Si l’objectif de Faure Gnassingbé et de ses collaborateurs, en décidant de faire du 13 janvier une « journée ouvrable placée sous le signe du recueillement » est de construire la réconciliation, il est évident qu’il leur faudra faire plus qu’une simple mise à mort d’une journée fériée, indûment. Sont-ils capables des vraies mutations à opérer ?
Finis les festins des 13 janvier
Bien mal tombés sans doute tous ceux qui déjà ont fait des programmes de vacances sur la journée de ce lundi 13 janvier. Ils ont dû revoir leurs programmes et se remettre dans la logique et dans l’esprit du boulot. La cause ? Faure Gnassingbé et les siens ont décidé que la journée du 13 janvier ne sera plus vacante et que toute célébration festive ne peut plus être mise à l’ordre du jour. Selon un communiqué gouvernemental en date du 10 janvier, « les manifestations de commémoration officielle marquant habituellement le 13 janvier n’auront pas lieu ». C’est cette phrase qui scelle le sort de la journée naguère chère à feu Eyadèma et que Faure Gnassingbé, son héritier biologique et politique, a honorée pendant de longues années, sans que l’on sache pourquoi.
Le communiqué du gouvernement, en plus d’appeler à une journée ordinaire ce jour 13 janvier, a annoncé que la journée sera « placée sous le signe du recueillement ». Curieusement, ledit communiqué ne dit rien au sujet du recueillement. Pourquoi se recueille-t-on ? Le moins qu’on puisse dire est que le communiqué semble faire le lien direct entre la journée du 13 janvier devenue ouvrable par la volonté du chef de l’Etat et l’idéal de réconciliation nationale. Bâti d’une bien curieuse manière : ayant annoncé une journée de réconciliation avant d’évoquer sans embrayage grammatical évident le 13 janvier à ne plus fêter ; le communiqué signale en effet en ses premières phrases que « des réflexions sont en cours en vue d’instituer une journée nationale de la réconciliation ». Quand elle sera effective, cette journée « permettra aux Togolais de renouveler leur engagement à vivre ensemble dans la paix, la compréhension mutuelle et la cohésion ».
Veut-on insinuer que la journée du 13 janvier va devenir assez bientôt une journée nationale de réconciliation? A cet effet, serait-ce une manière pour Faure Gnassingbé et les siens de préparer l’opinion à la substitution de fait du 13 janvier par une journée nationale dite de réconciliation ? Ce sera malheureux et improductif, a priori.
Une fête ambiguë
Au moment où il paraît clair que le sort du 13 janvier selon l’esprit de feu Eyadèma est scellé et que pour cela on peut demander une messe de requiem à son sujet sans risque aucun, il n’est pas impertinent de souligner une fois encore l’ambigüité d’une fête dite de la libération célébrée durant des décennies et par voie de fait rappeler tout le tort qu’on a pu faire au pays, à la cohésion nationale.
Disons-le de façon tranchée : au cours de toutes ces années où on a célébré cette fête, qui savait vraiment ce qu’on célébrait ? Feu Eyadèma lui seul peut-être. Avec l’avènement de Faure Gnassingbé, de peur de se couvrir de honte en continuant à célébrer la fête dans les mêmes schéma et dynamique, on a parlé vaguement de célébration réservée aux armées, ainsi qu’on a fait du 23 septembre. Dans l’un et l’autre cas, c’est peu de dire que le 13 janvier est une journée de malheur, ne serait-ce que parce que premièrement cette date rappelle l’assassinat du premier président de la république du Togo et que deuxièmement elle place notre pays dans le statut de pionnier des crimes politiques au haut niveau en Afrique. A ce double titre, le 13 janvier est résolument une date malfamée qui ne mérite pas de figurer sur le calendrier national, peut-être pour enseigner aux écoliers la vraie histoire du pays.
