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Francophonie : la France doit se regarder en face pour avancer (Par Kaïs Mabrouk)

Publié le vendredi 11 novembre 2022  |  Jeune Afrique
118è
© Autre presse par OIF
118è session du Conseil permanent de la Francophonie (CPF) tenue du 18 et 19 novembre, sous la présidence de la SG, Louise Mushikiwabo.
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Le 18e sommet de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) se tiendra en Tunisie les 19 et 20 novembre. L’occasion d’analyser la gêne de certains pays membres, à l’heure de la tentation du Commonwealth.

Par Kaïs Mabrouk (Professeur franco-tunisien de télécommunication dans plusieurs établissements universitaires en France, Tunisie et Russie, également Deputy CEO de Bouebdelli Education GROUP.)


La langue française était, dans l’Afrique postcoloniale, la langue du peuple, la langue de la masse et la langue de l’éveil populaire. Cet outil d’expression permettait de consolider des pays compartimentés voire fragmentés par des dialectes locaux. Le français permettait aux citoyens d’un même pays de communiquer dans une langue standard, sans le complexe de l’accent ou de l’incompréhension. C’était un canal de valeurs nouvelles.

Indépendamment de son image de langue de colon, c’était une langue technique qui permettait à l’administration de fonctionner et au droit d’être clair. Aujourd’hui, l’élite francophone locale en a fait une langue d’exclusion, une langue de faux bourgeois, une langue de parvenus, une langue populairement rejetée.

«Un ressort à la contestation»

Habib Bourguiba, Léopold Senghor, Hamani Diori, et d’autres illustres francophiles ont travaillé sur cette idée d’une communauté guidée par une langue commune. En 1969, au Niger, cette idéologie s’est ouvertement annoncée. L’érudit francophone Senghor disait : «Nous, politiques noirs, nous, écrivains noirs, nous nous sentons, pour le moins, aussi libres à l’intérieur du français que dans nos langues maternelles. Plus libres, en vérité, puisque la liberté se mesure à la puissance de l’outil : à la force de création. Il n’est pas question de renier les langues africaines».

De nouveaux apôtres de la francophonie, tels Amin Maalouf dans son discours de réception à l’Académie française, ont aussi rappelé à l’Europe sa dette envers nos ancêtres: «Les mythes nous racontent ce dont l’Histoire ne se souvient plus. Celui de l’enlèvement d’Europe représente, à sa manière, une reconnaissance de dette – la dette culturelle de la Grèce antique envers l’antique Phénicie».

Bourguiba a dit du français, lors de son discours à Montréal, «(qu’il) représente un ressort à la contestation, s’il le faut, à l’affirmation de soi, toujours». N’avons-nous pas mené en Tunisie une révolution portée par le terme français «dégage», qui à la fois nous affirmait dans notre renouveau mais qui, en même temps, imposait un acte à la contestation ? N’a-t-il pas été repris par la métropole, et bien d’autres contrées pas du tout francophones, comme étendard et symbole d’émancipation et de revendication des libertés individuelles et collectives ?

Un humain sur quatre sera africain en 2050 ! Plusieurs pays d’Afrique parlent français et pour 21 d’entre eux, le français est une langue officielle. En 2050, 90% de la jeunesse francophone sera africaine. Le bon sens voudrait qu’on se saisisse de cet acquis, de ce «butin de guerre», sans pour autant négliger une langue qui s’impose comme syndrome de la mondialisation numérique, en l’occurrence l’anglais. Bien au contraire, les nations nouvelles seront polyglottes et pourquoi ne pas être précurseur pour bâtir des nations multilingues. Des nations qui renforcent le verbe local, qui s’amusent avec le verbe ancestral et qui dansent avec le verbe global.

L’anglais, valeur refuge

La France d’aujourd’hui a tenté, à maintes reprises, de se ressaisir de cet acquis culturel et de continuer à renforcer ce ciment sémantique. Néanmoins, elle n’a pas su se défaire du modèle de Foccart et de ses correspondants. Elle a réussi, avec un accord tacite, à négocier avec les gouvernants de l’époque à installer la langue française comme seconde voire première langue officielle des anciennes colonies.

Cependant, l’avènement du numérique et la prolifération de la vérité et de la connaissance ont poussé les masses à fuir cette langue et à trouver refuge dans l’anglais, par rébellion, par opposition, par populisme, plus que par appétence ou commodité. L’exemple du Rwanda en témoigne et la réussite économique de ce pays est communément associée à ce détachement. L’Algérie est en train d’évoluer dans le même sens avec l’installation de l’anglais, le Maroc également.

La France porte à elle seule, et à tort, l’étendard de la francophonie. Une responsabilité qui n’est pas taillée pour la nouvelle génération. Alors que la France mute, une grande partie en elle bute. Elle s’embourbe à cause d’une élite qui ne cesse de créer de faux problèmes, pervertissant ainsi sa conscience, clivant sa société, excluant sa diversité dans son pouvoir, dans sa pyramide et dans son visage pluriel. Au lieu d’embarquer tout ce beau monde dans un contexte de mondialisation, de réorganisation géopolitique, vers un avenir commun et global, hélas, elle cache ce qu’elle est devenue, par peur, par résistance, par complexe, par déni et par illusion.

Volonté populaire

En Afrique, la diplomatie française ne représente pas la nouvelle France. Les médias français ne reflètent pas l’authentique France. La France devrait se regarder en face et assumer ce qu’elle est devenue. C’est ainsi que la langue française embarquera le monde francophone agonisant vers une renaissance et permettra aux populations de s’y retrouver, de s’y reconnaître davantage.

La fin définitive et irréversible de la langue française en Afrique n’est nullement une volonté populaire. Le respect que nous portons à Albert Camus, Aimé Césaire, Frantz Fanon, Amin Maalouf, Tahar ben Jalloun, et Yacine Kateb nous force à agir pour préserver cette langue sur notre territoire, sans pour autant la rendre exclusive de manière fanatique. Les nations doivent jouir, écrire, penser dans leurs langues locales, voire leurs dialectes.
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