Depuis le 19 août dernier, la rue se déchaîne et la colère gronde contre une dictature qui se déguise en ange. De Djinkassé à Cinkassé, c’est un peuple sorti de sa torpeur, mains nues, qui brave les balles, les matraques pour écrire, dans l’écoulement torrentiel de son sang, l’histoire d’un Togo nouveau. La mobilisation est historique et sans précédente. Elle n’est pas celle d’hier. Au palais de la Marina, ça lâche et relâche. Le pouvoir et ses ailes marchantes qui hier, pestaient que l’opposition n’a pas le monopole de la rue, ont vite capitulé après une ou deux manifestations sporadiques.
Dans son apologie de la violence, le régime qui croyait qu’avec la force brute et le recours aux milices ou « groupes d’autodéfense » (c’est selon), il peut ébranler l’élan des Togolais, semble faire profil bas. Après avoir interdit les marches les jours ouvrables et œuvrés, il les autorise (sic). Arme à la main, il annonce l’ouverture d’un dialogue avec l’opposition pour un retour à la normale. De quel dialogue parle-t-il ? Quel compromis avec un pouvoir qui justifie curieusement la sauvage répression à Bafilo, Sokodé lors des trois jours de marches de la C14 (Coalition des 14 partis politiques de l’opposition). L’aspiration à l’alternance et au mieux-être des Togolais s’est heurtée à la dynastie des Gnassingbé qui utilise le « droit contre le droit », la force contre la raison. Depuis 50 ans, le Togo, un héritage commun, est sous les bottes d’une seule famille qui, visiblement, déteste l’alternance.
La lutte a commencé un 05 octobre 1990 lorsque les populations, dans leur majorité, ont décidé de déchirer le voile de l’oppression et de l’asservissement pour réclamer plus de liberté, un Etat de droit et de démocratie. Et depuis, la crise a ouvert les vannes. Le Gal Etienne Eyadema qui tenait le pays d’une main de fer déchaîne, les forces armées contre la rue qui grondait de colère. De graves violations des droits de l’Homme ont été perpetrées et déplorées.
Après la Conférence nationale souveraine, plusieurs dialogues ont eu lieu pour sortir le pays de l’ornière. Gnassingbé père et les caciques de son parti RPT (Rassemblement du peuple togolais) devenu aujourd’hui UNIR (Union pour la République) refusèrent d’appliquer les différents accords. C’est ainsi que les accords-cadres de Lomé, celui du Dialogue paritaire de suivi, les recommandations de l’UE, etc. sont restés lettres mortes.
En tripatouillant en 2002 la Constitution de 1992, le «vieux» a sauté le verrou de la limitation du mandat présidentiel pour conserver à vie le pouvoir. Malgré sa promesse et son engagement devant les chancelleries et la communauté internationale à ne plus se représenter en 2003. Mais parole non tenue. Arriva ainsi un 05 février 2005.
Le redoutable Léviathan a lâché la rampe. Au palais, les généraux ont fait allégeance au prince héritier. Dans une seule nuit, la Constitution a été toilettée mille et une fois pour permettre à Faure Gnassingbé de succéder à son papa qui leur avait dit de ne jamais laisser tomber le pouvoir au risque de ne plus le reprendre. Par le massacre des populations, dénoncé dans différents rapports, il a accédé à la magistrature suprême.
En 2006, l’Accord politique global (APG) a été signé, mais le pouvoir a refusé de le mettre en œuvre et préfère organiser des scrutins contestés pour perpétuer la dynastie familiale. 11 ans après, les réformes préconisées n’ont pas été faites. Faute de consensus politique ? Plutôt à cause de la mauvaise foi du Rpt-Unir, soutient l’opposition. Et pourtant outre Colmar I et II, Ouaga I et II, sous Faure, plusieurs dialogues ont eu lieu aussi. Comme sous son père, les résultats ont subi le même sort. Le Cadre permanent de dialogue et de concertation (CPDC), Togo Télécom II... ont également leurs conclusions restées dans les tiroirs. Malgré les recommandations de la CVJR, les exhortations des hommes de Dieu, les incessantes relances de la Communauté internationales, le pouvoir refuse d’opérer les réformes constitutionnelles et institutionnelles censées ouvrir le Togo à la démocratie et à l’alternance.
