Non à une dévaluation du franc CFA de la CEMAC et non au découpage de la zone monétaire subsaharienne
Dans cet article à la fois politique et financier, Cissé Abdou, actuaire, appuie son propos sur une analyse méthodique en évoquant tant la gestion lacunaire de l’or noir par nos états que les responsabilités de la France, grande ordonnatrice de la zone monétaire. Comme un assureur, la France doit assumer le sinistre de ces co-contractants de la zone CEMAC plaide-il. Entre rappels théoriques et recommandations pratiques, cet article, qui nous prend parfois à contrepied, revisite le grand débat déclenché par la rumeur de dévaluation en l’éclairant d’une lumière nouvelle et en mettant en avant une discipline primordiale pour toute activité économique : la gestion Actif-Passif (ALM-Asset & Liabilities Management).
Une analyse du Groupe Cisco Consulting.
La leçon politique
En date du 26 février 2017, le temps de l’austérité était annoncé pour les pays de la CEMAC (Communauté Economique d’Afrique Centrale). Deux sommets des chefs d’états tenus en deux mois, témoignaient d’une urgence de trouver une solution à la grave crise économique qui ébranle la zone.
Le 23 décembre 2016, en présence de la France (Michel Sapin, ministre des Finances) et du FMI (Christine Lagarde), les chefs d’Etats avaient accepté d’ouvrir des négociations avec l’institution de Breton Woods pour conclure à brève échéance des programmes d’ajustement destinés à favoriser une relance de leurs économies extrêmement dépendantes du pétrole ; ils s’étaient engagés à revoir leur budget pour 2017. Huit semaines plus tard, le 17 février 2017, alors que le FMI avait entamé les discussions dans chacun des pays de la zone, les chefs d’Etats se sont réunis à nouveau en Guinée Equatoriale pour faire un premier point sur ces négociations et rappeler la nécessité de renforcer la discipline budgétaire et de promouvoir la diversification économique.
Ils sont accusés de déséquilibre relatif à des déficits jumeaux (budget et comptes courants) en conséquence de la chute de leurs recettes fiscales et de l’effondrement de revenus tirés de leurs exportations. Dans le même temps, les réserves de change de la communauté n’ont cessé de baisser (5.9 milliards de $ en août 2016 contre 15.1 en novembre 2014) ; en décembre 2016, ces réserves pouvaient assurer à peine deux mois d’importations (le niveau minimum requis étant de trois mois).
En dépit de la déclaration des chefs d’Etats à Yaoundé en décembre 2016, l’arrivée du Président Macron au pouvoir en France coïncide avec une menace de dévaluation du CFA en zone CEMAC, pendant que l’UEMOA, elle, serait admise à une surévaluation : ce qui révèle de bons et de mauvais élèves en Afrique subsaharienne. Nous n’acceptons pas que l’Afrique subsaharienne soit monétairement coupée en deux, car nous avons des valeurs communes et des projets communs. La dette ne pouvant pas être le problème et la solution de l’Afrique subsaharienne, les chefs d’Etats africains doivent refuser catégoriquement une dévaluation ou un ajustement structurel, car ils disposent d’une jurisprudence économique pour se défendre.
En effet, depuis 1974 la France est en déficit budgétaire ; depuis la mise en place de l’euro, sa balance commerciale est déficitaire et sa dette publique est proche de 100% de son PIB. Toute la zone de l’euro (à l’exception de l’Allemagne) vit les mêmes problèmes que la France et pour autant, l’euro n’est pas dévalué et aucun ajustement structurel ne leur est imposé.
La BCE (Banque centrale européenne) a même placé la zone euro sous perfusion monétaire par le canal d’un assouplissement quantitatif (QE) et d’une politique des taux d’intérêt très bas ; ce qui leur confère une réelle flexibilité monétaire. Les Africains ont aussi droit à cette flexibilité monétaire et les chefs d’Etats africains ont le devoir d’inviter la France et le FMI à changer leurs modèles de gestion des affaires africaines, par le biais du parallélisme entre l’Euro et le franc CFA (qui sont des monnaies communes et non des monnaies uniques).
Nous sommes conscients du pourquoi et du quoi. Mais le comment, avec qui et quand, restent encore nos zones d’ombre ; les positions de la France et du FMI, qui tiennent plus de la posture du gendarme, n’éclairent pas le chemin africain.
La leçon financière : Souplesse, Proximité et âme
Nous apprenions donc le 16 juin 2017 que la dévaluation du FCFA tant annoncée devait advenir. Le déséquilibre du bilan de la BEAC (banque centrale de la CEMAC) est un constat réel mais nous disons non à une application aveugle d’un automatisme froid de la comptabilité. Il est vrai qu’à l’actif de la banque centrale de la CEMAC, il y a de moins en moins de devises issues principalement de transactions pétrolières. C’est encore vrai qu’il y a de plus en plus de créances sur des Etats dont la capacité de remboursement reste réduite pour les mêmes raisons. Le pétrole à 100 dollars d’il y a 4 ans est bien loin derrière nous. Les Etats sont dans l’obligation de se financer avec une manne pétrolière deux fois moindre et un impôt dont la collecte est inefficace tant historiquement que structurellement.
La malédiction des ressources naturelles est peut-être un problème de gestion Actif/Passif (Asset and Liability Management – ALM – ou encore gestion de bilan)? La théorie financière enseigne qu’un actif qui s’échange sur un marché est intrinsèquement volatile et qu’il connaîtra toujours des phases de hausse et de baisse autour d’un prix d’équilibre (traduction d’une conjoncture). A la hausse de cet actif, le gestionnaire de bilan se doit de provisionner ou d’acheter des couvertures pour préparer les phases baissières et protéger son bilan ainsi que tous les agents économiques qui dépendent de sa solvabilité ; dans le cas des pays de la zone CEMAC, il s’agit de leurs entreprises et de près de 50 millions d’habitants qui ont besoin d’échanger et de consommer avec une monnaie stable.
Pour rappel, lorsque le prix de l’actif est supérieur à sa moyenne historique, une bonne pratique de gestion impose de mettre en réserve la moitié d’un écart-type. En l’occurrence, à 100 dollars, nos gérants d’Afrique Centrale auraient dû provisionner 16 dollars sur chaque baril vendu et s’en servir comme base destinée à la masse monétaire investie dans des actifs ou activités dé-corrélés du pétrole : éducation, agriculture, infrastructure, immobilier…Ou alors, employer 2 dollars pour acheter des options de ventes à 70 dollars à horizon d’un an. Ou mieux encore, mixer les deux stratégies (l’énigme du modèle Black-Sholes).
La gestion actif/passif est un art, surtout en ce qu’il est l’art de convaincre les dirigeants africains de se départir de leur vision de courte vue ; courte vue qui fait long feu sur le plan économique.