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«Togo, démocratie impossible?» de Jonas Siliadin
Publié le lundi 10 mars 2014  |  togosite


© Autre presse
Feu Gnassingbé Eyadema, ex-président de la république togolaise,


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Le livre est une réflexion sur les raisons de l’insuccès du projet démocratique dans notre pays. Il faut dire que cette préoccupation a fait déjà l’objet de plusieurs ouvrages. Mais ce livre dont nous nous sommes procuré les bonnes feuilles, est original à plusieurs égards.

Dans son analyse des difficultés de notre pays à se construire comme une démocratie républicaine, Jonas Siliadin évoque des constituants jamais explorés jusqu’ici.
Un chapitre est ainsi consacré à la « façon togolaise d’aborder les problèmes ».

L’auteur y explique les maladresses et les névroses collectives qui nous empêchent de régler de façon définitive les moindres difficultés qui surgissent dans nos rapports. En laissant ainsi les crises se sédimenter, nous conforterions chaque jour, les clivages et les freins à notre vivre ensemble. « Au Togo, nous avons du mal à ramener un problème à sa juste valeur et à endiguer les difficultés pour poursuivre le chemin ensemble.

Toute difficulté devient un blocage fatal comme si dans notre imaginaire collectif, le vivre ensemble devrait se résumer à un long fleuve tranquille, à une succession des faits sans rupture, suivant un scénario parfaitement huilé qui doit servir comme par enchantement, nos désirs individuels et collectifs.

Nous avons du mal, à ne pas systématiquement prendre partie pour tel ou tel autre. Nous n’avons pas pour premier réflexe de prendre de la hauteur et d’œuvrer ainsi à la synthèse, à la conciliation. Celui qui a notre faveur a systématiquement raison, celui qui nous ressemble a toujours le beau rôle ».

Un autre chapitre du livre explique «la perfectibilité de la culture politique des Togolais ». Pour l’auteur, la grande majorité de nos concitoyens est passionnée par la politique
dont elle a une vision idéelle et idéale. Jonas Siliadin souligne comment cette passion confrontée à la légèreté de notre maîtrise de la politique nous amène à compliquer voire à rendre impossible tout projet collectif. Il écrit :

«Cette vision de la politique qui a pour principale essence, l’imagination et le ressenti, a été renforcée par la lutte pour la démocratie. Très vite, nous prîmes l’habitude d’ériger
nos souhaits en faits certains, nos ressentis en constats objectifs, en habillant avec aplomb, toute cette imagination d’une conviction déroutante. (…)Et pour couronner le tout, le mensonge, l’exagération, la rumeur, les raccourcis constituent l’essentiel des opinions politiques.

Peu de souci est accordé à la rigueur des faits et à la recherche des preuves. La présomption d’innocence est une précaution rare»

Le chapitre se termine sur un constat remarquablement lucide : « Plusieurs formations politiques ont une base constituée de véritables « talibans» qui sont taupes envers leur leader et lynx envers ceux des partis d’en face. La rumeur la plus fantaisiste offre l’opportunité de vilipender et de demander « la mise à mort » du dirigeant d’un autre
parti alors que la plus flagrante des fautes est excusée voire niée dès lors qu’il s’agit de son gourou politique.

A côté des militants inconditionnels, prolifèrent des militants alimentaires pour qui la relation à un parti est une entreprise lucrative par laquelle on échange sa voix et sa dignité contre quelques billets de CFA. (…)

Réfugiés derrière ces prismes déformants, les Togolais se livrent une bataille d’opinions qui se résume à un jeu à somme nulle et qui a une conséquence grave sur le projet de transformation de notre société : les clivages ont du mal à bouger ; les synthèses qualitatives sont quasi impossibles à réaliser ; le projet démocratique est englué dans un bazar de commérages, de ragots et de perpétuel dénigrement, le tout saupoudré à souhait d’une intolérance qui n’a d’égal que le nombrilisme qui le nourrit ». Et le livre explore d’autres pistes inédites encore comme « l’amalgame entre la politique et la religion » ou « la fragilité de la nation togolaise ».

L’autre originalité du prochain livre de Jonas Siliadin, c’est qu’il est le premier ouvrage politique d’un ancien cadre du RPT. C’est donc la première fois qu’une analyse est menée sur la lutte démocratique avec le regard d’un opposant non natif. Ainsi sont retracées par le menu détail, les longues batailles au sein du feu RPT entre les réformateurs et les faucons, qui ont abouti à la lettre de Péré et au pamphlet d’Agbéyomé en 2002.

Bien plus intéressant, Jonas fait un diagnostic des difficultés de l’opposition, qui étonne par sa profondeur et sa précision : « Ce que je souligne, c’est que mes aînés appliquent systématiquement la logique, là où il faut faire de la politique, la cohérence là il faut faire appel au pragmatisme et le laisser-faire là où il faut de l’audace. Quand on observe attentivement ces comportements, ce sont des démarches pro-cycliques, en ce sens qu’ils contribuent à atteindre exactement le résultat redouté et à faciliter le travail au régime.

