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André Kangni AFANOU, du Centre pour les Droits Civils et Politiques : « Les droits de l’homme, la torture, la réconciliation, la Cvjr, la liberté de presse, le Togo et moi… »
Publié le mardi 8 octobre 2013  |  icilome


© Autre presse
André Kangni AFANOU, Directeur Exécutif du CACIT


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Acteur important du processus d’évaluation de l’état des droits de l’homme au Togo par les Nations Unies dans le cadre de l’Examen Périodique Universel (EPU), le Directeur Exécutif du CACIT s’investit depuis de nombreuses années pour un Etat de droit dans son pays. Journaliste et juriste, André Kangni AFANOU est aussi l’un des principaux instigateurs de la plateforme citoyenne Vérité et Réconciliation, il suit de près la mise en application des recommandations de la CVJR (Commission Vérité Justice et Réconciliation). Alors qu’il revient d’une mission internationale en Mauritanie, il accepte de se livrer à la rédaction de Panorama en sa qualité de Coordinateur Afrique de l’Ouest et Centrale du Centre pour les Droits Civils et Politiques (CCPR-Genève).

Interview à la fois prolifique et pertinente. Lisons-la.

Vous revenez d’une mission en Mauritanie pour le compte du Centre pour les Droits Civils et Politiques basé à Genève. Des droits de l’homme, Pouvez-vous nous donner plus de clarification sur le contexte et l’objectif visé par cette mission à Nouakchott ?

Effectivement, en effet, depuis le début du mois d’août, j’ai eu l’honneur d’être le premier africain à intégrer l’équipe du Centre pour les Droits Civils et Politiques (CCPR) en tant que Coordinateur Afrique de l’Ouest et Centrale. Conformément au mandat du Centre, ma mission consiste à offrir un appui technique aux associations et organisations non gouvernementales œuvrant dans le domaine des droits de l’Homme en vue d’une implication efficiente dans le travail du Comité des droits de l’Homme des Nations Unies. En Mauritanie, j’ai animé, en faveur des principales organisations de défense des droits de l’Homme, un atelier qui visait à les informer sur le rôle et la mission du Comité des droits de l’Homme dans la défense et la promotion des droits de l’Homme en général et les droits civils et politiques en particulier. Nous avons surtout analysé la contribution que la société civile peut apporter pour l’évaluation de la mise en œuvre du Pacte International sur les Droits Civils et Politiques. Au final, nous avons travaillé sur la liste de questions que le Comité des droits de l’Homme a adressées aux autorités mauritaniennes. Dans les jours à venir, nous allons finaliser un rapport alternatif que la société civile mauritanienne va envoyer aux Nations Unies et suite à ce rapport, ma mission consistera à les dans les activités de plaidoyer et de lobbying auprès des membres du Comité en octobre prochain à Genève quand l’Etat mauritanien y sera aussi. La troisième étape de ma mission consistera à effectuer l’année prochaine une mission de suivi auprès du gouvernement mauritanien en vue de vérifier l’état d’application des observations finales que le Comité des droits de l’Homme va formuler.

Le TOGO était devant le Comité contre la torture en novembre 2012 et, avec d’autres défenseurs des droits de l’Homme, vous avez fait un travail remarquable à Genève. Quel lien il y-a-t-il entre ce précédent et votre mission en Mauritanie ?

D’abord je vous remercie des encouragements que vous formulez à notre endroit en estimant que le travail que nous avons fait dans la perspective du passage du Togo devant le Comité contre la torture était remarquable. Ce que je peux dire, c’est que c’est trois dernières années ont été riches en rendez-vous pour le Togo et j’ai eu particulièrement la chance d’être présent à chacun de ces évènements de taille. Ces rencontres portaient toutes sur les droits de l’Homme mais chacune
était différente. A New York en mars 2011, le Togo devait faire le point de la mise en œuvre du Pacte International pour les droits civils et politiques, à Genève en novembre 2011, c’est la situation générale de tous les droits y compris les droits économiques, sociaux et culturels et les droits catégoriels (femmes, enfants, personnes handicapées…) qui a fait l’objet de l’examen du pays. En novembre 2012 devant le Comité contre la torture, l’Etat togolais devait rendre compte de la mise en œuvre de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradant. Mais à chaque fois, pour que les Nations Unies puissent avoir une opinion la plus objective possible sur l’état des lieux, la participation de la société civile est encouragée. C’est ce que nous avons fait au niveau du Togo et nous nous réjouissons d’ailleurs qu’à chaque fois, nous ayons pu offrir un point de vue alternatif sur la situation des droits de l’Homme et surtout les preoccupations qui sont les nôtre alors que le gouvernement pour sa part pouvait sembler donner l’impression que tout va bien dans le meilleur des mondes. L’année dernière par exemple, le Comité Contre la Torture, grâce à nos contributions et celles d’autres acteurs, a pu voir à quel point l’impunité et la torture étaient
des phénomènes graves au Togo.

La mission en Mauritanie est assimilable à ce que nous avions déjà fait lors du passage du Togo à New York. Il s’agira d’évaluer la mise en œuvre du Pacte sur les droits civils et politiques.

