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Togo-Interview exclusive: Edem Kodjo parle du FCFA, de la CEDEAO, du Maroc, de la RDC, de la migration clandestine…
Publié le lundi 31 juillet 2017  |  L'Alternative


© aLome.com par Edem Gadegbeku & Parfait
Dédicace d`un Essai, La Passionnante histoire du football togolais, préfacé par Edem K. Kodjo, ex SG de l`OUA
Lomé, le 1er février 2017. Résidence du Chef de la Délégation de l`UE (Union européenne) au Togo. Dédicace d`un Essai, «La Passionnante histoire du football togolais» (écrit par Gbati Juan-Carlos GMADJOM), préfacé par Edem Kodjovi Kodjo, ex SG de l`OUA. Cette dédicace a aussi été l`occasion de rendre hommage à Dodo Kodjovi Obilalé, ex gardien de but des Eperviers du Togo dont la carrière a été brisée dans l`attaque de Cabinda, en janvier 2010. Plusieurs passionnés de l`Art et du Sport ont pris part à cette cérémonie. Edem Edouard K. KODJO, littéraire, économiste de formation et homme politique.


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«Fieffé optimiste pour l’avenir de l’Afrique », c’est ainsi que se définit celui que d’aucuns qualifient de dernier « panafricaniste » rescapé de sa génération encore en Afrique. Dans cette interview exclusive, Edem Kodjo confirme lui-même son attachement obsessionnel à l’Afrique en ces termes : « panafricaniste hier, panafricaniste aujourd’hui, panafricaniste toujours ». C’est justement sous ce prisme que nous lui avons arraché quelques réponses relatives à certains débats qui passionnent le continent. Les polémiques sur le CFA, les questions de l’entrée et /ou du retour de certains pays dans l’Union Afrique et dans la CEDEAO, ses mésaventures lors de la facilitation politique qu’il a conduite dans le plus grand pays francophone d’Afrique, la RDC, l’immigration…l’ancien ministre et Premier ministre du Togo, ex-Secrétaire Général de l’OUA, Président de la Fondation Pax Africana, aujourd’hui membre du Comité des Sages de l’Union Africaine, a accepté les aborder avec nous.

Bonjour Monsieur le Président et merci de nous accorder cet entretien. Depuis quelque temps, le débat sur le franc CFA fait des vagues, déchaine les passions. Partagez-vous l’avis de ceux qui soutiennent que cette monnaie est un frein au développement des pays qui l’utilisent ?
Oui et Non.

Non, parce qu’il a fait ses preuves depuis de longues décennies par la discipline et la rigueur qu’elle a su imposer à cette zone monétaire, lui évitant ainsi des tourments et des errements divers, même si ce n’est pas gratuit.

Oui parce qu’elle cède d’une manière ou d’une autre, une partie de la souveraineté de nos pays, sachant que la monnaie est l’un des domaines avérés de l’exercice de celle-ci, mais surtout parce qu’elle freine une certaine audace en termes de volonté de développement et de risques salutaires à assumer pour ce développement. Mais ce débat n’est pas nouveau et j’en sais quelque chose. Je dois vous rappeler que feu Président Eyadema avait posé ce problème publiquement et presque dans les mêmes termes, lors du voyage officiel du Président Français Georges POMPIDOU au Togo en 1972. Je l’avoue aujourd’hui, c’est moi qui ai écrit ce discours pour le chef de l’Etat. Discours que nous avions maintenu strictement secret jusqu’à son prononcé. Ce courage ou cet affront, c’est selon, avait bousculé les règles protocolaires habituelles et fait beaucoup de bruit dans les milieux économiques français de l’époque. C’est cela qui conduit aux réformes profondes opérées au niveau de la BCEAO et de l’UEMOA à cette époque (1973-1975) ; avec la refonte des règles de la banque, la nomination d’un Africain à la tête de l’Institution et le transfert du siège à Dakar etc.

Ne sommes-nous pas en face d’un argument qui dédouane les dirigeants africains de l’échec de leur gouvernance?
Je pense personnellement que c’est un peu plus compliqué que cela.

