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Covid-19 en Afrique : Les secrets de la résilience du système éducatif congolais face au virus détaillés par le ministre Makosso

Publié le vendredi 22 mai 2020  |  aLome.com
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© aLome.com par D. S.
Ministre congolais Anatole Collinet Makosso
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Anatole Collinet Makosso est en charge du portefeuille de l’Enseignement Primaire, Secondaire et de l’Alphabétisation dans l’actuel gouvernement du Congo. Il est l’architecte du concept original ‘l’Ecole à Domicile’ qui a permis de sauver l’année scolaire dans son pays. A la veille de la reprise des cours dans ce pays, M. Makosso nous décrypte les fondements de la résilience du secteur éducatif au Congo face au coronavirus.



Plus de 1300.000 élèves du Congo se sont retrouvés en difficulté suite à l’état d’urgence sanitaire décrété par le Gouvernement avec pour corollaire, le confinement, tout ceci à cause de la covid-19. Une responsabilité historique pour le ministre de l’Education que vous êtes n’est-ce pas?

A.C. Makosso : Oui, ma responsabilité en tant que ministre de l’Enseignement primaire, secondaire et de l’Alphabétisation est grande pour plusieurs raisons. D’abord, il fallait tout faire pour suppléer la fermeture des écoles car cela pèse lourd sur l’avenir de nos enfants. Plus les enfants sont maintenus hors de l’école, moins ils ont des chances d’y retourner. Nous en avons eu l’amère expérience lors des crises successives que notre pays a connues. Chaque fois que l’école était suspendue, à la reprise, la population scolaire était amputée d’au moins 8 à 10% de nos élèves qui ne revenaient pas à l’école, surtout, ceux en classe d’examen, qui se donnent parfois des défis, pensant tenter leur dernière chance s’agissant d’un élève qui aura déjà échoué à l’examen deux ou trois fois.

C’est aussi le cas pour les jeunes filles qui sont socialement exposées. Il faut de la vigilance afin d’éviter le décrochage parce que les parents ont tendance à profiter de cette rupture scolaire pour leur préférer des activités champêtres et les tâches domestiques aux révisions des cours. Ce qui risque de creuser davantage l’inégalité remarquée entre les garçons et les filles. Voilà pourquoi, vous remarquerez que nous faisons souvent preuve de beaucoup de doigté pour ne pas arriver à une grève pouvant paralyser l’école pendant longtemps, et surtout, lorsqu’il y a des conflits dans le pays par exemple, il nous arrive de braver l’insécurité pour aller dans les zones en conflit, rouvrir les écoles ou donner la possibilité aux élèves d’aller poursuivre et passer leurs examens dans des localités plus sécurisées.
A cela s’ajoute le fait que l’école étant le lieu où nous pensons régler un certain nombre de situations sociales, comme la fourniture des repas scolaires aux apprenants des milieux défavorisés, la fermeture pouvait causer d’énormes préjudices aux élèves privés de leur cantine scolaire. Il nous a fallu par exemple imaginer des approches avec le PAM (Programme alimentaire mondial), pour transformer ces cantines scolaires en repas secs, et les faire parvenir aux familles des enfants bénéficiaires.

D’où vous est donc venue cette idée de lancer le concept avec une telle promptitude?

A.C. Makosso : Je ne peux ouvrir cet échange sans évoquer avec enthousiasme l’esprit visionnaire du Chef de l’Etat qui avait déjà décidé de susciter le cadre normatif nous ayant permis de mettre en place le programme de continuité pédagogique pour que la Covid-19 n’emporte pas avec lui, la scolarité et l’avenir de notre jeunesse. Tenez! Par décret n°2019-441 du 30 décembre 2019, fixant les conditions d’organisation de l’enseignement dans la famille, il est créé des conditions de suivi des élèves à domicile. Tout comme par décret n°2017-518 du 29 décembre 2017, portant attribution et organisation de la Direction générale de l’alphabétisation et de l’éducation non formelle, il est mis en place des mécanismes permettant aux citoyens de tout âge, de bénéficier d’une éducation de qualité et de mieux se former, pour être aptes à affronter leurs examens concernant ceux qui préparent les examens d’Etat.
Vous comprenez que lorsque la crise sanitaire mondiale nous a surpris, il suffisait pour nous de nous appuyer sur ce cadre normatif pour mettre au point des approches alternatives innovantes pour remplacer la formation présentielle. D’où ‘l’Ecole à Domicile’.