Après tous ces passages devant les Nations Unies, est ce que vous estimez que le Togo a fait des efforts jusqu’à ce jour?

Comme je vous l’ai dit dans la précédente question, ce que nous avons constaté, c’est qu’à chaque fois, les gouvernements donnent l’impression qu’ils font de leur mieux pour que les droits de l’Homme soient respectés. Mais en ce qui nous concerne, nous avons des raisons de douter de la bonne volonté de l’Etat togolais par exemple dans certains domaines comme la lutte contre l’impunité et la torture.

D’abord la lutte contre l’impunité, au-delà des violences de 2005 dont nous avons encore des difficultés à connaitre les vrais auteurs, nous avons vu des jeunes miliciens sortir des machettes et des gourdins cloutés, en pleine journée au vue et au su des forces de sécurité. Le ministre Yark Damehane nous a dit que son enquête est bouclée mais jusqu’à ce jour, il semble que la justice tarde à faire son travail. C’est difficile à comprendre. Tenez, que ce soit en 2011 ou en 2012, les défenseurs des droits de l’homme et les Nations Unies se
sont montrées préoccupées par les allégations de torture commis dans les locaux de l’Agence Nations de renseignements (ANR). Non seulement les auteurs ne sont pas punis à ce jour mais c’est le président Koffi Kounte qui a mené l’enquête sur ces évènements qui a dû fuir le pays et, jusqu’à ce jour, n’est pas revenu.

Comment pouvez-vous comprendre cela ?

L’impunité existe aussi malheureusement dans les faits et dans le droit. En effet, les autorités et les magistrats se cachent derrière le manque de disposition incriminant la torture dans le Code pénal pour ne pas amener les auteurs à répondre de leurs actes. Or, il est constant, comme l’a rappelé un expert du Comité contre la torture à l’Etat togolais, que nul ne pouvant se prévaloir de sa propre turpitude, le Togo ne peut pas justifier le manque de sanction par les carences dans les textes. De plus, la Convention de Vienne sur le droit des traités interdit à l’Etat de justifier la non application de la Convention contre la torture par les carences dans la législation nationale.

Enfin, nul ne sait d’ailleurs, jusqu’à ce jour, quand est-ce que ce nouveau code pénal et le nouveau code de procédure pénal vont être adoptés. Pour nous, ce sont de mauvais signaux que l’Etat togolais donne.
Dans tous les cas, il est constant aujourd’hui dans la jurisprudence internationale, que plus un pays n’est réticent pour juger les auteurs des cas graves, plus la justice international n’est amenée à s’autosaisir. Regardez ce qui s’est passé en Côte d’Ivoire avec Laurent Gbagbo d’abord, Simone Gbagbo plus récemment. Regardez ce qui se passé au Kenya.

Vous venez d’intégrer le Centre pour les Droits Civils et Politiques (CCPR) en tant que Coordinateur Afrique Occidentale et Centrale. Quelle lecture faites-vous de la situation globale des droits de l’homme en Afrique subsaharienne ?

Je connais bien la situation au Togo ; je viens de travailler sur la Mauritanie et je vais bientôt travailler sur le Tchad. Je connais aussi, à travers les médias ou, par le biais d’autres collègues, la situation dans beaucoup d’autres pays d’Afrique Sub Saharienne. Ce que je peux dire sans être exhaustif, c’est que nous avons deux catégories de pays : ceux qui, comme le Ghana, le Sénégal, le Bénin… font des efforts pour consolider l’Etat de droit et respecter les droits de l’Homme, et de l’autre, ceux qui se contentent de la théorie mais violent les droits de l’Homme dans la pratique. Dans la première catégorie de pays, les défis existent par endroits mais le système judiciaire ainsi que les institutions de régulation de la gouvernance sont opérationnels et, de par leur indépendance, permettent d’équilibrer le jeu. mais dans la plupart des autres pays, et le Togo se situe dans cette catégorie, nos gouvernants clament leur volonté de construire des Etats de droit, mais le système semble verrouillé, la justice peine à jouir pleinement de son indépendance, les institutions comme la Commission Nationale des Droits de l’Homme sont plus dans l’auto censure à propos des cas emblématiques de violation des droits de l’Homme, les medias sont contrôlés et le pouvoir s’assure de mettre ses hommes de main à la tête des principales institutions de garantie des droits civils et politiques.

Contrairement à ce qui se passe dans un pays comme les Etats Unis d’Amérique où lorsque le président veut nommer quelqu’un à des postes importants, il y a des filtres et un système de check and balance qui permet de s’assurer que la compétence et de la probité de la personne, au Togo par exemple, c’est le contraire qui se passe. Tout est mis en œuvre pour que les contrepouvoirs de poids soient réduits au maximum.
or, il est connu depuis connu depuis Montesquieu et L’Esprit des lois que « c’est une expérience éternelle que tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser (...) Pour qu’on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir ». [
Dans nos pays, il n’y a pas de contrepoids effectif et donc tous les abus, surtout en matière de droits de l’Homme sont commis et, malheureusement, permis.

