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L’Afrique veut le libre-échange mais aussi le commerce équitable (Pr Kako Nubukpo)

Publié le mercredi 28 octobre 2020  |  Jeune Afrique
Conférence-débat
© aLome.com par Edem Gadegbeku & Parfait
Conférence-débat de Kako Nubukpo sur le CFA à l`Université de Lomé
Lomé, le 24 mai 2017. Université de Lomé, Amphi 1500. Campus Nord. Kako Nubukpo, Responsable de l`Economie numérique à la Francophonie, anime une conférence-débat autour du thème "Le Franc CFA, une servitude volontaire". Une rencontre à laquelle a pris part essentiellement un public universitaire.
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Le moment est venu pour l’Afrique de rompre avec le primat de la pensée de court terme et la structure coloniale de dépendance. L’heure est au libre-échange mais aussi au commerce équitable entre les deux continents pour l’économiste togolais.

Le sommet entre l’Union européenne (UE) et l’Union africaine (UA), reporté à 2021, sera une occasion cruciale d’affirmer que la relation entre les deux continents ne peut être mutuellement bénéfique que si l’Afrique produit ce qu’elle consomme.

L’Europe devrait à son tour mettre en pratique la solidarité qu’elle prône en principe, en soutenant le renforcement des capacités en Afrique pour l’autosuffisance. L’UA doit rester ferme, avec une vision claire et de long-terme, afin de forger avec l’UE un chemin commun et équitable vers la prospérité.

La pandémie de Covid-19 et l’urgence climatique ont à nouveau mis en lumière plusieurs lacunes africaines, notamment dans les secteurs de la santé et de l’éducation qui sont à la base du renforcement des capacités.


De fait, les crises ont préparé le terrain pour que l’Afrique mette un accent sans précédent sur le développement humain, qui est l’un des piliers de la transformation structurelle au cœur de nos discussions depuis soixante ans.

La diversification économique est un autre pilier de cette transformation structurelle. L’Afrique n’a longtemps été qu’un simple fournisseur de matières premières et un destinataire de produits finis. Ce rôle a été codifié dans les conventions de Lomé et l’accord de Cotonou dans le cadre UE/pays ACP (Afrique, Caraïbes et Pacifique), de sorte que les matières premières africaines bénéficient d’exemptions douanières de l’UE, mais que les exportations africaines transformées sont soumises à de lourdes taxes.

Un partenariat équitable exige un changement fondamental dans cette relation. C’est pourquoi l'accord de libre-échange africain (Zleca) constitue une excellente plateforme pour que les produits véritablement africains alimentent les marchés africains sur la base de règles d’origine et de contenu local strictes.

Toutefois, avant que la Zleca puisse restructurer les modèles de production et de distribution, il y a des contraintes à surmonter, parmi lesquelles : la coordination interne de l’Afrique, l’espace politique et la gouvernance.

Des négociations sont en cours entre les 33 pays les moins avancés (PMA) d’Afrique et les autres pays à faible et moyen revenu, davantage intéressés par une position africaine commune.

Actuellement, ces derniers ont un accès relativement limité aux marchés de l’UE dans le cadre du système de préférences généralisées (SPG), tandis que les PMA bénéficient d’un accès largement libre dans le cadre de l’initiative «Tout sauf les armes» du SPG.

De telles différences ont également des répercussions sur les discussions concernant les tarifs douaniers de la Zleca, entre des économies aux tailles extrêmement variées. Compte tenu de la plus grande vulnérabilité de l’Afrique au réchauffement climatique et de son besoin de soutien international, une meilleure coordination est également nécessaire pour une réponse collective aux effets du climat.

Pour ce qui est de l’espace politique, l’injection par l’Afrique d’environ 5 % de son PIB en réponse à l’impact économique du Covid-19 semble timide quand, dans le même temps, le reste du monde a injecté environ 20 % de son PIB.

Cela s’explique par la marge de manœuvre financière beaucoup plus réduite de l’Afrique ; un autre indicateur de notre besoin de reconquérir la souveraineté économique en termes de monnaie et de budget. Un problème connexe réside dans la tendance à penser au niveau macroéconomique dans le sillage de nos partenaires de Bretton Woods.

Un exemple en est l’appel lancé par les ministres africains des Finances en faveur d’un soutien international de près de 100 milliards de dollars au titre du Covid-19, qui constitue davantage une réponse au niveau macroéconomique que sectoriel alors que l’Afrique doit descendre au niveau de la grande majorité de nos acteurs économiques afin de renforcer leurs capacités et leur réactivité face aux crises actuelles et aux cadres émergents.

Une autre contrainte réside dans la qualité de la gouvernance, qui occupe un rôle important dans ce que l’on peut appeler « la dictature des urgences », ou la lutte permanente contre les incendies.