La Mauritanie, Madagascar et la Guinée ont dit non à cette monnaie ; pour autant ils ne se portent pas mieux que les autres

Vous touchez du doigt un point important de la question. Etre en dehors de la zone franc Cfa n’est pas en soi une garantie de succès ni de bonne gouvernance et en faire partie ne rime pas forcément avec échec. Certains pays non membres de la zone expriment leur désir de tenter l’aventure. A ce sujet, plusieurs éléments sont à prendre en compte. On le verra plus loin.

Le président François Hollande en son temps avait demandé aux chefs d’Etat des pays concernés de lui faire des propositions sur la question. Mais visiblement du coté africain, personne ne veut franchir le pas.

Peut-être que ce n’est pas encore fait, mais le moment viendra où on ne pourra pas échapper à cela. Il faudra alors donner une réponse collective à une question qui est loin d’être un problème de pays pris individuellement.

Il faudra d’une manière ou d’une autre abandonner un jour cette monnaie. Quels sont les préalables du côté africain ? Comment doit-on procéder pour ne pas faire un saut dans le vide ?

Sans doute, et vous avez raison, il faudra abandonner d’une manière ou d’une autre cette monnaie un jour. C’est peut-être vrai, mais ce n’est pas avec une simple incantation, c’est plutôt une question de volonté, de vision et de courage. Il faudra, comme Prométhée, aller chercher le feu de l’Olympe.

A cet égard, on ne peut oublier que les Chefs d’Etats et de Gouvernements ouest africains décidèrent au sommet de la CEDEAO à Lomé en 1999, d’encourager et de soutenir la création d’une seconde zone monétaire en Afrique de l’ouest à coté de celle de l’UEMOA. Une approche à deux vitesses qui avait conduit, en l’an 2000 à Accra, les pays anglophones de la CEDEAO (Gambie, Ghana, Liberia, Sierra Leone plus la Guinée), avec le Nigéria en tête, à créer, conformément aux indications du Programme de Coopération Monétaire de la CEDEAO lancé en 1987, la Zone Monétaire de l’Afrique de l’Ouest (ZMAO).

Un siège de la ZMAO fut créé à cet effet avec pour siège Accra et dirigé en son temps par l’économiste et banquier nigérian, le Dr Temitope Oshikoya.

Les 6 pays de la ZMAO s’étaient donc engagés à restructurer leurs économies en respectant de rigoureux critères de convergence pour créer, à l’échéance 2003, l’ECO, la monnaie unique au sein de la ZMAO ; monnaie qui ferait ensuite la jonction avec les pays de l’UEMOA, ayant déjà en partage la zone franc Cfa, pour créer l’ECO, qui serait la monnaie commune de l’ensemble des 15 pays de la CEDEAO... On a parlé de la création d’un Institut Monétaire de l’Afrique de l’Ouest (IMAO) et d’une Banque Centrale de l’Afrique de l’Ouest (BCAO) pour ces six Etats anglophones. Des dates butoirs ont même été fixées. D’abord 2003, puis décembre 2009 ; ensuite janvier 2015 et 2020. Vous m’apprenez que le même objectif, c’est-à-dire la création de l’ECO est renvoyée aux 10 ou 15 prochaines années à venir.

On n’a aucunement besoin de sauter dans le vide, et encore moins sans filet de sécurité. Dans ce domaine, il y a des formules, il y a des canons, des manières de faire qui sont établies, quel que soit le pays, quelle que soit la zone monétaire. C’est un art consommé, la gestion d’une monnaie. La preuve, vous avez indiqué plus haut des pays, grands ou petits, qui s’accommodent des choix historiques qu’ils ont faits.

A Monrovia, lors de la 78e réunion ordinaire du Conseil des ministres, le Président de la Commission de la CEDEAO, Marcel de Souza a évoqué « la non convergence des économies des Etats membres de la CEDEAO » pour justifier l’impossibilité de réaliser la monnaie communautaire avant 5 ou 10 ans. A cette allure, faudra-t-il faire encore longtemps avec le CFA ?
La question de la convergence des économies ? Parlons-en... Le Président de la Commission de la CEDEAO, Monsieur de Souza est un banquier. Il sait de quoi il parle.