Pendant longtemps, le RPT-UNIR qui a fait échouer les discussions autour de la mise en œuvre de l’APG, a manœuvré pour attiser la division au sein de l’opposition qui aujourd’hui s’est réveillée. En 2010, il fait signer avec l’UFC, un prétendu accord dit de redressement économique dont le point saillant est la réalisation effective de l’APG et la mise en œuvre des réformes. Plusieurs années après, rien n’est fait.
En juin 2014, le gouvernement a introduit un projet de loi portant révision constitutionnelle qui a été rejeté par le groupe parlementaire RPT-UNIR. Deux autres tentatives, sur l’initiative de l’opposition ont été aussi bloquées par la majorité parlementaire et le pouvoir. Une première proposition de loi modificative déposée le 20 novembre 2014 introduite par l’opposition et affectée à la Commission des Lois Constitutionnelles, de la Législation et de l’Administration Générale n’a pas été conduite à son terme en plénière. Son examen a été abandonné sur décision du Président de la commission le 21 janvier 2015. En juin 2016, les députés ADDI-ANC ont introduit à l’Assemblée nationale une proposition de loi de modification constitutionnelle. Mais en plein débat, le président de la Commission, en dépit du règlement intérieur de l’institution, a suspendu les travaux qui ont effectivement commencé le 5 août. Et finalement, c’est le président de l’Assemblée nationale, Dama Dramani qui a renvoyé les députés de l’opposition à la Commission de réflexion sur les réformes pilotée par Mme Awa-Nana Daboya.
Toutes les réclamations relatives aux réformes sont soldées par le bain de sang. Les manifestants sont arrêtés, réprimés, matraqués voire tués. Depuis le 19 août dernier, le pays a enregistré près de 20 morts. Aujourd’hui, des voix s’élèvent pour inviter les protagonistes de la crise au dialogue dont le pouvoir annonce l’ouverture imminente. Pour discuter encore de quoi ? Pouvait-on se demander.
Faure Gnassingbé qui croit retrouver du « réconfort » dans les ruines de Tsévié, « une ville, symbole de l’échec de 50 ans de gouvernance », veut résolument engager le pays sur un terrain inconnu. Lui qui, avec son ex-colistier Yahya Jammey, s’était opposé au protocole additionnel de la CEDEAO sur la démocratie et la bonne gouvernance. Et c’est quand même curieux que c’est après plusieurs années de diversion, de dilatoire, de massacres des populations, d’accords non appliqués que le pouvoir appelle de nouveau au dialogue.
Pour l’opposition, si dialogue il doit y avoir, c’est pour discuter des conditions de départ du prince du pouvoir. « Pour ce régime, le peuple doit se contenter de la respiration. S’il veut prétendre à quelque chose en plus, alors le pouvoir est prêt à lui ôter la vie ou nous sommes tout simplement priés de quitter le pays qui nous appartient à nous tous. En 2005, Faure Gnassingbé a été battu aux élections. Et il y a eu des morts, des blessés, des arrestations, des refugiés. Au dialogue ayant accouché de l’APG, on nous a dit : « laissez-le ». Ok ! En 2010, Faure Gnassingbé est battu aux élections, il y a eu des morts, des blessés, des arrestations, des refugiés…Aux discussions, on nous dit : « laissez-le ». Pas de problème ! En 2015, il est encore battu aux élections et on nous a encore dit «laissez-le». En 2017, aujourd’hui, alors que le peuple tout entier à l’intérieur comme à l’extérieur est débout pour dire assez, je pense qu’il n’y aura personne qui nous dira encore « laissez-le » », a clairement martelé Tikpi Atchadam du Parti national panafricain (PNP).
En effet si selon «Jeune Afrique», « Faure ne veut aucune médiation » et refuse de quitter le pouvoir en 2020, plusieurs s’accordent à dire qu’un dialogue avec le pouvoir ne serait que du dilatoire. En outre, avec le relevé macabre qui dépeint sur sa légitimité et sa légalité, il est disqualifié de toute initiative constitutionnelle et institutionnelle. Un dialogue avec lui serait sans enjeux. Et selon l’adage, « Un lion affamé reste lion ». Pour Isidore Latzo, il faut détruire « Carthage » et mettre en place « un gouvernement de salut public » qui fera les réformes. C’est à juste raison que plus de 85% des Togolais assoiffés de l’alternance exigent son départ immédiat du pouvoir. Mais face à la colère de la rue, Faure Gnassingbé fait le dos rond et ne compte pas bouger. Comme quoi, « soit c’est lui, soit c’est le chaos ». Une chose est claire, les aspirations d’un peuple ne se négocient pas.