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[Tribune] Obasanjo et Motlanthe : «Face au trafic de drogue, nous avons eu tort»

Publié le vendredi 28 aout 2020  |  Jeune Afrique
Mathew
© Autre presse par DR
Mathew Olusegun OBASANJO, ex Président du Nigeria (du 13 février 1976 au 1er octobre 1979, puis de 29 mai 1999 au 29 mai 2007)
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Par Kgalema Motlanthe

Ancien président de l'Afrique du Sud (2008-2009), dont il deviendra le vice-président (2009-2014). Membre de la Commission globale de politique en matière de drogues.

Par Olusegun Obasanjo

Ancien président du Nigeria, il intervient aujourd'hui dans de nombreuses crises sur le continent africain en tant que médiateur.



Les deux anciens présidents Olusegun Obasanjo et Kgalema Motlanthe, tous deux membres de la Commission globale de politique en matière de drogues, se disent conscients des effets négatifs des politiques menées jusqu’alors dans ce domaine, notamment à l’égard de la jeunesse du continent. Ils prônent une nouvelle approche.

Lorsque nous dirigions nos pays respectifs, le Nigeria et l’Afrique du Sud – les deux plus importantes économies du continent –, nos gouvernements rêvaient d’accomplir bien des choses. Et notamment de créer des sociétés exemptes de drogues.

Nous avions tort. Nous avions tort de penser que la prohibition, la répression et la prison protégeraient nos enfants. Nous avons accepté que de lourdes peines leur soient infligées pour des délits liés aux drogues, y compris lorsqu’aucune violence n’avait été commise. Nous avons autorisé les forces de sécurité de l’Etat à arrêter et à punir nombre de nos concitoyens. Rétrospectivement, nous y voyons un excès. Cela n’a pas marché.

Intérêts politiques

Cela n’a pas marché parce que la prohibition que les superpuissances ont imposée au monde à la fin de la Seconde Guerre mondiale, loin d’être une stratégie rationnelle et efficace contre les addictions, n’était que le prolongement de leurs intérêts politiques et de leurs affinités sur le plan culturel.

Aujourd’hui, le tabac et l’alcool font l’objet d’un libre commerce, appuyé par un marketing sophistiqué. Personne, pourtant, ne peut nier que ces deux substances nuisent à la santé. En acceptant de faire ainsi, assez artificiellement, la différence entre ces deux substances et les drogues illégales (le cannabis par exemple), les dirigeants du monde, y compris en Afrique, en sont arrivés à commettre bien des erreurs.

Ces jeunes gens jetés en prison, les a-t-on remis sur le droit chemin ? Dans la plupart des cas, la prison les a transformés en criminels endurcis. Ceux que l’on a privés de traitement, ceux qui sont morts d’overdose, qui étaient-ils ? C’étaient nos parents. C’étaient nos enfants. Nos sociétés ont investi une bonne part de leurs faibles moyens et de leur énergie dans des mesures centrées sur la répression, à la poursuite d’une société exempte de drogues. Nous devons nous éveiller et laisser là ce rêve, cette illusion.

Aujourd’hui, nous pouvons dire en toute honnêteté que nous regrettons de n’avoir pas remis en question les certitudes sur lesquelles repose le contrôle des drogues. Nous regrettons que nos erreurs se répètent, encore et encore, parfois en toute bonne foi, parfois pour tirer de faciles bénéfices politiques de la misère des personnes qui choisissent de consommer des drogues.

Des malades privés d’antidouleurs

Il faut que cela s’arrête. La production, le trafic et la consommation de substances illégales sont en pleine croissance. La criminalisation confère du pouvoir au crime organisé en lui donnant une emprise sur ceux dont la subsistance dépend du marché illégal des drogues. La demande est constante, l’offre suivra, naturellement.

En Afrique, la prohibition pèse également sur ceux qui n’ont jamais consommé de drogues et n’en ont pas l’intention : des malades qui sont en proie à une intense douleur physique liée à une maladie en stade terminal ou à une opération chirurgicale. Des malades qui sont privés de médicaments antidouleurs, alors que ceux-ci sont à la portée de n’importe qui dans les pays riches.
Le système international de contrôle des drogues a conduit à une pénurie d’analgésiques sur notre continent, essentiellement par crainte de les voir détournés vers le marché noir. En tant qu’êtres humains capables de compassion, nous pensons que c’est faire preuve de cruauté que de priver ceux qui souffrent des médicaments qui peuvent les soulager.

Certains affirment que l’Afrique n’a pas les ressources nécessaires à la mise en place de réformes centrées sur la santé et qui comprennent la réduction des risques et le traitement des personnes dépendantes. La recherche montre toutefois que ces services constituent un investissement bien plus efficace que la criminalisation, sur le continent comme ailleurs. Les débats sont souvent muselés par cinquante ans de propagande antidrogue. Mais dans les faits, la « guerre contre les drogues » n’est parvenue qu’à entasser des gens en prison, accélérer la transmission du VIH, et encourager les exécutions sommaires. Le coût humain et financier est effrayant.

Sortir de la camisole de force du régime international

Il y a toutefois des lueurs d’espoir. Le système judiciaire de l’Afrique du Sud a dépénalisé le cannabis à des fins d’usage personnel. Même chose au Ghana, qui s’est doté d’une loi courageuse. Les Seychelles ont adopté des mesures autres que la répression. Les traitements de substitution aux opioïdes sont en place au Nigeria, au Sénégal, au Kenya, en Tanzanie, à Maurice et au Maroc. Le Zimbabwe, le Malawi et le Lesotho ont légalisé le cannabis à des fins médicales. Malgré cela, les politiciens et les communautés d’Afrique peinent à sortir de la camisole de force imposée par le régime international de contrôle des drogues.

De longue date, nos pays ont appuyé ce régime de contrôle. Nous l’avons appliqué pour remplir nos obligations internationales et – nous a-t-on dit – lutter contre le crime organisé. Ce faisant, nous avons parfois perdu de vue notre devoir : protéger nos peuples et nos enfants.







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