Il y a avant tout et à mon humble avis, un manque de leadership sur ce sujet ; mais il faut aussi avouer que certains Etats hésitent à renoncer à une partie de leur souveraineté. Certains, et non des moindres, ont d’ailleurs exprimé l’envie que les autres se rallient plutôt à leur monnaie nationale et qu’on n’en parle plus. C’est de l’arrogance. Vous voyez qu’on peut retrouver ailleurs les mêmes symptômes que ceux que révèle le franc Cfa.

Revenons aux critères de convergence. On en avait déterminé 4, dits de Premier Rang et 5 dits de Second Rang.
Les critères de Premier Rang étant :

1- Le taux d’inflation fin période inferieur à 10% ou égal à 5%;

2- Les réserves brutes de change couvrant 3 à 6 mois d’importation;

3- Le financement du déficit budgétaire par les Banques Centrales limité à 10% des recettes de l’année précédente;

4- Le déficit budgétaire Plafonné à 5% du PIB.

Les critères de Second Rang recommandent:

1- La non accumulation d’arriérés sur la dette intérieure pour un ratio recettes fiscales sur le PIB supérieur à 20%,
2- Le ratio masse salariale rapporté aux recettes fiscales doit être inférieur ou égal à 35%;
3- Le ratio des investissements publics sur les recettes fiscales doit être supérieur ou égal à 20%;
4- Le taux de change doit évoluer dans une bande de plus ou moins 15% du mécanisme de taux de change;
5- Le taux d’intérêt réel doit être positif.

Toutes les unions monétaires sont passées par là et passent par là. Ces critères, de Premier et Second Rangs, qui sont en réalité proches de ceux de la zone UEMOA, n’ont jamais été atteints dans leur ensemble, depuis le début du processus par les 6 Etats de la ZMAO. Ce qui explique les reports de 2003, 2009 et 2015 par le Conseil des Convergences de la monnaie unique.
Le Rapport de performance publié en janvier 2014 à Banjul par la Commission technique de la ZMAO indique que le taux de performance est de l’ordre de 66,5% et précise que seul le Nigeria a rempli, à fin 2013, les quatre critères de Premier Rang. Le Liberia et la Sierra Leone ont rempli 3 critères chacun, le Liberia n’a raté que le critère de réserves brutes et la Sierra Leone, celui du taux d’inflation.
Le Ghana, la Guinée et la Gambie ont rempli deux critères chacun, notamment ceux se rapportant au financement des déficits budgétaires par les banques centrales et aux réserves brutes de changes.
Ces critères, peut-être contraignants mais incontournables, et qui sont à la hauteur des ambitions de pays majeurs, désireux de sortir de la tutelle du Franc Cfa, de reconquérir entièrement leur souveraineté et de tracer ensemble, un destin autre que celui que l’Histoire leur a imposé, voilà l’enjeu, voici tout l’enjeu.

L’ancien président du Nigeria Olusegun Obasanjo a déclaré, le 29 juin 2017 à la tribune de l’Assemblée générale de la Banque africaine Import-Export (Afrexibank), que l’UEMOA ( Union Economique et Monétaire Ouest-Africaine) est responsable du retard du processus d’intégration au sein de la CEDEAO. Partagez-vous cet avis?

C’est un avis que je ne partage pas du tout et la démonstration que je viens de vous faire explique largement pourquoi. Nous sommes plutôt nombreux à attendre beaucoup du Nigeria, cette force colossale capable de déplacer des montagnes. Est-elle vraiment disposée à jouer ce rôle de fer de lance ? Je ne suis pas convaincu.

Les chefs d’Etat de la CEDEAO ont donné leur accord de principe pour l’adhésion du Maroc lors de la 51esession ordinaire le 4 juin à Monrovia. Vous êtes, avec le Nigérian Adebayo Adedeji, l’un des rédacteurs de l’acte constitutif de la CEDEAO. Le Maroc a-t-il sa place dans la CEDEAO ?

