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Liberté N° 2063 du 4/11/2015

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TOGO : Un mode de désignation des magistrats qui impacte leur indépendance
Publié le jeudi 5 novembre 2015  |  Liberté




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Le 23 octobre dernier, le Conseil supérieur de la magistrature a présenté son rapport d’activités des quatre dernières années. Au-delà de leurs recrutements, affectations, avancements et des tâches qui leur sont dévolues, le mode de désignation des magistrats pose problème, en comparaison avec ce qui se fait sous d’autres cieux. Pendant qu’ils sont élus et agissent au nom des peuples qui les ont mandatés dans les systèmes anglophones, c’est par voie de nomination qu’ils exercent leur fonction. De quoi alimenter les suspicions de dépendance vis-à-vis de l’autorité qui les a nommés. Et ce phénomène est d’autant plus justifié lorsqu’il s’agit des magistrats du parquet.

En prenant la parole vendredi dernier dans la salle d’audience de la Cour suprême, le président du Conseil supérieur de la magistrature (CSM), Akakpovi Gamatho n’a pas caché une autosatisfaction par rapport au bilan du mandat de quatre ans qui s’est achevé le 3 août 2015. « Je me réfère au bilan positif engrangé au cours de ce mandat par le CSM qui est intervenu dans presque tous ses domaines d’attributions. Au chapitre des nominations, une avancée capitale a été observée. En effet, pour la première fois, le CSM a réussi, le 21 septembre 2012, un déploiement général des magistrats sur le territoire national à la satisfaction de la majorité des acteurs judiciaires et des observateurs », s’est complu le président. Du point de vue de la discipline au sein du corps des magistrats, il a fait remarquer que six des sept plaintes ont débouché sur des sanctions depuis le lancement de la Directive sur l’Ethique et la Déontologie du Magistrat le 27 mars 2014.

Gamatho a saisi la tribune pour rappeler à l’ordre ceux d’entre les membres du CSM qui continuent de banaliser certains comportements comme la corruption, la concussion, le harcèlement des justiciables, l’encouragement du phénomène des démarcheurs, la mauvaise gestion des dossiers en termes de multiples renvois injustifiés et de prorogations injustifiées des délibérés, des inconduites notoires en ville, des relations amoureuses avec des femmes dont on a en charge les dossiers de divorce, l’encouragement au non-droit. Il a aussi invité les uns et les autres à s’approprier les principes de Bangalore que sont : l’indépendance, l’impartialité, l’intégrité, la dignité, le respect du principe de l’égalité de tous devant la justice, la compétence et la diligence. A ceux qui veulent faire leur la notion de l’éthique, il les a invités à se poser la question suivante : « Comment agir au mieux pour servir la vérité et partant, la justice au service du peuple au nom duquel elle est rendue ? ». Et au nom de cette justice, M. Gamatho a avoué épouser la définition du concept de justice selon le théoricien Joseph Proudhon qui dit : « La justice c’est le respect de la dignité humaine en quelque personne et dans quelque circonstance qu’elle se trouve compromise, et à quelque risque que nous expose sa défense». Rappelons que le CSM est composé de neuf membres dont 3 magistrats de la Cour suprême, 2 de la Cour d’appel, 2 des Tribunaux, un député élu par l’Assemblée nationale et une personnalité n’appartenant ni à l’Assemblée nationale, ni à la Magistrature, choisie par le Président de la République. Et que ses membres sont nommés pour un mandat de 4 ans renouvelables une fois.
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Pour qui méconnaît les procédures de désignation des magistrats ailleurs, il ne peut pas y avoir meilleur fonctionnement de la magistrature. Mais nombreux sont ceux qui émettent d’énormes réserves quant à l’indépendance des magistrats, surtout au Togo où l’appareil législatif et judiciaire a une forte coloration proche du parti au pouvoir.

Alioune Badara Fall, Professeur à l’Université Montesquieu-Bordeaux IV a écrit sur l’indépendance de la justice. Selon lui, un phénomène apparu il y a quelques années dans les pays occidentaux démocratiques notamment – qui se développe de plus en plus et qui, dans un avenir plus ou moins proche, concernera certainement les pays en voie de démocratisation – vient favoriser de façon extraordinaire, l’ascension du juge dans la hiérarchie des pouvoirs, modifiant du coup la perception que l’on se faisait de lui et surtout de ses fonctions: la juridisation de la société. Elle se manifeste par l’appropriation par le Droit des domaines naguère accaparés par le politique, pour ne pas dire par les hommes politiques. « Le juge apparait dorénavant, et de plus en plus, comme à la fois l’arbitre entre les pouvoirs publics (le juge constitutionnel par exemple) et l’autorité de sanction (magistrat ou juge administratif) à leur encontre en cas de manquement aux « devoirs » et aux « obligations » dans le cadre de leurs activités d’intérêt général, et sous le regard attentif des citoyens constamment informés par les médias. Le juge ne se limite plus à l’exécution de loi, ni ne se présente comme un simple gardien de la liberté individuelle ; il semble devenir cette autorité que les médias mettent à la une à chaque fois qu’une affaire le transforme en spécialiste » de domaines précis ; des domaines complètement étrangers au juge dans le passé, mais qui aujourd’hui témoignent de la hardiesse et de la témérité du magistrat qui n’hésite pas à mettre en examen n’importe quelle personnalité dans n’importe quel domaine, pour exercer la justice telle que définie par la loi. Au point que M. Fall estime qu’il ne parait plus judicieux, ni réaliste de traiter aujourd’hui des questions liées à l’indépendance du juge et de la justice sans les replacer dans ce nouveau contexte de juridisation du politique, dans le cadre plus général de la démocratisation des systèmes politiques. « Cela nous amène à dire encore une fois, que les menaces internes à l’indépendance de la justice ne sont pas toujours et nécessairement à l’intérieur de l’appareil judiciaire ; elles peuvent également provenir de l’extérieur de manière plus insidieuse. Dans tous les cas, elles existent et semblent prendre de l’ampleur du fait même de l’ascension du juge et, parallèlement, des crises que connaissent les autres pouvoirs constitués, en particulier le pouvoir exécutif». Ces menaces se situent dans l’organisation et dans le fonctionnement de l’appareil judiciaire.