La culture du boycott en est la plus grande illustration. Egalement, ces démarches mises bout à bout, dans le temps, offrent une récurrence et une régularité qui leur confèrent un caractère mécanique et donc prévisible. Cela donne le sentiment que l’opposition n’a pas de stratégie propre dont elle aurait l’initiative et la maîtrise, une stratégie globale déclinée suivant une cohérence
transversale, sur les trois compartiments du temps : l’avant, le pendant et l’après.

Généralement, c’est la tergiversation avant, la cacophonie pendant et l’indignation après. En toutes matières, il apparaît que les leaders négligent la préparation et la recherche préalable d’une méthode ; le déploiement de l’action est donc chaotique voire incohérent ; le résultat n’est naturellement pas conforme à l’attente, il en est presque toujours le contraire.

La pérennité de ce triptyque entretient une loi non écrite : au Togo, le pouvoir pose les pièges, l’opposition y tombe pieds et poings liés, la communauté internationale dans sa grande hypocrisie, prend acte et le peuple désemparé ne comprend rien».

Il ajoute en guise presque d’avertissement : « La mission du politique ne consiste pas à espérer que ne survienne que ce qui est conforme à ses intérêts mais plutôt à agir de sorte que quoi qu’il arrive, cela finisse par servir ses intérêts, sinon, à ne pas les compromettre irréversiblement. Cela exige de l’action et de la virtuosité pour anticiper les difficultés, dénouer habilement les complications, et surprendre l’adversaire, de sorte à conserver le cap et à être à l’initiative le plus souvent possible».

Nos lecteurs sont sans doute habitués au style particulier de Jonas Siliadin avec qui notre journal s’entretient souvent. On lui connaît une rigueur et une certaine qualité pédagogique ; son prochain livre confirme une grande maîtrise de l’écriture et de la communication. Le texte est aéré, simple et fluide, il capte le lecteur et discrètement, irrésistiblement, l’entraîne des heures durant, en l’emmenant à s’interroger sur des événements, des concepts qui lui renvoient par moment, son propre reflet. Véritable travail de mémoire par moment, le livre apporte des pièces qui éclairent le puzzle de nos incompréhensions face à certains pans de notre histoire récente.

Mais l’auteur ne se contente pas de constater, d’expliquer, d’analyser. Il formule des solutions pratiques pour permettre de relancer la lutte avec un peu plus d’espoir
de progrès. Celles-ci sont enveloppées dans une théorie complète que l’auteur appelle « œcuménisme politique ». C’est selon lui, une façon de conduire les affaires de la cité, en s’inscrivant dans une approche qui transcende toutes les formes de clivages et en faisant du dépassement des difficultés, l’un des principaux moyens pour parvenir à bâtir ensemble le progrès démocratique.

« L’œcuménisme politique part de deux idées simples :
-première idée : il est impossible de faire progresser notre pays si les Togolais
se rangent de part et d’autre d’une espèce de ligne Maginot assidûment entretenue, si pouvoir et opposition s’ignorent continuellement, trouvant tout moyen pour refuser de travailler ensemble.

-Deuxième idée : pour bâtir un pays prospère et pérenniser le progrès dans tous les domaines, il ne suffit pas que nous acceptions de travailler ensemble ; encore faut-il que nous soyons capables de surmonter les difficultés qui peuvent survenir et décidés à continuer à avancer ensemble quelles que soient les péripéties ».

La dernière originalité de « Togo démocratie impossible ? » se trouve dans l’épilogue du livre intitulé « Ma part de responsabilité » où Jonas revient sur son propre parcours en faisant une courageuse autocritique. Chaque lecteur se fera son opinion sur ce parcours mais il faut reconnaître que la démarche inédite au sein de la classe politique.

La parution de ce livre à moins d’un an de la prochaine élection présidentielle est loin d’être un hasard. Dans la remarquable préface qu’il a signée pour le livre, Tino Agbélenko Doglo écrit : « Cet ouvrage aura le don de faire école, en ce qu’il nous extirpe de l’enfermement pour nous projeter dans l’avenir. Il est une exhortation à faire œuvre de Janus en portant un regard croisé entre le passé et l’avenir pour rendre possible la transmutation.

Il enrichit un débat devenu trop aride sur les voies de sortie de la crise, car il propose une grille de lecture nouvelle, totalement différente de celle par laquelle nous appréhendons les évènements d’ordinaire ».

« Togo : démocratie impossible ? » de Jonas Siliadin, paraîtra aux éditions l’Harmattan dans les prochaines semaines.

Samir A.

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