Le commerce de pagnes longtemps fleuron de l’économie togolaise a subi depuis ces dernières années, des transformations profondes qui ont égratigné la valeur de cet héritage longtemps préservé par les femmes commerçantes togolaises. Un domaine de prédilection dans lequel on rencontre des femmes communément appelées « Nana Benz » et qui maitrisent parfaitement leurs activités économiques. Parmi elles, on peut citer Madame Christine AFANYIAKOSSO-MENSAH (photo), Directrice Générale de la boutique Prestige Super, Nana Benz. Propriétaire de plusieurs boutiques à Lomé, ses activités sont essentiellement portées sur la vente de pagnes depuis 22 ans qu’elle a débuté cette affaire qui lui « sied bien». Installées à Lomé, ces boutiques proposent des pagnes de toutes les gammes et de toutes les variétés à une clientèle composée d’amoureux de pagnes.
En 2010, elle a été distinguée « Hoinyi » à travers l’hommage rendu à sa personnalité par le grand prix de l’excellence féminine de « Afri muse » pour ses activités sur le plan national et international. En 2013, elle a été nominée Femme Leader de l’année pour l’encourager à continuer cette activité qu’elle considère aujourd’hui comme un investissement familial et personnel.
Même si aujourd’hui le commerce de pagne n’a plus toute sa notoriété d’atan, certaines femmes héritières de ce joyau ont décidé de maintenir la flamme allumée. La crise financière, les pirateries, la concurrence déloyale et les fausses marques de pagnes versées sur les marchés togolais et africains, n’ont altéré en rien leurs désirs de redonner toute sa beauté et sa fierté à cette activité longtemps considérée comme l’héritage de ces Nana Benz.
Dans cet entretien qu’elle a accordé à un reporter de l’Agence Afreepress, elle parle du commerce de pagnes, de la valeur du pagne porté par les femmes, de la crise actuelle causée par la concurrence déloyale et les incendies des marchés. Lisez plutôt...
Afreepress : Depuis quand avez-vous commencé le commerce de pagnes à Lomé et est-ce que ce commerce demeure encore porteur à ce jour par rapport à ces débuts ?
Christine AFANYIAKOSSO-MENSAH : Il y a vingt deux ans que je suis dans le commerce de pagnes, j’ai débuté à l’âge de 17 ans. C’est ma grand-mère qui a commencé ce commerce, suivie par ma mère. Lorsque j’ai débuté ce commerce, je me suis beaucoup plus investie dans les trousseaux bébés qui ne me rapportaient pas grand-chose. J’ai dû changer de cibles et j’ai choisi les pagnes. J’arrivais facilement à écouler 20 pagnes par jour. Avant le commerce de pagnes était profitable à tous. Sur un pagne vendu, vous pouvez gagner 10 000 F de bénéfices réels.
Aujourd’hui, le constat n’est plus le même et le commerce ne profite plus comme avant. Lorsque j’ai débuté, c’était encore rentable mais actuellement on n’a plus de bénéfices du fait des taxes exorbitantes de la douane. Lorsque la marchandise débarque au port, vous faites face à des taxes que vous n’arrivez pas à payer en totalité parfois et on se retrouve avec des dettes sur les marchandises. Moi je passe mes commandes directement depuis la Hollande mais c’est la douane qui nous tue et donc parfois on ne prend plus les commandes de la Hollande. Si les taxes douanières nous sont allégées, nous investirons nos ressources financières dans le commerce de pagnes pour développer le Togo et lui redonner sa place de marchés de pagnes africains.
Afreepress : Face à ce constat, d’où vous viennent les marchandises actuellement ?
Christine AFANYIAKOSSO-MENSAH : Je prends mes marchandises à l’UAC ici sur place, ça m’évite des charges exorbitantes à payer et si je gagne 1 000 F sur un pagne vendu, je sais que c’est mon bénéfice.
Afreepress : Quelle est la valeur du pagne aujourd’hui et est-ce que les gens continuent aujourd’hui par acheter des pagnes ?
Christine AFANYIAKOSSO-MENSAH : La valeur du pagne se retrouve dans la qualité du pagne que vous portez, nous avons des Hollande, des supers qui ont été des pagnes portés par nos grands-mères depuis des décennies et qui sont reconnus grâce à leur qualité de durée, de solidité et de motifs. C’est pour ça qu’on dit que ces pagnes ont une certaine valeur qui honore celui ou celle qui le porte et qui l’identifie de part sa qualité. On ne cessera jamais de porter les pagnes, donc il y a quand même une fréquence assez évidente de vente et d’achat de pagnes auprès des personnes qui ont des cérémonies de mariages ou de fiançailles à faire, ou encore de cadeaux à offrir. Ils viennent acheter les pagnes chez nous. Ceux qui ont assez de moyens en achètent jusqu’à 24 pièces pour la fiancée, certains en achètent la moitié ou encore 6 pagnes pour leur bien aimée.
On a constaté que le port de pagne n’est plus la mode auprès des jeunes filles togolaises qui préfèrent des « Prêt à porter » et adoptent un nouveau style vestimentaire propre à leur personnalité. Cette préférence et ce choix des jeunes filles n’ont-ils pas participé aussi à cette situation que vos évoquiez à l’instant ?
