m'en parle jamais. C'est passé. Il y a eu une histoire. Ça m'a fait mal. À la fin de la compétition, j'ai assumé. J'ai dit à certains de prendre des jets privés s'ils avaient peur. Moi, j'ai atterri au Bourget, j'ai été mangé dans le centre de Paris. Quand je suis entré dans le restaurant, les gens se sont levés, m'ont applaudi. Ma femme en a pleuré. Certains pourront me juger, dire qu'en tant que capitaine je porte l'ensemble des responsabilités de tout ça. Ça ne hante pas mes nuits. La seule chose qui me hante, c'est quand la frappe de Dédé Gignac échoue sur le poteau en finale de l'Euro.

Après Knysna, vous vous êtes relevé…

On a parlé d'Evra l'invincible. On m'a aussi qualifié de tous les noms. Certains se disaient « mais qu'est-ce qu'il fout encore là ? ». Des gens comme Thuram affirmaient que je ne devais plus porter le maillot bleu.

Vous en avez voulu à vos prédécesseurs qui vous ont critiqué ?

Je les ai appelés, je les ai rencontrés. Avec Marcel Desailly, on a une très bonne relation, on en a parlé, j'ai compris ses critiques. Thuram, c'était plus vicieux. Je n'ai pas aimé, et bien sûr que je lui ai fait savoir.

Avez-vous revu Raymond Domenech depuis 2010 ?

Oui, je n'ai aucun problème avec lui. Sa réaction m'a fait mal parce que je n'ai pas compris (NDLR : il avait refusé qu'il s'excuse publiquement après la grève des joueurs). Je lui ai demandé pourquoi. Il m'a répondu que je l'avais trahi quand on ne s'était pas entraîné. Il m'a dit « 1 partout ». Ça m'a blessé. C'était quoi, une punition ? Mais si je le vois demain, je lui dis bonjour, il ne m'a pas fait de mal, je ne lui ai pas fait de mal. Il n'y a pas une seule personne au monde à laquelle je ne pourrais pas dire bonjour.

C'était à lui, selon vous, de lire ce communiqué ?

Ça a été sa plus grosse erreur. C'était à moi de le lire. Quand on était dans le car, j'ai ce papier dans la main. J'ai dit « Raymond, on va aller signer des autographes aux gens, on remonte après et on rentre à l'hôtel ». Quand je lui dis ça, il me demande ce que je vais dire. Je lui donne le papier. Là, il le lit et ne me le rend pas.

Vous n'avez pas réussi à le faire changer d'avis ?

Je lui ai dit : « les joueurs veulent que je le lise » et il refuse. Il m'a rétorqué : « c'est moi qui vais le lire parce que vous êtes de petits gamins ». Je remonte dans le car, et les gars me demandent où est le papier. Et là ils me disent de descendre, d'aller le reprendre, qu'il ne va pas lire ce qu'on a écrit. Ils m'envoient au feu. Thierry Henry me dit « continue à aller au feu pour nous, continue ! » (rires). Je lui réponds « tu me connais, je pourrais mourir pour vous tous. » Et au moment où j'allais descendre, Raymond était déjà en train de le lire.

Qu'avez-vous envie de faire de votre vie à présent ?

Être heureux, profiter davantage de ma famille et continuer à passer mes diplômes d'entraîneur. C'est en cours depuis 2013, il me reste encore un an et demi. Tout le monde m'imagine entraîner un club. Ferguson, lui-même, a dit que ceux qui deviendront les meilleurs coachs parmi les joueurs qu'il a eus, c'est Giggs et moi. C'est un immense compliment. Je continue aussi à promouvoir mon mode de vie « I love this game ». Ce ne sont pas juste des vidéos drôles ou choquantes. C'est un message positif, une volonté d'aimer la vie. Quand je taxais un franc devant les boulangeries pour m'acheter un kebab, j'étais aussi en mode « I love this game. » On a tous un côté obscur en nous, mais il faut être vrai.

Dans vos vidéos décalées, on vous a aussi vu donner à manger à des SDF à Marseille…

Je n'ai pas fait ça pour me construire une image. Si quelqu'un le fait pour se donner un genre, il rendra des comptes à Dieu. Je suis très croyant. J'ai grandi en étant catholique, mais je peux prier avec des Musulmans. J'ai des amis Juifs, je suis très ouvert. Quand on me demande ma religion, je réponds que c'est d'être le meilleur être humain possible. La tolérance, c'est essentiel.

Comment expliquez-vous votre image pour le moins contrastée ?

Le problème, c'est que je suis trop passionné. Si on me dit que je suis un clown, un bon mec, ou un bad boy, j'adore. Ce n'est pas important. Je ne veux pas qu'on mente aux gens. On dit que je ne parle pas aux journalistes, c'est faux. Je fais quelques interviews, je ne veux pas en faire tous les jours, c'est tout. Et quand j'en accorde une, ça reste un mois, ça fait du buzz. Mais je n'ai aucun problème avec les journalistes.

Vous ne vous êtes jamais senti mal aimé ?

Pas du tout. Je ne me suis jamais fait siffler au Stade de France, contrairement à beaucoup qui ont une plus belle image que moi. Quand je me promène à Paris, les gens m'arrêtent, me remercient. Au risque de vous surprendre, je pense que ma cote de popularité a augmenté après Knysna. Les gens ont vu un homme avec ses qualités et ses défauts, mais un homme vrai. Chacun a ses failles. On me déteste si on veut, mais on ne peut pas passer à côté de mes trophées.

Que se passe-t-il dans votre tête quand vous frappez un supporter marseillais à Guimaraes ?

Je ne rentrerai pas dans les détails, ce sera bien expliqué dans mon livre (rires). Cet individu a touché deux points qu'il ne fallait pas. Il y a eu une injure raciale, mais ce n'est pas ça qui m'a fait vriller. Il ne s'est pas comporté comme un supporter de l'OM. Et je n'ai pas eu l'attitude d'un joueur de ce club puisque je lui ai mis mon pied dans la gueule. Marseille, je le dis aujourd'hui, a été une très belle page de ma carrière. Et quand je croise des Marseillais, ils me remercient et s'excusent pour cette personne.

Votre départ après ce dérapage était inéluctable ?

Rudi Garcia et le Président Eyraud m'ont dit « qu'est-ce qu'on fait ? On ne peut pas te perdre. » J'ai dit que j'assumais. Comme je tiens à l'OM et aux supporteurs, je ne voulais pas amener des ondes négatives sur tout le club. Je devais partir. Ça m'a fait très mal. À mon départ, certains joueurs avaient les larmes aux yeux, ils ont failli me faire chialer les cons. Aujourd'hui, je conseille à tous les joueurs de foncer à l'OM s'ils ont la chance d'être appelé par ce club. En revanche, si tu n'acceptes pas qu'on te traite de chèvre quand ça ne va pas, que tu n'as pas la mentalité, n'y va pas.

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