Un ministère pour la mise en application des recommandations de la CVJR vient d’être créé au Togo. Pour vous qui travaillez sur la problématique de la justice transitionnelle, de la paix et la réconciliation, quelle est la portée de cet acte ?force ou pertinence ?

J’étais hors du pays quand la composition du gouvernement a été annoncée. Je dois vous avouer que j’étais très attentif à deux portefeuilles essentiellement. La justice et les droits de l’Homme. D’abord la justice parce qu’il nous a semblé que le précédent ministre était peu ouvert à la collaboration avec la société civile.
De plus, il faisait souvent beaucoup de promesses mais posait peu d’actes. Son départ n’est pas une mauvaise pour nous. Son remplacement par monsieur Essaw Koffi que nous connaissons comme un chrétien engagé nous donne l’espoir qu’il va y avoir plus de garantie de bonne foi en ce qui concerne l’administration de la justice dans notre pays.
Quant au ministère des droits de l’Homme, nous constatons simplement que c’est M. Hamadou qui est revenu à ce département. C’est un militant connu des droits de l’homme qui a déjà eu en charge le département des droits de l’Homme. Il a d’ailleurs beaucoup travaillé à accompagner la Commission Justice Vérité et Réconciliation lorsque celle-ci était en activité. La cerise sur le gâteau, c’est que le Chef de l’Etat et le Premier Ministre aient jugé utile d’ajouter la « mise en œuvre des recommandations de la CVJR dans la dénomination officielle
du ministère des droits de l’Homme. C’est un signal très fort que nous saluons. Car cela montre clairement que le ministre Hamadou devrait être comptable de la mise en œuvre rapide de ce rapport, en tout cas avant 2015, date théorique où, avec l’élection présidentielle, il y aura certainement une nouvelle équipe gouvernementale. En ce qui nous concerne, nous sommes prêts à accompagner le ministre et l’ensemble
du gouvernement pour qu’en mettant effectivement en œuvre les recommandations de la CVJR, on puisse poser des bases claires pour la fin de l’impunité et la construction d’une architecture durable de paix au Togo. Sans cela, la situation serait fragile. Vous savez quoi, j’ai participé récemment à un atelier organisé par le Système des Nations Unies avec le Centre Koffi Annan ici même au Togo. Notre pays était décrit comme « le risque d’éclatement de conflit dépasse le simple stade de la probabilité». Les signaux sont aux rouges et il nous appartient à tous, à commencer par le gouvernement, d’œuvrer pour que cette situation change. La mise en œuvre effective du rapport de la CVJR est une des
voies pour y arriver.


Pour finir, on a constaté une dégradation de la liberté de presse au Togo, ne vous inquiétez vous pas d’une reculade ?

Bien sûr que nous sommes inquiets. Je parlais tantôt des contrepouvoirs qui doivent exister dans un Etat pour que l’Etat de droit soit une réalité et que les abus de toutes sortes soient évités. Une presse libre et indépendante est un indicateur de la vitalité d’une démocratie.
Dans notre pays, il y a eu des heures de gloire où la presse a été plurielle et véritablement indépendante. Mais depuis quelques mois, on a comme l’impression que le pouvoir met tout en œuvre pour que les voix dissonantes au niveau de la presse soient réduites au maximum.
Les autorités ont essayé il y a quelques mois de doter la Haute Autorité de pouvoir quasi juridictionnelles ; heureusement que cette loi, contraire à la Constitution, a été amendée par la suite. Radio X Solaire a été fermée. Depuis longtemps, des informations circulaient, comme quoi, on voulait fermer Radio Légende et depuis quelques semaines, c’est effectivement le cas. Entre temps, des plaintes concernant des réticences de la Haute Autorité à donner des récépissés aux organes de presses dont les initiateurs ne seraient pas « favorables » au pouvoir, nous ont été signalées. Mais nous sommes en contact avec la HAAC pour que les choses se normalisent. Note espoir, c’est que, dans tous les cas, nous n’arrivions pas au niveau où toute la presse sera obligée de voir dans la même direction. Il me plait d’ailleurs de rappeler que la presse libre n’est pas un privilège des journalistes ou un cadeau que les gouvernants font à la population. C’est un droit des citoyens. Souvenez-vous de Jefferson qui disait « Je préfère un pays sans gouvernement et avec presse que l’inverse ». Je partage pleinement cet avis.

Il me plait de terminer avec ces mots de Johnnie Carson, Sous-secrétaire
aux affaires africaines qui disait au département d’Etat à Washington, DC le jeudi 1er novembre 2012 que la démocratie ne se limite pas qu’aux
élections, lesquelles permettent à des sociétés démocratiques de choisir leurs dirigeants. La démocratie, a-t-il, transcende les élections. «La démocratie, c’est la presse libre et indépendante, c’est la justice
libre et indépendante, les assemblées législatives indépendantes, et la
protection de la liberté d’expression. Et, c’est assurer les droits individuels
et les droits des sociétés et des entreprises également». Nos gouvernants
ont le devoir de faire en sorte que le Togo aille à ce niveau ; pour notre
part, nous allons y veiller.

Propos recueillis par MAX-SAVI Carmel

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