Outre le fait qu’elle reflète la présence ou l’absence d’un État capable de fournir des services et des perspectives économiques aux citoyens, l’instabilité politique et l’insécurité découragent également les IDE (investissements directs étrangers).

En octobre 2019, les dirigeants de la Cedeao ont décidé, de manière problématique, de classer les dépenses militaires comme des dépenses d’investissement public ; ce qui signifie que tous les types de ressources, y compris l’aide au développement, pourraient être détournés vers les dépenses militaires au détriment des écoles, des dispensaires, de l’électrification rurale, des routes et de l’eau potable.

Cela illustre le primat de la pensée de court terme qui, soixante ans durant, a exposé l’Afrique à de nombreux chocs prétendument exogènes qui, en réalité, ne font que révéler l’échec de notre continent à fournir une réponse structurelle aux défis du développement.

La transformation locale s’amorce avec le choix du produit approprié et l’élaboration des facteurs de réussite. L’erreur fréquente est celle de l’échelle, qui consiste à viser trop haut pour commencer. Si nous identifions le marché cible et utilisons l’énergie hydraulique et solaire à petite échelle, nous pouvons créer des entreprises prospères et travailler ensuite à l’échelle supérieure, sans avoir besoin de grands barrages ou de combustibles fossiles.

Par exemple, il semble évident que le développement d’une industrie textile serait plus facilement réalisable et plus largement et immédiatement bénéfique que le traitement de l’uranium qui requiert une plus grande technicité.

Le coton africain est déjà très prisé à l’étranger. Avec un marché de 400 millions de personnes, uniquement en Afrique de l’Ouest, et une coopération accrue entre les nations et les institutions régionales, les industries textiles pourraient prendre leur essor, et l’Afrique ainsi établir sa propre marque internationale. Le marché, le savoir-faire et les matières premières étant disponibles, la persistance d’un taux de transformation du coton fibre de seulement 3 % demeure un véritable défi à la raison.

Néanmoins, depuis au moins vingt ans, la Banque mondiale et le FMI nous obligent à autoriser les importations de vêtements de seconde main à inonder nos marchés via le désarmement tarifaire. Nous avons besoin d’un protectionnisme éclairé pour construire des industries compétitives.

Cela implique des changements politiques radicaux pour mettre fin à la structure coloniale de dépendance qui privilégie les exportations de matières premières pour les revenus étrangers tout en décourageant le financement bancaire pour la transformation locale et l’extension des marchés locaux. Cela suppose aussi d’éviter la malédiction des ressources, d’augmenter le contenu local, de transformer les chaînes de valeur et d’atteindre l’autosuffisance agricole.

La pandémie a mis en évidence la réactivité des réseaux locaux de production et de distribution reliant les zones urbaines, périurbaines et rurales pour répondre à la demande quand les importations alimentaires diminuaient. La promotion de ces réseaux locaux permet d’augmenter les revenus des zones rurales et urbaines, avec une très faible empreinte carbone.

Une telle promotion réduit également les liens entre les chaînes de valeur locales et continentales, ce qui illustre l’importance de la Zleca et d’une véritable libre circulation des personnes, des biens, des services et des capitaux à travers l’Afrique.

L’Afrique doit réduire les coûts de transport et d’énergie qui découragent les producteurs ruraux ainsi que les industriels. De meilleures routes et le développement actif de l’énergie solaire et de l’ hydroélectricité peuvent rapidement améliorer les perspectives de production et de commercialisation.

Il faut aussi exiger une gouvernance et une gestion de grande qualité, tant au niveau national qu’à celui des entreprises, de sorte que le capital ne soit jamais confondu avec le profit.

L’Europe a lancé un New Deal vert qui vise à réduire de moitié ses émissions de carbone d’ici à 2030 et à atteindre des émissions nettes nulles d’ici à 2050. Elle s’est également engagée dans une nouvelle stratégie pour l’Afrique qui reconnaît les intérêts et responsabilités respectifs et mutuels et promeut la croissance verte.

L’Afrique doit par conséquent rejoindre l’Europe, avec sa propre vision, forte d’un avenir vert et industrialisé. Cette vision ambitionne de transformer le rôle du continent, perçu comme un simple réservoir de matières premières et le destinataire de produits manufacturés. Cette vision rejette le néo-libéralisme qui protège les marchés européens et force l’ouverture des marchés africains.

L’Afrique veut le libre-échange mais aussi le commerce équitable, ainsi qu’un soutien bien ciblé, afin de parvenir à un partenariat gagnant-gagnant avec l’Europe.

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Kako Nubukpo

Doyen de la faculté des sciences économiques et de gestion de l'Université de Lomé et ancien ministre de la Prospective et de l'Evaluation des politiques publiques du Togo

© Jeune Afrique

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