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Interview / L’ancien ministre d’Etat, ministre des Finances, Emile Elom Dadzie rompt le silence : « Je reste sceptique quant au bien fondé de l’Office togolais des Recettes qui reste une supercherie
Publié le jeudi 7 novembre 2013  |  Liberté hebdo


© Autre presse
L’ancien ministre d’Etat, ministre des Finances, Emile Elom Dadzie


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Togo -
Depuis plus d’un an, le gouvernement togolais a décidé de fusionner les douanes et les impôts en Office togolais des recettes (OTR) en vue de permettre une visibilité dans les recettes et d’avoir une performance. Un projet qui fait son chemin avec les appels à candidature des commissaires lancés le mois dernier par le ministre de l’Economie et des Finances, Adji Otèth Ayassor. Ayant découvert la liste des membres du Comité de pilotage au ministère des Finances, nous avons approché l’un d’eux, l’ancien Directeur général des douanes et ancien ministre d’Etat, ministre de l’Economie, Emile Elom Dadzie, pour mieux cerner les contours de ce projet présenté comme le remède contre la mauvaise gouvernance. Après moult relances, l’ancien ministre accepte de répondre à nos questions et aborde les problèmes sans langue de bois. « Je prends plus de risque encore de penser que les initiateurs de ce projet connaissent trop ou trop peu ou pas du tout les spécificités des Administrations fiscale et douanière pour insinuer que leur fusion soit le remède magique aux maux qui minent nos finances publiques », affirme-t-il. Lecture.

Bonjour Monsieur le ministre ! Bien que l’Office togolais des recettes soit décrié par nombre d’experts, nous avons découvert au cours de nos recherches que vous faites partie du Comité de pilotage mis en place par arrêté 227/MEF/CAB du 2 octobre 2012. En tant qu’ancien Directeur général des Douanes et ancien ministre d’Etat, ministre des Finances, pensez-vous que cet Office va booster l’économie togolaise ?
Je me serais abstenu de répondre à votre interview si vous n’étiez, je ne sais par quelle alchimie, en possession d’une copie de l’arrêté de nomination des membres du Comité de pilotage chargé d’appuyer la mise en place de l’office togolais des recettes (OTR) et dont je fait partie.

Si mon nom y figure et que j’ai participé aux travaux avec les experts du Cabinet sélectionné, ce n’est pas pour autant que j’adhère pleinement à l’initiative de créer un office des recettes en lieu et place des deux régies à savoir: l’Administration des Douanes et celle des Impôts et Contributions directes. Je ne suis pas de nature polémique, je ne saurais encourager la fronde ou émettre des critiques stériles et inutiles à l’endroit d’une institution fut-elle politique ou autre.

Vous avez l’air d’accuser les membres de ce comité de s’être comportés comme « des moutons de Panurge ». Je refuse cette appréciation en précisant deux (2) choses: d’abord que le comité n’avait qu’un avis consultatif. Ensuite, le comité a formulé des recommandations et identifié certaines anomalies graves contenues dans l’étude du cabinet qui n’ont pas été prises en compte. Je ne trahis pas un secret par exemple en vous communiquant que c’est devant nos réticences et objections que des deux milliards nécessaires pour accompagner le personnel à dégrossir ne seront pas pris en compte par le budget. Encore que cette déflation ne me semble pas personnellement justifiée à cause des missions assumées par cette catégorie d’agents. Je vous livre mon opinion sans que cela puisse empêcher en quoi que ce soit les décideurs de poursuivre leur logique.

Je précise n’être en quête d’aucune notoriété ni à la recherche de médailles supplémentaires, encore moins d’une promotion. Pourquoi croire que, contrairement à la démocratie qui n’est pas « un prêt à porter », l’office des recettes made in RWANDA ou GHANA puisse être la potion magique à guérir nos finances de leurs maux. Je suis donc loin d’établir que la création de l’Office togolais des recettes soit un gage infaillible d’un meilleur recouvrement des recettes pour la douane et les impôts encore moins une panacée contre la corruption et pour une meilleure gouvernance. L’histoire retiendra que j’ai participé aux travaux du comité de pilotage de la mise en place de l’OTR mais que ma vision et approche sont contraires à celles des concepteurs. Il y a donc lieu de surseoir d’aller à pareille aventure susceptible de déstabiliser des finances publiques de notre pays et qui aura pour conséquence de briser le moral et l’élan des agents des Administrations douanière et fiscale.