Le Maroc a sa place en Afrique. On peut comprendre qu’elle veuille intégrer la CEDEAO. La question de fond est de savoir si c’est la forme que cela devrait prendre. Le Maroc est en voie de devenir une puissance économique et commerciale et un pays véritablement émergent. Dans l’idée de répondre aux exigences d’intégration de l’Union Européenne, il a fait beaucoup d’efforts d’investissement pour se hisser au niveau d’un pays européen moyen, et il continue sur ce chemin. Il a donc fait ses preuves et les diverses implantations qu’il a effectuées dans les domaines bancaires, des assurances, des télécommunications et des infrastructures, etc. en Afrique de l’Ouest et ailleurs sur le continent le prouvent aisément. Nous sommes plutôt fiers d’avoir sur notre continent, un pays capable d’offrir des services que l’on est souvent obligés d’aller chercher obligatoirement en Occident. La question de fond qui se pose ici ne concerne pas le Maroc, mais les pays de la CEDEAO.

Le Maroc a de quoi « remplir » un marché de trois cent cinquante millions d’habitants en Afrique de l’Ouest; mais, comme dirait le Président poète L.S Senghor, qu’est-ce que la CEDEAO et les pays qui la composent peuvent offrir à ce rendez-vous du « donner et du recevoir » ? Le Maroc n’est pas comme la Chine qui importe des matières premières en quantité considérable. Que pouvons-nous lui vendre ? L’échange n’est-il pas inégal ?

Notre organisation régionale n’a pas encore fini de se structurer et n’a pas encore réglé tous ses problèmes internes (libre circulation des personnes et des biens, le droit pour ses ressortissants de pouvoir s’implanter dans le pays de leur choix, à l’intérieur de la Communauté, etc.). Ce qui peut faire objectivement peur, c’est le déséquilibre évident que cette adhésion va créer. Une formule de coopération économique et commerciale, définie au mieux des intérêts des deux entités, me semble dans un premier temps, un pas sûr vers la construction d’un environnement plus équilibré et qui permettrait d’apprendre à mieux nous connaître. Ce que l’on peut proposer au lieu d’une intégration, c’est un accord de coopération CEDEAO-Maroc, où chaque partie trouverait son compte dans un partenariat gagnant-gagnant.

A la suite du Maroc, la Tunisie et la Mauritanie frappent aux portes de la CEDEAO. Cette ruée des pays du Nord vers l’Afrique de l’Ouest a-t-elle pour origine l’échec de l’Union du Maghreb Arabe (UMA) et du projet de la zone de libre-échange euro-méditerranéen?

Commençons par dire que la Mauritanie fut membre de la CEDEAO. Elle est partie de son plein gré. Il lui suffira d’exprimer sa volonté de retourner à la « maison » mais il faudra qu’elle explique pourquoi est-elle partie.

On parle aussi à ce propos, de l’Algérie.
L’entrée de la Tunisie répond aux mêmes critères que ceux que j’ai évoqués pour le Maroc, même si le niveau de développement n’est pas exactement le même.

Il est vrai que l’Union du Maghreb Arabe ne brille pas de mille feux, et c’est regrettable. Le continent a besoin que cette région aussi se structure, non seulement pour préserver la paix et renforcer la fraternité entre les peuples de son aire, mais surtout de constituer un pôle de développement qui, un jour, pourra s’insérer dans le puzzle continental, comme l’avaient imaginé les Pères Fondateurs. Aujourd’hui, ils sont divisés deux à deux à deux et ne peuvent nous apporter que leurs interminables querelles.
Quant au projet de zone de libre-échange euro-méditerranéen, il comporte un risque évident pour certains des pays qui, à part le tourisme et les matières premières pour ceux qui en ont, n’ont rien à opposer à l’afflux des biens manufacturés des pays européens chez eux, ce qui tuerait l’industrie naissante de ces pays.

La CEDEAO n’est –elle pas finalement un syndicat des chefs d’Etat habitués aux grandes messes, puisque dans la réalité, les obstacles à la libre circulation des citoyens de cette communauté sont plus que jamais présents?