D’après les écrits du professeur, les premières menaces internes qui risquent de porter atteinte à l’indépendance du juge sont celles qui proviendraient du statut qui organise sa carrière. Ce statut est organisé de manière unilatérale par les textes de loi dans tous les pays où la profession de juger est institutionnalisée. Il s’agit donc d’un domaine où la négociation entre le futur magistrat et l’administration qui fixe les conditions de recrutement n’est pas prévue, et cela n’est que pure logique. On imagine mal qu’un magistrat (et de manière plus générale un fonctionnaire) vienne «discuter» des conditions d’exercice de sa fonction de juger avec les pouvoirs publics avant d’exercer sa profession. Comme pour les fonctionnaires, le recrutement constitue une «réquisition», et même si celle-ci est «consentie» (le candidat se présente au concours en toute connaissance de cause), elle transforme les agents de l’Etat en «agents du gouvernement». Cette indépendance est préservée grâce à leur statut contenant des garanties structurelles liées à l’organisation de l’appareil judiciaire et des garanties formelles d’ordre matériel qui leur permettent d’exercer leur profession à l’abri de toute dépendance. Les principes de séparation des pouvoirs et d’indépendance du juge veulent que celui-ci ne soit soumis à aucune pression, ni contrainte ou influence de quelque organe ou individu que ce soit. Il apparait toutefois que le juge est souvent mis en «sarcophage» par ce statut et du coup, son indépendance théoriquement affirmée s’en trouve bien amoindrie. L’importance de ces atteintes aux garanties statutaires accordées au juge varie bien évidemment selon les pays. Elles peuvent provenir de l’organisation hiérarchique de l’appareil judiciaire, mais aussi des règles statutaires proprement dites.

Il peut paraitre curieux et même paradoxal d’évoquer la notion de hiérarchie en matière de justice dès lors qu’elle implique une idée de subordination qu’il est difficile de concevoir dans ce domaine. Il faut cependant accepter l’idée que la justice, en tant que service public, est également concernée par la hiérarchie. L’organisation hiérarchique permet non seulement de structurer le corps judiciaire, mais elle protège le citoyen contre l’arbitraire grâce au recours qu’il pourra éventuellement exercer lorsqu’il fait l’objet d’une décision de justice qui ne lui donne pas satisfaction, fait observer M. Fall. Cette hiérarchie est particulière et n’entraîne pas une dépendance du juge à l’égard de ses supérieurs ou de sa juridiction lorsqu’il s’agit des juges du siège. Tel n’est pas le cas pour les magistrats du parquet qui obéissent à d’autres règles à ce sujet. La situation est toute différente pour les magistrats du parquet qui sont dans un véritable lien de dépendance vis-à-vis de leurs autorités hiérarchiques, même dans leur prise de décision, à l’opposé des magistrats du siège. Cette disposition a été généralement reprise par la majorité des pays africains et a entraîné de nombreuses controverses et critiques. Elle reste en effet au cœur des préoccupations actuelles sur l’indépendance de la justice, certains souhaitant une totale rupture entre le parquet et le gouvernement. L’opinion publique ne comprend pas toujours cette possibilité laissée au ministre de la justice de donner des instructions à un « magistrat », notamment lorsque des personnalités politiques sont mêlées à des« affaires » révélées au grand public par les médias. Une suspicion est vite née dans l’opinion publique lorsque le ministre, évoquant le principe de l’opportunité des poursuites, demande au parquet des « classements sans suite » de ces affaires. A l’observation des textes relatifs au statut du juge dans la quasi-totalité des pays étudiés, il apparait que les magistrats n’échappent pas totalement à l’emprise directe ou indirecte des autorités politiques. Presque partout, le juge est sous le contrôle d’un Conseil National (ou supérieur) de la Magistrature, présidé par le Chef de l’Etat. La fonction principale de ce Conseil est de garantir le respect des règles de fonctionnement du service public de la justice et la protection des magistrats contre les éventuelles pressions du pouvoir politique. C’est dans cet esprit que l’indépendance des magistrats et leur inamovibilité constituent des principes qui leur ont été reconnus comme une garantie pour une bonne administration de la justice. Pourtant, les observateurs sont unanimes pour constater l’existence de dysfonctionnements au sein de cet important organe qui ne cesse de susciter débats et projets de réforme, poursuit M. Alioune Tall.