Je prends d’abord le risque de croire qu’il y a un peu trop d’enthousiasme et un peu de précipitation dans le processus conduisant à la mise en place de l’Office togolais des recettes. Cela pour une raison simple. A mon humble avis, avant l’adoption de la loi portant création de l’OTR, l’on doit modifier au moins l’organigramme du ministère de l’Economie et des Finances et redéfinir ses attributions et compétences. Je prends plus de risque encore de penser que les initiateurs de ce projet connaissent trop ou trop peu ou pas du tout les spécificités des Administrations fiscale et douanière pour insinuer que leur fusion soit le remède magique aux maux qui minent nos finances publiques.

Je reconnais certes mes insuffisances et mes limites en matière douanière et fiscale. Cependant, les statistiques des recettes recouvrées par ses administrations, sur les trois dernières années et qui ont connu une évolution de 10 à 25% me dissuadent d’avaliser leur transformation en Office togolais des recettes. Je reste sceptique quant au bien fondé de ce projet qui, à mon sens, reste une supercherie. Je suis persuadé que si un compte rendu fidèle et sincère avait été fait au Ministre de l’Economie et des Finances que j’admire de nos réunions avec le Cabinet sélectionné pour la mise en route de l’OTR, il aurait été affadi dans son élan de créer l’Office. Sans violer le secret de nos réunions et sans impliquer les autres membres du Comité de pilotage à mes propos que j’assume comme citoyen, je souhaite que d’autres études et réflexions soient diligentées avant quelque décision que ce soit.

Mais le gouvernement vient de franchir un cap en lançant des avis de recrutements des commissaires…
Oui, j’exprime ma surprise au vu de la parution dans la presse des appels à candidatures des commissaires des Douanes, des Impôts et des Services Généraux. En effet, lors de la dernière séance de travail que nous avions eue avec le cabinet sélectionné pour assister le Gouvernement dans la création de l’Office togolais des recettes, beaucoup d’observations et recommandations ont été formulées. Des insuffisances et incohérences ont été identifiées auxquelles on doit remédier pour éviter les conséquences fâcheuses et désastreuses que la mise en vigueur de l’office pourrait entraîner. J’ai personnellement affirmé mon avis sur l’inopportunité de ce projet parce que les arguments devant le motiver sont fallacieux et ne résistent pas à une analyse financière objective. Cela n’est pas une initiative géniale et rationnelle de croire aveuglement que le «prêt à porter» made in RWANDA ou made in GHANA soit transférable ou transportable sans retouche au TOGO. Sans trahir leur confiance, l’expert fiscaliste et celui de la douane retenus par le cabinet pour les études exploratoires des deux régies ont bien déclaré suite à nos objections que nous avions dans la sous-région les deux meilleures administrations fiscale et douanière du point de vue du rendement. Les affirmations non étayées de preuves palpables ne sauraient justifier la création d’un Office des recettes au TOGO.

Qu’on nous dise au moins le contexte dans lequel cela a été initié au RWANDA. Quel est le niveau de recettes recouvrées par les Douanes et les Impôts du RWANDA avant sa mise en route? Quel était le profit des agents avant le démarrage ? L’évolution de nos recettes par rapport aux prévisions est-elle acceptable? L’impulsion qu’on veut leur donner est-elle possible avec les structures classiques actuellement en place ?
A mon avis, le Gouvernement a surement d’autres raisons peut-être politiques pour mettre en place une reforme qui risque d’être onéreuse sans grand impact sur les finances publiques. On ne saurait perdre de vue l’enthousiasme et l’espoir suscités par la création de la Société des Ciments de l’Afrique de l’Ouest (CIMAO) par trois pays de la Sous-région à savoir : la Côte d’Ivoire, le Ghana et le Togo après de solides études conduites par la Banque Mondiale et sa filiale la Société Financière Internationale (SFI), et qui s’est soldée par un fiasco retentissant. Cette assertion pour dire que les études sont ce qu’elles sont et les réalités peuvent se révéler contraires ou décevantes. Je déplore sans que je puisse les blâmer l’attitude des experts du Fonds Monétaire International et de la Banque mondiale qui, sûrement au nom d’une certaine souveraineté d’Etat, ont manqué de fermeté dans l’appréciation de ce choix OTR par le TOGO. Plus proche encore des études ont conclu à la vitalité d’une fusion de la Régie des Eaux et la Compagnie Energie Electrique du TOGO. Peine perdue, c’est un échec qui ne dit pas son nom.
Pour vous, l’OTR n’est-il pas une panacée à la mauvaise gouvernance comme le défendent ses promoteurs ?
Si le TOGO est en programme aujourd’hui avec les principaux bailleurs de fonds, c’est grâce à la performance et surtout aux satisfaisants résultats engrangés par les Douanes et les Impôts. De plus, ces institutions n’ont, au cours des différentes revues des programmes, identifié quelque dysfonctionnement au niveau desdites administrations. Pourquoi alors veut-on les désorganiser avec une reforme insuffisamment élaborée et presque inutile ? Les objections et réflexions que je vous communique sont celles que j’ai faites en son temps lors de nos réunions. C’est en cela que je pense, que si compte rendu fidèle a été fait par les représentants du ministre à nos assises, il saurait que le TOGO peut être dispensé de ladite réforme qui est préjudiciable au plan social avec la déflation d’une catégorie d’agents mais également au plan des finances avec la démotivation des agents et par conséquent des recouvrements hypothétiques. Préservons comme la prunelle des yeux les administrations qui donnent des résultats, quitte à leur assigner dans l’avenir des objectifs plus ambitieux, mais dans leurs structures classiques qui sont identiques dans tous les pays de tradition francophone.