La CEDEAO est beaucoup plus qu’un simple syndicat de Chefs d’Etat. Les peuples sont de plus en plus exigeants et désirent que le développement aille à un certain rythme parce qu’aujourd’hui, ils peuvent comparer, grâce aux différents médias qui leur apportent images et sons jusque dans leurs chambres à coucher. Ils peuvent donc être des fois sévères dans leurs jugements.

La CEDEAO a fait beaucoup de progrès malgré la lenteur dans la circulation des biens et des personnes (On passe 3H pour faire les formalités, côté ghanéen pour se rendre à Accra. J’espère que les Ghanéens ne souffrent pas le même martyre pour venir à Lomé. Et malgré la non-ouverture de la frontière entre nos deux pays 24 sur 24.) Vous n’imaginez pas le nombre de camions qui arrivent à Lomé, venant de pays, jadis considérés comme lointains. Des colis réceptionnés toutes les semaines à Lomé, venant par la route, du Liberia, du Sénégal, de la Sierra Leone, de la Guinée, du Mali, etc.

Je devine tous les types de tracasseries auxquelles sont soumis les chauffeurs et les passagers impuissants pour traverser les différentes frontières au sein de la communauté, mais la CEDEAO avance à son rythme. Pour quelqu’un comme moi qui sillonne le Continent pour des questions de paix et de résolution de conflits, je puis vous assurer que les responsables de notre communauté réagissent très vite quand des conflits se déclenchent, et des fois mêmes par anticipation. Ils se déplacent inlassablement, se relaient, en petits noyaux ou en groupes, discrètement ou publiquement, jusqu’à ce que le feu ne s’éteigne. Je n’en ai pas beaucoup vu ailleurs. Je n’ai pas hésité à le dire à des responsables d’Afrique centrale et orientale lorsque j’étais en mission de paix au Burundi.

Et puis, il y a le passeport CEDEAO qui est un acquis non négligeable.

La situation en RDC est toujours dans l’impasse. L’Union Africaine vous avait désigné comme facilitateur de la crise dans ce pays. Qu’est-ce qui n’a pas fonctionné ?

Ce qui n’a pas fonctionné, c’est qu’on a choisi la mauvaise solution au détriment de la bonne. Les Accords du 18 Octobre que j’ai réussi à faire signer, à part quelques questions d’ego et de personnes, mettaient tous les protagonistes objectivement à l’aise. C’était de loin, la solution la plus réaliste. L’autre vérité, c’est que la RDC est comme une jeune et belle fille qui a tout pour plaire et que tout le monde convoite. A la fois ceux qui ont de bonnes intentions et les prédateurs. Et je vous assure qu’ils sont nombreux et coriaces, les prédateurs.

L’ensemble des acteurs de la crise ne vous ont pas facilité la tâche. Certains vous ont accusé carrément d’impartialité.

Il faut dire que ce fut une accusation d’impartialité à géométrie variable et selon la direction dans laquelle soufflait le vent des intérêts de chacun. On nous a tantôt accusé d’impartialité au profit de l’Opposition (L’UDPS en particulier) et tantôt au profit de la Majorité. C’est une dialectique qui indique plutôt un refus de partialité. Chacun veut que la facilitation penche de son côté. Tous les facilitateurs ont connu cela.
Mais il s’agit d’être droit et de chercher une solution solide et pérenne pour le pays, les hommes qui y habitent aujourd’hui et ceux qui y seront demain, pour l’Afrique et la dignité des Africains.

La Conférence Episcopale de ce pays ne vous pas aidé non plus.
Et pourtant nous avons commencé ensemble et avec une complicité certaine. De toute façon, ils n’ont rien fait de mieux que ce que j’ai conceptuellement et diplomatiquement réalisé, à part d’avoir installé la confusion actuelle. Et c’est dommage pour ce genre d’institution.

Koffi Annan et neuf anciens chefs d’Etat africains ont lancé, le 15 juin, un appel à la tenue des élections avant la fin de l’année. Que pensez-vous de cette initiative ? Quelle est, selon vous, la solution pour sortir de cette crise ?