Quelles ont été les principales difficultés de ce concept éducatif ?

A.C. Makosso: Les difficultés, elles n’ont pas manqué. Il y a d’abord la question de la fracture numérique et médiatique. Pour faire face à cette crise sanitaire, nous avions fait feu de tout bois en multipliant les moyens d’accès aux cours. Ainsi, les enseignements ont été dispensés à Telecongo, et d’autres chaines de radio et de télévisions communautaires, à travers les réseaux sociaux (Whatsap et Facebook, YouTube), les sites internet dédiés (www.menpsa.org, www.cacsup.org, www.lecoleadomicile.org), les Dépêches de Brazzaville.
Mais comme vous pouvez l’imaginer, nous avions eu des difficultés à atteindre tous les élèves par ces moyens. Le taux de pénétration du téléphone est de 73% en milieu urbain, 42% en milieu semi-urbain et 13% dans le reste du pays, soit un taux global de 54% sur tout le pays. Vous constatez qu’il y a quand même un gap de 46% s’agissant de cet outil. Même nos programmes à la télévision n’ont pas été suivis à 100% et ce, malgré l’engouement généralisé autant chez les élèves eux-mêmes qu’au sein des parents d’élèves, parce que le taux de couverture est très faible en zone rurale. Il ne nous fallait donc rien négliger et avions envisagé également la mise à disposition des cours polycopiés sous forme de fascicules que nous avions distribués à tous les candidats aux examens sur toute l’étendue du territoire national, notamment ceux fréquentant les établissements publics.

Il y a ensuite, la surenchère démagogique de certains cadres qui, plutôt que d’accompagner le processus, ont tenté d’alarmer les familles et décourager certains parents et élèves en faisant croire que l’approche ‘Ecole à Domicile’ était inappropriée, injuste et contraire aux lois et règlements de la République. Il ne s’y sont résolus que lorsqu’ils ont commencé à recevoir les interpellations et les recommandations des organisations internationales telles l’Unesco, l’Union africaine, le Partenariat mondial de l’éducation, appelant les Etats à mettre en place des mécanismes alternatifs de formation en s’appuyant sur le numérique et les médias. Il y a enfin la question des ressources. Nous gérons une situation inattendue qui a déstabilisé toutes les nations et mis à mal toutes les politiques publiques. Nous ne disposions pas des ressources nécessaires à la mise en œuvre d’un tel dispositif.

Face aux multiples difficultés liées à la Covid-19, n’était-il pas plus pratique de créer une sorte de coalition nationale pour l’éducation ?

A.C. Makosso: Bien sûr que nous avions été très pragmatiques en mobilisant des entreprises, les fournisseurs d’accès à l’internet, des institutions internationales et les médias pour ces enseignements à distance. Et croyez-moi que l’expérience a été riche. C’est l’occasion de remercier les partenaires comme MTN, l’Unicef, l’Unesco, le PAM qui nous ont accompagné depuis le début et saluer l’implication de tous les cadres du ministère, ainsi que le personnel enseignant et le corps des inspecteurs qui ont fait preuve de patriotisme et de pragmatisme.
Et l’une des premières leçons à retenir de ce processus, c’est l’engagement des médias à soutenir ces programmes des cours à domicile. Car notre système éducatif n’était pas préparé à ce genre de situation difficile.
Dieu merci que nous sommes parvenus à rassurer les élèves grâce à la diffusion des enseignements.
Désormais, il nous faut former nos enseignants à cette éventualité et maintenir le système d’enseignement à distance comme relais au système traditionnel. Ceci dans le but de réduire aussi les inégalités criardes existantes dans notre système éducatif, notamment la fracture numérique qui handicape beaucoup d’élèves voire même les enseignants eux-mêmes.
L’enjeu majeur de cette période de confinement, c’est dans une certaine mesure le retour des élèves à l’école. Et cela nous a imposé une vaste campagne de sensibilisation à l’endroit des élèves et des formations spécifiques du corps enseignant, afin de pallier les décrochages en pleine année scolaire.