Si je m’abstiens de parler pour ne pas attirer l’attention des autorités sur ces préoccupations graves, j’aurai péché par omission. Mais j’exerce, je pense, mon devoir de vérité, et connaissant sans me tromper les deux régies et leur concours dans le budget, je ne saurai participer à leur décapitation.
En fait, le FMI et la Banque mondiale et tous les autres sont des banques avant tout et elles attendent sûrement de financer le TOGO en cas de difficultés. Cela n’est pas évident que l’OTR fasse école auprès des autres Etats Francophones très ancrés sur les principes budgétaires surtout l’unicité de la caisse du Trésor.

Mais pourquoi veut-on créer un office des recettes alors que les douanes et les impôts marchent et réalisent des performances d’année en année ? Les membres du Comité de pilotage et même le Cabinet peuvent se rappeler cette boutade que j’avais prononcée lors de la dernière réunion : Reformer les administrations des Douanes et des Impôts du TOGO, « c’est comme un médecin qui pratique l’avortement sur une femme qui n’est pas enceinte ». Cela est un délit et donc punissable.

Mais ma vérité, c’est que l’Office togolais des recettes est inopportun parce que n’ayant pas cerné tous les aspects des missions qui incombent spécifiquement aux deux régies. Par exemple, la mission économique et de surveillance des frontières de la douane n’ont pas été effleurées dans les études du Cabinet. Je me serais gardé d’émettre une quelconque opinion sur cette reforme si mon nom n’a pas été mêlé à sa mise œuvre. Les arguments soulevés ne m’ont pas convaincu. Je rappelle en passant cette morale tirée d’une des fables de l’écrivain moraliste français La Fontaine. Je cite:
« Un tiens vaut, ce dit-on, mieux que deux tu l’auras » (L’un est sûr, l’autre ne l’est pas).

Le titre est: le petit poisson et le pêcheur. Cette assertion pour ponctuer le rôle que jouent les deux régies depuis l’indépendance de notre pays et dans nos finances
Affirmer que cela a réussi au RWANDA n’est pas scientifiquement acceptable. Pour corroborer les contradictions et incohérences du Gouvernement dans cette option OTR, voici qu’après le lancement du processus de recrutement des commissaires, il adopte un nouveau code des douanes confirmant que sa seule tutelle hiérarchique demeure le Ministère de l’Economie et des Finances.

J’admire par contre la lucidité du Ministre de l’Economie et de Finances qui, au lieu d’ouvrir le poste des trois commissaires aux autres nationalités, l’a circonscrit aux Togolais mettant hors jeux les velléités du « cousin RWANDAIS » et de la « nièce BURUNDAISE ».

Vous avez entre-temps parlé de déflation du personnel des deux régies. En tant qu’ancien Directeur général des Douanes, quel regard portez-vous sur cet état de chose ?
Ma réflexion n’a aucunement pour but de dénigrer le projet, mais de suggérer des pistes pour améliorer l’ossature et le fond afin d’éviter de tomber dans le piège d’une reforme trop onéreuse pour l’Etat. Je souhaite fortement que le TOGO ne se singularise pas en adoptant une pareille reforme. Je ne manquerai jamais de respect envers les autorités de mon pays si elles adoptent des reformes en phase avec les exigences nationales et communautaires. S’agissant de la proposition de dégrossir le personnel, je ne pense pas que l’on puisse, après deux semaines d’étude sur le fonctionnement des Douanes et des Impôts, décréter de mettre fin aux fonctions de plus de cinq cents (500) agents. Cela prouve à dessein l’ignorance des réalités et surtout les spécificités de ces administrations.
Quelques unes, des taches exécutées par ces agents sont : la surveillance des frontières, l’écor des marchandises, le dépotage et l’empotage des containers, la visite des entreprises en zone franche, l’escorte des marchandises, le contrôle physique des marchandises, la vérification des normes, la détermination et la fixation des taxes foncières et locatives, le contrôle de l’Impôt sur le Revenu des Transporteurs Routières (IRTR), tout cela n’est pas maîtrisé par un équipement informatique aussi sophistiqué que cela pourrait être. Il s’agit donc d’agents recrutés et payés à partir des indemnités régulièrement octroyées aux administrations douanière et fiscale qu’il s’agisse de primes de rendements, d’encouragement et plus récemment de primes d’incitation recommandées par le FMI et la Banque Mondiale afin de mettre les agents à l’abri de la corruption (Décret: 2006-121 PR du 20 Septembre 2006). Le problème social que peut induire la mise sur les carreaux de plus de cinq cents (500) agents mérite réflexion et étude minutieuses avant toute décision.