Ils ont pris leur responsabilité vis-à-vis du continent et on ne peut que les féliciter ou les désapprouver, c’est selon. La solution de sortie de crise appartient aux Congolais et passe par des élections bien organisées et aux résultats inattaquables. Le temps nécessaire pour organiser ces élections est une autre question autour de laquelle il est nécessaire d’arriver à un consensus tenant objectivement compte du terrain, du volume de travail et des tâches à accomplir. La RD Congo, c’est 2,5 millions de km², 136.000 bureaux de vote, 20.000 tonnes de matériel électoral à transporter, le plus souvent par voie aérienne ou fluviale ou des fois à pieds. Il faut que chacun mette un peu d’eau dans son vin et accepte qu’on ne puisse pas régler tous les problèmes d’un pays aussi vaste en un seul jour ou dans des délais fantaisistes. Il faut accepter des victoires par étape et travailler avec le temps. Comme dirait l’autre, le temps se moque de ce qui est fait sans lui. Il faut aussi que certains acteurs de la communauté internationale cessent de mettre constamment de l’huile sur le feu en prenant parfois des positions irréalistes et intenables.

Environ 5000 migrants sont morts en 2016 en Méditerranée, l’hécatombe continue depuis le début de l’année 2017. Comment peut-on expliquer le silence des chefs d’Etat africains sur ce drame ?

5000, c’est la population d’une petite ville. De jeunes gens morts dans des conditions atroces. Pour certaines ou certains, après avoir été torturées, violées et dépouillées du peu qu’ils ou elles avaient sur eux/elles.
Peut-être n’y a t-il pas encore eu de Sommet des Chefs d’Etat sur ce sujet tragique, mais pris individuellement, ils ne se taisent pas. Il s’agit en effet d’un drame. Vous avez récemment écouté le Président Idriss DEBY, alors président en exercice de l’Union Africaine sur ce sujet. Faut-il que les pays empêchent leurs citoyens d’un certain âge d’aller vers les pays à risque ? Il faudrait une action concertée au niveau de tout le continent afin d’imaginer des solutions. Il avait été décidé, à un sommet européen, que des opérations commando iraient traquer les passeurs jusque dans leurs antres et qu’on détruirait les embarcations en amont avant même qu’elles ne prennent la mer afin de juguler ce trafic odieux. Mais rien ne fût fait de ce côté-là non plus.

L’autre aspect dont on ne parle pas et qui devrait inquiéter nos dirigeants, c’est que les maisons en Afrique se vident. Vous avez de plus en plus de parents âgés qui se retrouvent seuls dans beaucoup de maisons parce que les enfants sont partis à l’étranger, à la recherche, au mieux, de maigres moyens de subsistance, au pire, d’une infâme misère. Des bras valides qui quittent nos pays et qui ne reviendront probablement pas de si tôt. Enfin, il convient de se pencher très sérieusement sur la question de l’immigration intra-africaine. Il y a en Afrique, des pays immenses mais très peu peuplés. La population est très inégalement répartie. La densité est légèrement supérieure à 30 habitants au kilomètre carré, soit 3 fois inférieure à celle de l’Union Européenne. Il y a, donc de la place pour que les populations migrent d’un point vers l’autre et que l’on crée ainsi un équilibre bénéfique salutaire pour le continent.

Vous êtes un panafricaniste convaincu, très optimiste sur l’avenir de l’Afrique. Mais y a-t-il encore des raisons de garder un espoir lorsqu’on passe en revue toutes les crises qui secouent le Noir Continent?

Oui, je suis un fieffé optimiste pour l’avenir de l’Afrique, panafricaniste hier, panafricaniste aujourd’hui, panafricaniste toujours.
Oui, il y a des raisons. Il y a déjà plus de pays en paix que de pays en guerre sur le continent. C’est aussi le continent où la croissance augmente ; même si elle n’est pas encore suffisamment ancrée pour modifier le quotidien de tous les citoyens. Si cela dure encore quelques années, nous pourrons nourrir l’espoir d’un développement engagé et soutenu. C’est le continent aux ressources incommensurables. Oui, c’est le continent de l’avenir. Oui, j’y crois.

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