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Liberté N° 2245 du 29/7/2016

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Grand reportage : Lomé, Dieu, l’alcool et le sexe
Publié le lundi 1 aout 2016  |  Liberté


© aLome.com par Parfait & Edem Gadegbeku
Ambiance nocturne dans les rues de Lomé, aux premières lueurs de l`année 2016
Lomé, le 02 janvier 2016. Principales artères de la capitale du Togo.


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Lomé, capitale du Togo, à l’instar des autres capitales des pays de la région ouest-africaine, présente l’image d’une ville cosmopolite. Découvrir Lomé, c’est découvrir la diversité et la complexité de cette ville : diversité des quartiers, des habitants, des architectures, des cultures et bien d’autres choses. Indiscutablement, Lomé est une ville calquée à l’africaine, mêlant tour à tour tradition et modernité à l’image des églises, des mosquées, des hôtels de luxe, des bars, des restaurants des bâtiments bancaires, de «belles» routes reliées parfois entre elles par des pavés exécrables.

Peuplée de plus d’un million et demi d’habitants, cette ville située à l’extrême sud-ouest du Togo concentre à elle seule le quart de la population togolaise du fait de son attractivité et de l’exode massif des populations des autres villes et villages du Togo. Pays laïc, chaque Togolais adore son dieu. Si la plupart des Loméens prennent d’assaut les églises, qui ne cessent de pousser comme des champignons à chaque coin de la ville, les musulmans ne sont pas du reste. On constate une multiplication exponentielle mais souvent anarchique des mosquées et des écoles coraniques. Les animistes ne sont pas du reste. Il est aussi fréquent de retrouver ce monde la plupart du temps dans des bars, restaurants et boîtes de nuit pour partager des boissons alcoolisées, histoire de se distraire ou fêter un évènement.

Ces structures pullulent actuellement à Lomé et se retrouvent pratiquement à chaque périmètre de la ville. Parfois, certains bars et églises se juxtaposent et « s’animent » au même moment. La boisson, c’est ce qui se vend actuellement de mieux à Lomé. Une autre affaire qui marche présentement est sans doute les auberges, les hôtels ou bien d’autres coins où les gens peuvent satisfaire leur libido. Ces lieux tournent à plein régime car les clients sont toujours au rendez-vous. Lomé, la capitale togolaise, où Dieu est devenu presque un fond de commerce, où l’alcool est effectivement ce qui se commercialise le mieux, où le sexe est à portée de tous, fait de cette ville l’une des plus paradoxales et vicieuses du pays.


Lomé, temple de Dieu


La floraison des églises à Lomé est une réalité. A côté des «traditionnelles» comme les églises catholique, méthodiste et presbytérienne se trouvent des milliers d’autres dites «éveillées». Ces dernières ont des dénominations parfois extravagantes que bizarroïdes. On y trouve des ministères, des temples, des lieux de prières, des royaumes, des maisons de Dieu, et biens d’autres. Si les églises des Assemblées de Dieu, pentecôte, baptiste, adventiste du 7ème jour, etc. paraissent mieux structurées, des centaines d’autres pataugent dans l’illégalité totale puisque n’étant pas enregistrées au ministère de l’Administration territoriale qui se charge du domaine.

Créer donc une église aujourd’hui, surtout à Lomé paraît chose facile voire une simple question d’heure. Il suffit juste pour l’initiateur, Révérend, Pasteur, Prophète, Docteur, Evangéliste, Diacre, c’est selon, d’avoir une petite culture biblique, et quelques bases en anglais et un endroit pouvant contenir quelques dizaines de personnes. Le secteur des églises est miné par une anarchie et un laisser-aller à tous les niveaux. Tous les quartiers de Lomé en comptent des dizaines. Le point commun entre ces églises reste l’affluence. Elles sont toutes remplies les jours de culte. De Baguida à Agoè en passant par le centre ville sans oublier Adidogomé et quartiers avoisinants, les églises abondent. Des garages, des maisons abandonnées, des bars sont la plupart du temps transformés en lieux de prières.

L’église catholique occupe incontestablement la première place au sommet de la pyramide des églises. Chapeautée par l’archidiocèse de Lomé avec la cathédrale Sacré Cœur de Jésus sise à Adawlato au cœur du grand marché de Lomé, l’église catholique se retrouve à presque chaque quartier de Lomé. L’organisation structurelle de l’église catholique n’est plus à démontrer. Dans toutes ses paroisses, des messes matinales quotidiennes sont organisées. Les dimanches, ils sont des centaines de milliers de ses fidèles à prendre d’assaut les paroisses pour participer aux divers cultes. Certaines paroisses en organisent jusqu’à quatre les dimanches, et à chaque messe, l’enceinte est toujours pleine de monde.

Les églises méthodistes et presbytériennes sont pratiquement identiques aux églises catholiques. Trois à quatre cultes dominicaux. « Pratiquement tous les dimanches, notre maison se vide dans la matinée puisque tout le monde se rend à son lieu de prière pour remercier Dieu des bienfaits de la semaine. Et c’est une bonne chose. Nous devrons être reconnaissants envers Dieu.

