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[Tribune] Dominique Strauss-Kahn : «Le virus et l’Afrique»

Publié le mardi 24 mars 2020  |  Jeune Afrique
L’ancien
© Autre presse par DR
L’ancien patron du FMI, Dominique Strauss-Kahn
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Par Dominique Strauss-Kahn

Après une carrière politique l’ayant conduit au ministère français de l’Économie et à la direction du Fonds monétaire international, Dominique Strauss-Kahn conseille aujourd’hui certains chefs d’État africains en matière de finances publiques et dans leurs négociations avec le FMI.



Face à la crise économique mondiale provoquée par la pandémie de coronavirus, l’ancien directeur général du FMI Dominique Strauss-Kahn appelle à construire une réponse planétaire coordonnée qui n’oublie pas le continent africain, dont les économies sont déjà fragiles.

Au 22 mars, un millier de cas d’infection par le coronavirus «seulement» étaient détectés dans plus de 40 pays d’Afrique. Ce chiffre semble évidemment assez faible.

Mais qu’il s’agisse d’un décalage dans la diffusion du virus ou d’une faiblesse du recensement, il est illusoire de croire que l’Afrique restera durablement à l’abri. Or la plupart des pays africains sont bien mal équipés pour répondre à une telle pandémie. C’est le sens de la récente mise en garde de l’OMS suggérant que l’Afrique doit «se préparer au pire».

En 2016, l’indice de vulnérabilité aux épidémies de la Rand Corporation situait en Afrique 22 des 25 pays les plus vulnérables. Si l’on prend comme indicateur, très imparfait il est vrai, l’épidémie d’Ebola en 2016, on mesure combien la tension exercée par ces épidémies sur un système de santé fragile peut être désastreuse.

Au Liberia, près d’un dixième des personnels de santé décédèrent en raison de leur exposition au virus et dans la Guinée voisine le nombre de consultations médicales fut divisé par deux au premier semestre 2014 en raison de la pénurie de moyens médicaux accaparés par la lutte contre le virus. En conséquence, la mortalité générale a fortement augmenté et l’espérance de vie a chuté de plusieurs années.

Changement climatique et poids de la dette

Or, l’épidémie frappe le continent africain à un moment où il est particulièrement vulnérable. Il y a à cela plusieurs raisons.

La première est liée à l’incapacité collective des pays industrialisés à combattre le changement climatique. En Afrique, 2019 a été une année catastrophique, plusieurs désastres naturels ont frappé le continent : la Zambie et le Zimbabwe ont connu la pire sécheresse depuis 1981 ; les cyclones Idai et Kenneth ont dévasté des régions entières notamment au Mozambique ; des invasions de criquets ont ravagé les récoltes d’Afrique de l’Est menaçant 20 millions de personnes de pénurie alimentaire.

La seconde raison, plus structurelle, tient à des situations budgétaires très tendues qui limitent les capacités de réponse à la crise. Globalement, le ratio dette/PIB des économies subsahariennes est passé de 30% en 2012 à 95% fin 2019.

Ceci est aggravé par l’accroissement de la part des emprunts commerciaux dans l’endettement total : depuis 2009, les gouvernements africains ont émis plus de 130 milliards de dollars d’Eurobonds dont plus de 70 entre 2017 et 2019. Ce sont des emprunts couteux : le service de la dette est passé de 17,4% des exportations en 2013 à 32,4% en 2019.

Aujourd’hui, 18 pays africains à bas revenus sont en crise d’endettement ou en grand risque de crise. Parce que l’Afrique est particulièrement vulnérable, les conséquences économiques du Covid-19 risquent d’y être encore plus dévastatrices qu’ailleurs.

Choc pétrolier et fuite des capitaux

Pour les pays producteurs de pétrole dont certains se relèvent à peine de l’effondrement des cours de 2014-2016 , le choc peut être dramatique.

La semaine dernière le prix du pétrole a connu sa plus grande chute depuis la guerre du Golfe en 1991. Mercredi, le cours est tombé sous 25 dollars le baril contre 70, le 6 janvier. Les recettes budgétaires attendues par ces pays s’effondrent rendant insoutenable leur dette publique.

Pour les pays dont la production est plus diversifiée, la situation n’est pas meilleure. En janvier et février, les importations totales de la Chine n’ont baissé que de 4%, mais le chiffre monte à 20% pour celles qui viennent d’Afrique.

La chute des recettes touristiques frappe durement nombre d’économies : au Cap Vert, le tourisme représente 44% du PIB et 39% de l’emploi.

Ceci a conduit, le 13 mars, la Commission économique de l’Union africaine à réviser sa prévision de croissance pour 2020 de 3,2% à 1,8% alors que la croissance démographique est de 2,7% par an.

Toutefois, il est à craindre qu’il ne s’agisse là d’une prévision encore trop optimiste. Dans les semaines qui viennent, les flux de capitaux quittant l’Afrique vont atteindre des sommets jusqu’alors inconnus. Au cours des quatre dernières semaines la fuite des capitaux dans les pays émergents représente près de 50 milliards de dollars.

La crise sanitaire aura des répercussions terribles sur le plan économique. Dans de nombreux pays du continent, une diminution du PIB par habitant est à attendre, un endettement insoutenable rendra l’exécution des budgets impossible, le paiement des traitements des fonctionnaires sera fortement réduit et les services publics seront durement touchés, aux premiers rangs desquels, l’éducation et la santé.

La profonde crise économique dans nombre de pays africains, entraînant une forte dégradation des conditions de vie et l’effondrement des systèmes sanitaires nationaux, seront autant d’éléments qui accroîtront la pression migratoire vers l’Europe : ce ne sont plus des dizaines de milliers de migrants qui tenteront de rejoindre l’Europe, mais des centaines voire des millions.


Ne peut pas laisser l’Afrique de côté

La riposte économique est déjà engagée de Pékin à Washington. Aux États-Unis, le Congrès s’apprête à dépenser 1 300 milliards de dollars pour soutenir son économie. L’Allemagne et la Chine ont respectivement promis de débloquer 600 et 400 milliards de dollars de stimulus. Cet effort ne peut pas laisser l’Afrique de côté.

Face à l’ampleur de la crise prévisible, une mesure au moins aussi ambitieuse que le programme Pays Pauvres Très Endettés de 2005 doit être mise en œuvre rapidement et conduire à une annulation massive de la dette des pays les plus pauvres.

Depuis la mise en œuvre de ce programme doublée en 2009 par les prêts à taux zéro du FMI, la croissance africaine a été forte, de l’ordre de 5% en moyenne malgré la crise pétrolière de 2014.

Le FMI vient de dégager un montant de $50 milliards avec seulement 10 milliards accessibles aux pays les plus fragiles. D’une part, c’est malheureusement loin du compte. Mais, d’autre part, ces mécanismes ne fonctionnent que si la dette est jugée soutenable, or justement pour de nombreux pays ce ne sera pas le cas.

C’est pourquoi un programme d’allègement des dettes – rendu plus difficile en raison de l’importance prise par les dettes commerciales – doit permettre à ces économies de ne pas sombrer à moyen terme.















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