Pourtant cette batterie de mesures n’exclut pas des conséquences graves de cette crise sanitaire sur l’ensemble du système éducatif congolais…

A.C. Makosso: Le programme ‘Ecole à Domicile’ nous a permis d’anticiper sur un tel péril. La Covid-19 pose un réel problème de développement, de formation, de sécurité au sein de notre système éducatif. L’école étant le socle du développement des savoirs dans une société, nous sommes interpellés à demeurer vigilants et pragmatiques. Cette crise de la Covid-19 laissera naturellement des traces indélébiles sur notre système éducatif. Mais elle nous aura au moins permis d’en déceler les failles et d’explorer des approches pédagogiques novatrices consécutives aux difficultés que nous rencontrons au quotidien. Nous savons désormais que le programme ‘Ecole à Domicile’ que nous venons d’expérimenter comme approche alternative pourra désormais devenir une approche additionnelle, surtout pour nous qui avons des classes pléthoriques avec un déficit criard en personnel enseignant. En clair, nous avons su transformer les défis du coronavirus en opportunité pour notre système éducatif. Derrière chaque malheur, il y a toujours une lueur d’espoir.

La date de reprise de cours fixée au 1 juin pour les classes d’examen vous paraît-elle réaliste pour rattraper une situation presque périlleuse pour des élèves psychologiquement affectés par l’arrêt brutal des cours?

A.C. Makosso: La reprise effective des cours est fixée au 2 juin pour respecter le lundi de Pentecôte, jour ferié au Congo. La première leçon pratique à retenir, c’est que les élèves ont hâte de retrouver les bancs de l’école. Ce qui est normal. Car notre école est considérée comme le premier ciment de la société et le principal moteur du progrès. Oui, après un confinement de plus de 47 jours, il est impératif que la vie scolaire retrouve ses marques par la réouverture des classes, même s’il faut le faire de façon graduelle. Il nous souviendra que tous les secteurs de la vie économique du pays ont été affectés par le coronavirus. Une situation aggravante qui a compromis l’équilibre des enfants et des parents.
Dans de pareilles circonstances, la réouverture des écoles est une très bonne nouvelle.

Toutefois, la lourde responsabilité de ramener les enfants dans ces environnements scolaires devenus sensibles demande de très sérieuses précautions de sécurité. Chaque établissement doit mettre en œuvre un protocole sanitaire: lavage régulier des mains par les enfants, distanciation. Un véritable casse-tête. Mais nous devons aller de l’avant tout en évitant de mettre les enfants en danger. Avons-nous la même compréhension de cette crise qu’eux-mêmes les élèves? N’ont-ils pas peur après ce cataclysme du coronavirus ?
Désormais, il nous faudra maintenir un contact quotidien avec les familles afin d’éviter un décrochage massif. Grâce à ce pragmatisme, notre système scolaire décrit souvent comme figé pourra montrer sa capacité d’adaptation aux contingences et situations difficiles. Nous avons à capitaliser les acquis de cette période de confinement pour mieux aborder celle du déconfinement.

Les cours reprennent donc le 2 juin 2020 pour les classes d’examens et en septembre pour les classes de passage. Logique d’une école à deux vitesses?