Feu Eyadèma pouvait faire célébrer le 13 janvier pour commémorer « son » crime commis en cette date. Mais alors dans ce cas, n’est-ce pas bien funeste de célébrer un crime ? De plus, feu Eyadèma n’ayant pas accédé au pouvoir un 13 janvier 1967 mais plutôt le 14 avril de cette année, rien n’explique que le 13 janvier soit devenu la date d’anniversaire de son accession au pouvoir. Pour tout dire, le 13 janvier se révèle une fête ambiguë qui a divisé les Togolais pendant des décennies en travaillant à renforcer les crispations, les détestations et les rancœurs. Gageons qu’il va disparaître à présent pour toujours du circuit.
L’enjeu est ailleurs
On peut mettre à l’actif de Faure Gnassingbé d’avoir décidé de mettre fin à la célébration d’une journée qui ne fait que diviser les Togolais. A son actif aussi on peut mettre la volonté exprimée en vue de la « consolidation de la réconciliation et de l’apaisement ». Toutefois, les observateurs s’accordent à soutenir que la réconciliation au Togo ne saurait se contenter d’une journée nationale ni de la mutation du 13 janvier. Le chantier est plus grand, plus exigeant et plus sérieux. Le fait est que la célébration d’une journée de réconciliation ne doit pas dans la réalité précéder le consentement général à oublier le passé, à pardonner mutuellement les crimes et à s’engager dans une dynamique nationale commune de nouveau départ, vers de nouveaux horizons.
Dans ce sens, l’enjeu de la réconciliation au Togo se trouve bien ailleurs. Il est principalement fonction des choix que Faure Gnassingbé et son parti politique, Union pour la république (UNIR) ex RPT, font et vont faire pour le pays. Un premier paramètre porte sur la gouvernance politique interne. Est-ce que les choix qui sont faits depuis bientôt huit ans sont de nature à convaincre les uns et les autres qu’on veut vraiment bâtir un Togo nouveau ? Hormis les proclamations et les occasions où on se confond en autosatisfaction, il y a très peu de mesures qui sont prises au plan politique pour que le Togo se dirige vers les rives d’un fleuve qu’on appellerait Réconciliation.
Par exemple, Faure Gnassingbé a promis à ses adversaires dans le cadre de l’Accord Politique Global de 2006 des réformes et des transformations dans l’appareillage juridique et politique. Depuis huit ans, qu’a-t-il pu vraiment faire dans ce sens ? Election après élection, ses adversaires politiques réclament vivement mais en vain les promesses faites. Peut-on croire à une quelconque réconciliation dans un contexte comme celui-là ? Il faut être franc et réaliste pour admettre que c’est un combat perdu d’avance, si d’aventure l’on croirait que des mesures ostentatoires et bling bling comme une journée nationale de réconciliation suffiraient à réconcilier les Togolais.
Aux grands maux les grands remèdes, dit-on. Au Togo, la question de la réconciliation est un grand mal. Il lui faut de grands remèdes. Ceux-ci nécessitent de l’audace et du renoncement. Or, qu’est-ce qu’on remarque dans le fonctionnement de Faure Gnassingbé et des siens ? Une volonté morbide de conserver le pouvoir, qu’importe le prix. Dès lors, que devient le Togo si d’aventure il se faisait que, ainsi que le soutiennent certains analystes, la réconciliation serait plus facile en cas d’alternance au sommet de l’Etat ?
On conviendra à une situation de blocage où l’intérêt général est annihilé et étouffé par des intérêts égoïstes d’une coterie accrochée à ses privilèges indus. Voilà quelques éléments qui témoignent de l’ampleur de la tâche de réconciliation. Pour relever le défi, il faudra de l’audace et de renoncement. Faure Gnassingbé et ses lieutenants ainsi que tous les profiteurs qui sont autour de lui devront admettre que leur destin ne doit pas primer sur celui d’un pays. Alors seulement pourra démarrer le chantier de la réconciliation. Sans cela, on fera rien que des ajustements infructueux et des arrangements forcés.