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Afrique-France : «Le Sommet de Montpellier n’apportera rien de bon aux Africains»

Publié le jeudi 14 octobre 2021  |  Jeune Afrique
28e
© Autre presse par DR
28e sommet Afrique-France
Le sommet Afrique-France se déroulait vendredi 8 octobre à Montpellier dans le sud de la France. Une 28ème édition sans chefs d’État africains.
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Par Jean-Claude Djereke (Jean-Claude Djereke enseigne les Littératures francophones à Bryn Mawr College, Philadelphie, États-Unis).


L’événement qui s’est déroulé le 8 octobre n’est qu’un marché de dupes. Il ne visait qu’à reconquérir le cœur des Africains alors que le sentiment anti-français se propage sur le continent.

Il fut un temps où Achille Mbembe critiquait la politique française en Afrique et se gardait de caresser les dirigeants français dans le sens du poil. En 2010, par exemple, à une question de Christophe Boisbouvier de RFI, il répondait ceci : «Je pense que les Africains qui cherchent à réinventer leur futur gagneraient à oublier la France. Elle n’est pas le centre du monde. Il est temps de regarder ailleurs et de ne pas lui reconnaître plus de pouvoir qu’elle n’en dispose vraiment».

Pourquoi les Africains, d’après lui, devraient-ils se tourner vers d’autres pays ? Parce que «[s’ils] ne sont toujours pas à même de choisir librement leurs dirigeants, parce que les anciennes colonies françaises se sont transformées en satrapies gérées comme des fiefs privés, que l’on se transmet de père en fils».

Et Mbembe d’ajouter : «Le temps est venu de tirer un trait sur cette histoire ratée. Elle n’est porteuse d’aucun futur digne de ce nom. Au fond, cela aura été une relation passablement abusive qui ne reflète en rien la richesse et la densité des rapports humains établis depuis plusieurs siècles entre Français et Africains».

Avec la publication de Les Jeunes et l’ordre politique en Afrique noire (Paris, L’Harmattan, 1985) et Afriques indociles (Paris, Karthala, 1988), l’historien camerounais se positionnait indiscutablement comme l’un des penseurs africains avec qui il fallait compter dorénavant. En raison de la rigueur, de la vigueur et de la profondeur de ses analyses, je le percevais comme l’un des dignes héritiers des Jean-Marc Ela, Fabien Eboussi Boulaga et Mongo Beti.

En un mot, ses réflexions sur l’Afrique et la France forcèrent assez vite mon estime et mon admiration. Le «divorce» entre nous deux intervint en janvier 2011 quand Mbembe apposa sa signature sur un texte où des universitaires français, américains et africains (Elikia M’Bokolo, Mamadou Diouf, Paulin Hountondji et Ousman Kobo) décrivaient Laurent Gbagbo comme un «chef ethnocentriste».

Ce texte, je le trouvais tout simplement abject, non parce qu’il désavouait l’ancien président (même les Gbagbo ou rien ont le droit d’être en désaccord avec leur champion), mais parce qu’il ne donnait aucune preuve de ce qu’il affirmait.

En effet, comment peut-on accuser d’ethnocentrisme un président qui nomma à des postes-clés Dona Fologo, Mamadou Koulibaly, Paul David Nzi, Jean-Baptiste Akrou, Philippe Mangou, Sidiki Bakaba, Jacques Anouma qui ne sont pas de l’ethnie bété ? Un mois plus tard, Mbembe essaya de se racheter dans une interview où il disait ne pas savoir qui était le vrai vainqueur de l’élection présidentielle de novembre 2010.

Le sommet France-Afrique de Montpellier n’a concerné que les sociétés civiles africaine et française. De l’avis de Benoît Verdeaux, ancien numéro deux de l’Agence française de développement (AFD) en Côte d’Ivoire, il s’agissait de «réfléchir à réinventer, redynamiser les relations entre l’Afrique et la France».

Achille Mbembe affirme avoir accepté de copiloter la préparation du sommet parce que «des gestes ont été accomplis, [il] pense en particulier à la mission que [Macron] a confiée à [son] ami Felwine Sarr, qui a permis de rouvrir le débat sur les restitutions [des biens culturels africains], [et] permis un déclic des imaginaires. [Il] pense à l’autre mission, confiée à madame N’Goné Fall, qui a abouti à une grosse opération Africa 2020. Il y a des pas qui ont été accomplis en ce qui concerne le franc CFA… Et donc il y a un frémissement».

Doit-on croire l’historien camerounais quand il s’exprime de la sorte et qu’il se défend d’être une prise de guerre de Macron ? Peut-on partager son optimisme sur les rapports entre la France et ses ex-colonies? Emmanuel Macron tuera-t-il vraiment la Françafrique qui a fait tant de mal aux peuples d’Afrique francophone? Réussira-t-il là où tous ses prédécesseurs ont lamentablement échoué ? Notre réponse est «non».

Premièrement, selon un proverbe ivoirien, «c’est le soleil du matin qui sèche l’attiéké». Emmanuel Macron a eu quatre ans pour opérer un changement dans la relation entre son pays et ses anciennes colonies. Pour nous, cette métamorphose passe par la fermeture des bases militaires françaises installées dans certains pays africains, la fin de l’immixtion de la France dans nos affaires internes et la création d’une monnaie africaine par les Africains eux-mêmes.

Au lieu de cela, il a soutenu le troisième mandat anticonstitutionnel de Alassane Dramane Ouattara et d’Alpha Condé, validé la réélection de tel ou tel président ayant déjà passé plus de trente ans au pouvoir, gardé au Mali des soldats soupçonnés de s’adonner à des activités autres que celle définie dans le cadre de leur mission – à savoir, combattre le terrorisme –, établi un lien douteux entre les familles nombreuses et le manque d’éducation.

La seconde raison est la suivante : quitter l’Afrique signifierait, pour la France, ne plus avoir accès aux nombreuses richesses à sa disposition depuis six décennies. Il faut être fou pour se faire hara-kiri. Je ne vois pas le président français oser scier la branche sur laquelle son pays est assis. Elle a beau clamer qu’elle ne gagne rien en Afrique et qu’elle se saigne plutôt pour les Africains, la France aurait moins de poids et moins d’influence sur la scène internationale sans ces richesses.

Dès lors, chacun s’apercevra aisément de l’inutilité du sommet de Montpellier. Celui-ci n’a été organisé que pour tromper une fois de plus les Africains et essayer de les «reconquérir» au moment où, après le Centrafrique de Touadéra, le Mali d’Assimi Goïta est en train de remplacer l’ancienne puissance colonisatrice par la Russie, jugée plus humaine, plus sincère et plus compétente.

En d’autres termes, rien ne changera dans la relation franco-africaine après Montpellier, ce qui ne veut pas dire que le changement n’adviendra jamais.

Les adeptes africains et français de la Françafrique gagneraient, à cet égard, à lire ou à relire cet écrit de Jean-Paul Sartre : «Nos procédés sont périmés. Ils peuvent retarder parfois l’émancipation, ils ne l’arrêteront pas. Et n’imaginons pas que nous pourrons rajuster nos méthodes : le néocolonialisme, ce rêve paresseux des Métropoles, c’est du vent ; les “troisièmes forces” n’existent pas ou bien ce sont les bourgeoisies bidons que le colonialisme a déjà mis au pouvoir. Notre machiavélisme a peu de prise sur ce monde fort éveillé qui a dépisté l’un après l’autre nos mensonges. Le colon n’a qu’un recours : la force, quand il lui en reste ; l’indigène n’a qu’un choix : la servitude ou la souveraineté».













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