A.C. Makosso: L’éducation et l’instruction relèvent du domaine de la loi et nous n’avons pas violé la loi ni établi une école à deux vitesses. Tous les cycles auront considéré que leur année a été complète parce que les élèves des classes intermédiaires ont fini leurs évaluations et sont censés ne reprendre les cours qu’en octobre. Entre temps, ils recevront les cours à domicile sur les notions qu’ils n’ont pas abordées en classe au cours du 3è trimestre. Leur année est donc complète. Ne reviendront en septembre que ceux qui, n’ayant pas totalisé la moyenne de 10 sur 20 pour le secondaire et de 5 sur 10 pour le primaire au titre des deux premiers trimestres à qui nous donnons la chance de faire des évaluations de rattrapage pour qu’ils ne subissent pas le préjudice, en prétextant qu’ils auraient pu combler leur déficit et compléter leur moyenne de passage aux évaluations du troisième trimestre. Nous sommes donc dans l’obligation de faire réguler notre système scolaire en tenant compte des impératifs de temps et des circonstances. La situation de crise sanitaire que nous venons de traverser nous a imposé un rythme.
Pour faire simple, nous donnons priorité aux examens et de façon graduelle, nous passerons au second module, avec les classes de passage. Nous allons donc prendre des textes qui réorganisent le système en ces temps de l’état d’urgence sanitaire où le pays fonctionne autrement. Nous aurons une période d’immersion après avoir lancé les cours de préparation aux examens. Les dates précises de la tenue des examens d’Etat vont bientôt être publiées. Dans tous les cas, notre objectif est de faire de telle sorte que l’éducation demeure l’art qui révèle aux élèves le sens intime qui gouverne leurs actes et canalise leurs énergies pour le bon épanouissement de leur vie.

Au-delà de tout ce processus et en tenant compte du volume horaire requis en la matière, certaines langues congolaises récusent et crient déjà à l’année blanche!

A.C. Makosso: En anticipant sur l’organisation des cours à domicile, nous avions déjà écarté cette hypothèse d’une année blanche. Le texte organisant l’école à domicile faisant foi, nous avons pris soin de maintenir le rythme des cours aux moyens de différents supports cités ci-dessus, notamment les cours diffusés à la télévision nationale, les sites internet, les réseaux sociaux. Jamais une telle campagne d’éducation n’a été organisée dans notre pays. C’est l’occasion de féliciter tous les partenaires qui ont cru en nous apportant l’aide nécessaire pour dérouler l’ambitieux programme de l’Ecole à Domicile. Nos remerciements à nos partenaires comme MTN, l’UNESCO, la Banque mondiale qui ont été prompts à nous aider pendant cette difficile période de confinement. Il n’y aura donc pas d’année blanche au Congo. Les examens se dérouleront dès la deuxième quinzaine de juillet 2020 avec le CEPE, le 14 juillet, le Baccalauréat dès le 21 juillet et le BEPC en tout début du mois d’août.
Ainsi, nous aurons accompli les dix semaines de cours requises pour un troisième trimestre complet dont six semaines consacrées aux cours effectifs, une semaine aux évaluations préparatoires et trois semaines d’évaluations certificatives.

Vous vous êtes illustré parmi les ministres les plus actifs du Gouvernement du Congo-Brazzaville pendant cette période de crise sanitaire. Un réel motif de satisfaction pour vous?


A.C. Makosso: Comblé ? Peut-être pas. Nous n’avons aucune prétention de vouloir dire que nous avions résolu tous les problèmes ni que nous aurions été plus actifs que les autres. Chacun de nous a joué sa partition dans le domaine qui est le sien. Simplement que face à la fatalité, il nous fallait choisir la réactivité, face à l’immobilisme, le pragmatisme et face à la facilité, l’efficacité. Nous ne parlons certainement pas encore de l’efficience de la démarche, mais elle nous aura au moins éviter la déficience et la déchéance de tout notre système éducatif et permis à nos élèves de gérer au mieux cet état de confinement pour sauver leur année scolaire. Je suis comme un soldat envoyé sur un théâtre des opérations et par devoir, j’ai l’obligation de mener la mission jusqu’au bout. C’est ce que je fais en appliquant les directives de Monsieur le Président de la République dont le souci majeur demeure la formation de l’élite de demain. Car si nous échouons dans l’éducation de la jeunesse, la société congolaise va se démembrer et sera en proie au banditisme, et à tous les autres maux qui gangrènent nos sociétés. Si je peux continuer de jouer un rôle majeur pour ces jeunes, je ne pourrai que m’en réjouir, et c’est notre Congo qui gagne.


Propos recueillis par Gadegbeku Edem
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