C’est vrai que maintenant, les églises abondent à Lomé, et pour moi, c’est un peu regrettable. Dieu est devenu un objet de commerce pour certains esprits malins qui tentent de tirer des bénéfices pécuniaires en érigeant à tout vent des églises. Malgré tout, il faut rester chrétien et continuer à adorer son Dieu », déclare Florent, jeune catholique rencontré à la sortie de la messe de dimanche à la paroisse Maria Auxiliadora de Gbényedzi.

Les églises dites éveillées aussi tirent leur épingle du jeu. Regroupés sous une tente de fortune dans une maison à Avedji, un groupe d’individus prient et louent le Seigneur, au rythme des instruments sonores modernes. Devant eux, se dresse un homme bien cravaté qui lance dans la foule : «Vous êtes bénis, vous qui croyez en Jésus Christ car le royaume de Dieu vous appartient». Ainsi pouvons-nous résumer le prototype de ces églises éveillées à Lomé. Il faut souligner que certaines font du sérieux, mais d’autres, visiblement, ont d’autres objectifs en tête.

Ces églises ont des programmes bien établis pour chaque semaine. Le plus prisé reste la veillée de prières des vendredis jusqu’au petit matin des samedis. Maintenant ces églises se multiplient dans les périphéries de la capitale. Les femmes sont les meilleurs «clients». Dans nos descentes sur le terrain, nous sommes tombés sur certains noms d’églises qui frisent parfois le ridicule. Les citer avec précision, c’est peut-être leur faire offense et attirer la foudre sur nous.

Dans un quartier comme Gbényedzi, il y a une église dans chaque coin de rue. Nous y avons dénombré une quarantaine. Ces dernières «s’animent» aussi bien que les fidèles ne cessent de s’accroître. Il n’est pas exclu de voir des églises collées l’une à l’autre. Extraordinaire, n’est-ce pas? C’est Dieu qui est partout de toute façon.

Dans un quartier comme Adidogomé, se retrouvent presque dans des rayons de 200 mètres des dizaines d’églises. Pour preuve, nous avons circulé un peu dans la zone et le résultat est révélateur : une trentaine!

L’autre trait caractéristique de toutes ces églises reste la nuisance sonore. Avec des baffles aussi sophistiqués que défectueux, ces églises polluent l’environnement avec des bruits terrifiants. Cela suscite des réactions de la part des personnes qui vivent tout près ; mais pour l’heure, c’est peine perdue. Mais une chose est évidente, les églises se comptent par milliers à Lomé.

Considérés comme une minorité à Lomé, les musulmans copient également les chrétiens sur le plan de l’érection des lieux de prière. Hormis les grandes mosquées de la capitale, d autres se construisent actuellement dans les quartiers et de façon anarchique. Il y a en outre la floraison des églises d’origine asiatique.
Leurs adeptes sont aussi nombreux. L’essence même de ces religions est qu’elles défendent (sic) l’adultère, la prostitution, l’alcool et bien d’autres vices. La Bible, le Coran et bien d’autres livres saints en donnent la preuve. Paradoxalement à Lomé, on remarque ces derniers temps une fréquentation exagérée des bars et autres endroits par les populations. Le phénomène devient inquiétant.


Un mètre carré, un bar, des milliers de clients


Pour faire un commerce actuellement à Lomé et avoir le maximum de bénéfices, le secteur de la boisson est le plus recommandé. Les Loméens aiment boire et faire la fête. Plus que des champignons, les bars, les restaurants, les fast food, les boîtes de nuit se répandent à Lomé tels des grains de sable. Ces lieux où règne une ambiance exceptionnelle sont tenus parfois par des DJ qui mettent la musique à fond. Les abords des routes et boulevards sont « bordés » de bars où la bière coule à flot, surtout le week-end. Bien que la misère soit la chose la mieux partagée à Lomé, les bars se comptent par milliers. « On pleure, mais on voit », ont l’habitude de dire les Togolais.

Une virée nocturne (Lomé by night) a permis de découvrir un monde à part. Les chiffres font frémir, mais c’est la réalité. Par exemple, nous avons dénombré au moins 66 bars et restaurants sur la route qui part de Cassablanca au niveau du bar Riverone à la douane d’Adidogomé sans compter ceux qui sont dans les rues et devant les maisons. De la douane à l’EPP Woyomé, sur moins d’un kilomètre, se trouvent 14 bars. Malgré le prix élevé des bières, les clients remplissent ces lieux. De la même douane, mais pour arriver cette fois-ci au carrefour Bodjona à Cacavéli, 22 bars se côtoient sur cette voie. Et d’après la plupart des tenanciers de ces lieux, c’est un commerce qui est très rentable.

Il est triste de constater par endroits aussi des bars qui occupent les trottoirs occasionnant des accidents évitables. Que ce soient des VIP ou des bars simples, leur point commun reste également la nuisance sonore avec des baffles vrombissants qui jouent la musique jusqu’au petit matin. Ce tohu-bohu insupportable pour certains, reste les endroits privilégiés pour d’autres.

