Après avoir revitalisé la Commission Economique Africaine (CEA), Carlos Lopes annonce son départ. En quatre ans, ce Bissau Guinéen de 56 ans a su structurer le débat stratégique africain autour des questions de l’industrialisation, de la transformation structurelle , du financement domestique et de l’intégration.
Dans un entretien à Monde Afrique, celui qui est présenté souvent comme un « économiste de gauche » dit vouloir préserver la « pensée alternative » qu’il a su imposer dans un univers onusien où l’orthodoxie confine à la pensée économique.
Ce départ qui en surprendra plus d’un intervient alors que l’ONU et la Commission de l’Union Africaine entrent dans de nouveaux cycles. » Il faut savoir quitter une institution lorsqu’on est en haut, pas en bas. Il est toujours préférable de pouvoir négocier en position de force », déclare-t-il. Sous sa houlette, la CEA est devenu un laboratoire au service du développement du continent. Un think tank qui n’hésite pas à bousculer la pensée dominante comme ce travail remarquable sur la corruption, objet du dernier rapport économique sur l’Afrique.
«Je n’ai pas été un dirigeant passif. J’ai souvent été provocateur et j’ai dû secouer pas mal de cocotiers. C’est à ce prix que j’ai pu faire exister une voix alternative. L’important est pour moi de préserver ma liberté de parole. Je verrai ensuite s’il existe une institution dans laquelle je peux continuer ce travail. Pas l’inverse. »
Dans l’entretien avec Monde Afrique, il explique sa posture de pourvoyeur d’une pensée alternative sur le développement de l’Afrique: « Parce que c’était le seul moyen de faire avancer les choses ! Le discours optimiste sur l’Afrique, qui a émergé au début de la décennie, a eu paradoxalement un effet anesthésiant sur la réflexion des Africains. Il a contribué à une forme de paresse intellectuelle. Le portrait de l’Afrique qui émerge en 2010 du fameux rapport « Lions on the move » de McKinsey est celui d’un continent qui offre de grandes opportunités, pas celui d’un continent qui doit se transformer. C’est un appel aux investisseurs à prêter attention à une opportunité oubliée, à un endroit où ils pourraient gagner plus d’argent qu’ailleurs.
Les Africains ont absorbé cette narration comme une sorte de compensation au discours afro-pessimiste qui avait prévalu au cours des décennies précédentes et dont ils avaient beaucoup souffert. J’ai toujours trouvé qu’il y avait quelque chose de faux dans ce propos, car il faut évidemment un niveau d’ambition beaucoup plus élevé sur la transformation structurelle des économies africaines. Il ne faut pas se contenter de parler opportunités de marché ».
Ce départ s’inscrit dans la ligne de pensée de M. Lopes, partisan des institutions fortes qui doivent survivre aux leaders emblématiques et s’enrichir de l’apport de tous.