S’agissant du statut de l’OTR, on comprend difficilement que l’argent des contribuables, les deniers publics autrement dit des recettes de l’Etat soient recouvrées et gérées par un Office ayant un statut d’Etablissement public à caractère administratif et jouissant d’une autonomie administrative et financière au mépris des règles élémentaires de l’orthodoxie des finances publiques en vigueur dans la tradition francophone. Cette réforme pose un réel problème à mon sens car les structures créées pour gérer l’Office, n’étant pas publiques, en quoi seront-elles responsables devant les bailleurs de fonds en cas de contre-performance de l’OTR ? En ce qui concerne la composition du Conseil d’Administration de l’Office, quel rôle va jouer le secteur privé qui est en même temps contribuable?

N’étant pas dans les confidences des décideurs, je pense néanmoins que l’OTR ne me semble pas urgent et indispensable pour notre pays. Le Gouvernement qui a conduit avec rigueur certaines reformes qui portent des fruits, peut, avant toute décision, faire poursuivre l’étude et la réflexion par des experts qui ne manquent pas à notre pays et qui ont appuyé des reformes fiscales de certains pays de la sous-région sous le contrôle du FMI.

Les agents de l’OTR prêteront-ils serment ? Fourniront-ils des cautions financières? Quels seront le coût et la rémunération des administrateurs de l’OTR ? Voilà quelques propositions à explorer avant de passer à une étape supérieure.

Au sein de ces deux régies financières, il est souvent fait état de corruption et d’enrichissements illicites. Selon vous, que faut-il faire pour rectifier le tir ?

S’agissant de la corruption, les brebis galeuses affluent dans la société et ne dispensent pas le fisc. Le péché originel collant à la peau de tous les agents du fisc est d’être traités et taxés de corrompus. Mais s’est-on jamais soucié de savoir au moins ce qu’ils gagnent légalement? Je me réserve de vous communiquer une liste de toutes les indemnités allouées légalement aux agents du fisc. Je me bornerai à préciser que même dans les pays socialistes les agents du fisc reçoivent les primes d’encouragement, de rendement et du travail extra-légal en plus de leur salaire. La corruption est une réalité indéniable reconnue sous diverses formes et pratiquée de diverses manières. Je vous renvoie au livre de notre compatriote le Maître de Conférences Essè Amouzou dont le titre est: « Sous le poids de la corruption », pour toute réponse. Autrement à la question de savoir « si la corruption existe au TOGO », la réponse à 100% est affirmative. Ce livre dresse un catalogue de tous les secteurs qui baignent dans la corruption et confirme que tous les domaines sont touchés par ce fléau. En ce qui concerne les agents du fisc qui sont naturellement mes collègues, je ne saurais m’engager sur leur moralité encore moins sur leur immoralité. Peut-être ont-ils réussi à corrompre les membres de la commission anticorruption.

Je n’ai pas à ma connaissance d’affaire traitée par la commission anticorruption mise en place par le Décret Présidentiel du 9 Mars 2001 concernant les agents des Douanes et des Impôts. Croire que l’OTR puisse mieux dissuader les agents que le Code d’éthique ne me rassure pas. Je souhaite enfin que ceux qui crient haro sur les agents du fisc, fassent leur propre examen de conscience et surtout lisent le livre de référence cité plus haut avant de «lapider la femme adultère ». Nous nous pardonnons tout et rien aux autres hommes (cf. LA Fontaine dans la BESACE).
D’ailleurs le Code d’éthique et de bonne conduite des fonctionnaires des douanes prévoit dans ses articles 76 et 77 des sanctions très sévères et dissuasives à l’endroit des agents indélicats. De sorte que les agents ne peuvent que rentrer dans les rangs ou démissionner de leur propre gré.
Réalisée par Godson KETOMAGNAN

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