Egalement au cours de cet exercice fastidieux, on a pu dénombrer sur le boulevard de 13 janvier plus de 44 bars, restaurant et autres endroits où l’alcool se vend. 26 sur le boulevard Félix Houphouët Boigny à Bè, 15 de 3K jusqu’à Todman, 17 d’Atikoumé à GTA. De la Brasserie à Avedji au carrefour Limousine en passant par le passage à niveau d’Agoè et la route d’Agoè-Assiyéyé, se dressent au moins 55 bars. Les jeunes sont les habitués des lieux. La bière et d’autres boissons étant devenues un jeu d’adolescents. Certains se proposent même des concours de boissons.


Le constat ne souffre d’aucune ambiguïté. Dans ces bars, l’ambiance est multicolore. La fête y est souvent si belle que certains clients peuvent y s’éterniser jusqu’au petit matin les week-ends.

Ce qui marche actuellement sont aussi les restaurants de Fast Food tenus par des occidentaux. C’est d’ailleurs l’endroit le plus prisé des jeunes filles de la capitale qui, accompagnées de leurs copains dont certains peuvent avoir l’âge de leur aïeul, tiennent des pizzas et autre mets achetés comme des diplômes accrédités par le CAMES. « Merci bébé pour tout ! », récitent-elles à cœur joie. Une jeune fille de 18 ans qui appelle son arrière-grand père « bébé » ? C’est la triste réalité. Quel que soit son âge, l’homme demeure un éternel bébé, disputant régulièrement les mamelons avec ses enfants.


Le sexe à vil prix : un fléau


La prostitution est née avec le monde, mais elle vit à Lomé. Il serait blasphématoire de parler des capitales chaudes sans mentionner Lomé. Lomé ne dort jamais. Une virée nocturne a tenu toutes ses promesses. Direction, le boulevard du 13 Janvier précisément à Déckon. Sur cette rue qu’on peut comparer à l’avenue Kwame Nkrumah à Ouaga, ou encore à la rue Princesse à Abidjan, des prostitués ont élu domicile. Hommes d’affaires, jeunes, vieux, voleurs, « faroteurs », drogués, chacun trouve pour ses bourses. Là, de petites pièces séparées font office d’auberges pour ces professionnels du sexe et clients. Avec 1000 ou 2000F, on est servi. Ce type de prostitution s’est même délocalisé dans les différentes banlieues de Lomé.

Un peu plus loin de Deckon, notamment à Palm Beach se trouve également une colonie de prostituées d’une autre classe. Elles assument fièrement leur nom de «prostituées VIP». Les «gos» se démarquent des autres par leur tenue vestimentaire plus ou moins classe et attirante. Elles se soignent mieux de par leur apparence. Leurs clients sont souvent des expatriés qui y amènent de grosses voitures pour les ramener soit à la maison où dans les auberges. Au rang de celles-ci on retrouve des mineures, des adolescentes, des femmes âgées et même des vieilles. Certaines pratiquent ce métier aussi vieux que le monde par simple plaisir, alors que d’autres se disent n’avoir pas le choix pour leur survie et celle de leur famille. « Hé !! Joli garçon, on dit quoi ? », « Veux-tu aller avec moi ? », ont-elles l’habitude de dire pour attirer les clients tout en s’exhibant devant eux. Elles proposent ainsi leur corps et une séance exceptionnelle de jambes en l’air contre une somme d’argent. Elles n’hésitent pas à proposer au client tout ce que madame ne peut leur faire à la maison.

Au-delà des travailleurs de sexe, il y a la prostitution non officielle. Ces hommes et femmes qui écument les bars, les restaurants et qui terminent leur randonnées dans les auberges et hôtels. De fait, ces auberges communément appelés « ambassades » se multiplient actuellement aussi bien dans la capitale que dans ses banlieues. Parfois, les habitués des lieux préfèrent ces coins reculés pour être à l’abri des regards. Un gérant d’auberge dans le quartier des étoiles nous raconte qu’il tourne parfois à plus de cent clients et plus certains jours.

Il arrive également que certains de ces auberges ou hôtels se remplissent au point que certains sont obligés de patienter avec leur proie. Et dans cette course au sexe qui est aujourd’hui la chose la mieux partagée, il est possible que certains tombent sur leur petite amie avec un autre «déverouilleur». On retrouve aussi dans ces auberges des homosexuels. Bref, l’argent circule facilement dans ce business.

Le constat est patent, l’alcool, le sexe et Dieu sont les choses qui se vendent mieux à Lomé, le tout dans une hypocrisie. Au cours du reportage, nous sommes tombé sur un endroit exceptionnel qui reflète l’image de cette ville. Il s’agit de la Rue de la Fortune à Nyékonakpoè où règne paradoxalement une misère indicible. Sur cette rue, une église fait face à un bar.

Il arrive que ces deux « voisins » s’animent au même moment, les uns adorant leur Dieu avec des chants des « Holy ghost fire ! », et les autres dans une ambiance tonitruante, sirotant de la bonne bière avec tout ce qui va avec. Le tout donne un mélange fantastique qui n’est même pas conseillé à un sourd. Dieu seul sait, Lomé en compte des centaines de cas.


Liberté N°2241 du 25 juillet 2016

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