Dans certains pays africains, des textes ont expressément organisé des moyens destinés à contourner ce principe d’inamovibilité (Sénégal, Burkina-Faso, Guinée…). Le constat fait dans le passé concernant l’emprise du Conseil National de la Magistrature reste le même et les magistrats semblent être encore sous le contrôle de cet organe, hérité du système français, qui fait l’objet de beaucoup de critiques et de réticences. Et pour avoir étudié la question dans différents pays, le professeur pense que les magistrats africains se retrouvent ainsi dans une situation de dépendance vis-à-vis de cette Haute autorité. « Même en l’absence du Président de la République ou du ministre de la justice en tant que Vice-président, le Conseil de la Magistrature semble garder toute son influence sur le corps judiciaire. Il n’est pas exclu qu’il en soit de même dans les pays où cet organe a fait l’objet de réformes destinées probablement à atténuer la présence excessive des plus hautes autorités de l’Etat dans ce Conseil. En effet, le Conseil de la Magistrature au Togo est désormais présidé par le Président de la Cour suprême ; au Mali, c’est aussi le Président de la Cour suprême qui préside le Conseil lorsque la poursuite concerne un magistrat du siège, et par le Procureur général près la Cour suprême s’il s’agit d’une incrimination dirigée contre un magistrat du parquet. Au Bénin, le Président de la Cour suprême est venu remplacer le ministre Garde des sceaux au poste de Vice-président ». Mais ces modifications sont mineures et ne semblent pas affecter de manière décisive l’influence directe ou indirecte du pouvoir politique sur le fonctionnement de la justice, l’indépendance ou la carrière des magistrats à travers le Conseil de la magistrature. Il ne serait pas exagéré de penser que la nomination ou le recrutement de ces magistrats reste sous le contrôle des hommes politiques qui voudraient s’assurer avant tout, que les hommes installés à ces postes leur seraient acquis ou ne manifesteraient aucune hostilité à leur égard.

Concernant le principe d’inamovibilité, en Afrique, la réalité que traduisent les Conseils de magistrature dans leur composition comme dans leur fonctionnement, ne favorise pas les principes d’indépendance et d’inamovibilité solennellement inscrits dans les textes. Cela est d’autant plus paradoxal que les atteintes à ces principes ont été aménagées par les textes juridiques eux-mêmes, selon le professeur. La déclaration et le plan d’action du Caire adoptés en 1995 incitent pourtant les Etats francophones à éliminer « toute entrave à l’indépendance des magistrats, premiers garants d’une Justice accessible et efficace, en leur assurant les moyens statutaires et matériels nécessaires à l’exercice de leurs fonctions… ».

S’agissant de la carrière du magistrat, celui-ci, comme tout agent de l’Etat, est soucieux de poursuivre une bonne carrière dans sa profession sans se préoccuper d’autres questions que celles liées à la nature et à l’exercice de son activité. Parler de menaces au sujet de la carrière du juge paraitrait contradictoire avec l’idée d’indépendance du magistrat affirmée directement ou indirectement par les textes des pays étudiés. Pourtant, un juge qui ferait preuve d’une très grande indépendance aux yeux de son chef hiérarchique, ou à l’égard des autorités exécutives ou politiques en place, pourrait voir sa carrière menacée et son indépendance bien amoindrie. Les magistrats sont plus ou moins attentifs à la perspective d’un avancement dans leur carrière avec les garanties dont ils bénéficient à cet effet et sont donc bien conscients qu’ils ne sont pas à l’abri de sanctions. Cette menace sur leur indépendance et leur intégrité est présente tout au long de leur carrière, du recrutement à la cessation de leur fonction, qu’il s’agisse des magistrats du siège, du parquet ou des juges administratifs lorsqu’ils existent.

En revanche, le rejet des candidatures pour des raisons autres que celles liées au service public – définies et encadrées par la loi – et destiné à écarter des candidats pour leur loyauté, leur dévouement ou pour leur opposition – notamment idéologique – au régime en place constituerait à coup sûr, ce que nous qualifierons d’atteinte anticipée à l’indépendance du juge. Ce risque existe partout, plus particulièrement dans les pays où le recrutement se fait sur titre. Il est encore aujourd’hui plus plausible dans les pays d’Europe de l’Est récemment séduits par le modèle occidental, précise M. Tall.

Ce sont là quelques remarques sur l’indépendance possible des magistrats. Ainsi, plus tôt les pays francophones dont le Togo exploreront d’autres pistes qui confèrent véritablement l’autonomie à la fonction de magistrat, fût-il du parquet, mieux la justice togolaise se portera.

Godson K.

Liberte


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