C’est un constat réel qui malheureusement n’a pas participé à remonter notre chiffre d’affaires déjà que ce choix a diminué l’investissement de cette couche sociale dans le pagne. Nous, à notre temps, nous portions de pagnes tous les jours, pour aller à des mariages, aux cérémonies de baptême, aux demandes de fiançailles, à l’église, aux marchés et même à nos sorties dansantes. Nous étions toujours en pagne car c’est l’héritage de nos mamans et de nos grands mères. Mais aujourd’hui'hui les choses ont évolué et c’est une autre génération qui est à la barre et qui a choisi les robes, les pantalons et les prêts à porter. Mais ceux qui s’y connaissent dans la qualité du pagne en achètent encore.
Afreepress : Dans la boutique on croise des rangées de divers pagnes installée en ordre et selon les qualités reconnues à chaque pagne, pouvez nous nous présenter certains des pagnes que vous exposez dans la boutique ?
Christine AFANYIAKOSSO-MENSAH : Nous avons des Super Wax, des Hollandais, des pagnes collections qui sont de grande qualité et qui sont destinés à une certaine couche sociale. A côté de ces pagnes, nous avons aussi des pagnes de qualité moyenne pour ceux qui n’ont pas assez de moyens pour acheter les pagnes de luxe. Les prix des pagnes dans la boutique varient de 5 000 F à 55 000 F voire 63 000 F.
Afreepress : On a appris que le commerce de pagnes est un investissement familial que la descendance de la famille hérite. Votre exemple en est assez révélateur aujourd’hui. Avez-vous senti un intérêt particulier de votre fille à hériter de ce commerce lorsque vous prendriez votre retraite ?
Christine AFANYIAKOSSO-MENSAH : J’ai appris les rouages de ce commerce à ma fille. Je l’amène sur mes voyages d’affaires et d’achat de pagnes dans le monde entier. Pendant mes absences, c’est elle qui gère les affaires dans mes boutiques. Mais vous connaissez les filles d’aujourd’hui. Avec l’avènement des nouvelles technologies, l’internet et tout le reste, elle a choisi de s’investir dans le commerce général et dispose déjà des papiers officiels à cet effet. Son choix est porté plus sur la nouvelle tendance en mode qui est constatée actuellement à Lomé, les chaussures, les robes, les modèles européens et américains composent sa passion. Elle n’a que 20 ans et si c’est son choix, je le respecterai. Je serai toujours là pour la guider dans ses investissements. Actuellement elle étudie dans une école de la capitale après son diplôme de langue obtenu dans une université ghanéenne. Je ne la force pas à aller vers le commerce de pagnes, c’est son cœur qui a choisi le commerce général et elle a tout mon appui.
Afreepress : Aujourd’hui on a remarqué que les marchés togolais sont inondés de produits falsifiés avec l’arrivée dans ce commerce des pagnes copiés et de moindre qualité en provenance de certains pays asiatiques. Une concurrence déloyale est présente dans le commerce, comment vivez-vous cette situation dans ce commerce ?
Christine AFANYIAKOSSO-MENSAH : Le gros lot des produits falsifiés vient de la Chine et ça a porté un gros coup à ce commerce. Aujourd’hui nous subissons cette piraterie qui nous coute chère et qui anéantit à petit feu, ce commerce qui faisait la fierté de nos mamans. N’eut été la vigilance de nos gros importateurs hollandais, les chinois seraient les premiers investisseurs en pagnes au Togo et en Afrique. Même les pagnes Hollande et Super wax sont aujourd’hui produits en Chine et déversés sur nos marchés. Le commerce de pagnes a subi ce coup et nous craignons pour l’avenir de ces pagnes de qualité.
Afreepress : Le Togo était connu comme la pays des Nana Benz, ces femmes riches revendeuses de pagnes connues mondialement qui ont longtemps assuré une santé financière stable à l’économie togolaise. Pensez-vous que le mythe Nana Benz est encore d’actualité aujourd’hui ?
Christine AFANYIAKOSSO-MENSAH : Les Nana Benz étaient les grandes importatrices de pagnes à Lomé, elles ont gardé ce nom parce que dans le temps elle roulait dans des grosses cylindrées de marque allemande qu’on connaissait et qui étaient des Mercedes Benz. Elles avaient un pouvoir financier qui dépassait même les richesses cumulées de certains chefs d’état africains. Aujourd’hui ce qualificatif a perdu de son contenu parce que beaucoup de ces femmes riches sont décédées. En plus, les filles de ces Nana Benz ne sont plus très motivées à continuer le commerce des pagnes qui était l’héritage de leurs mères. Elles préfèrent aller faire des études en France, en Europe ou aux Etats unis oubliant ce patrimoine qui était cher à nos mamans. Avant c’est seulement au Togo qu’on pourra rencontrer des vraies Nana Benz mais aujourd’hui, elles ne sont plus là comme avant et s’il faut compter des Nana Benz au Togo, on dénombrera peut être 4 ou 5 qui ont maintenu cette flamme qu’on leur connaissait.
Afreepress : Vos activités de commerce de pagnes vous ont amenée à vous investir dans le business de prestations de services de location de corbillards et toute la logistique nécessaire pour des prestations de services. A cet effet vous avez crée les « Ets Prestige Corbillards ». Comment expliquez-vous ce parallèle que vous établissez entre vos deux secteurs d’activités ?
Christine AFANYIAKOSSO-MENSAH : La raison qui m’a amenée à m’investir dans le business de location de corbillards à Lomé est relative au constat que j’ai eu à faire du fait du manque de corbillard de luxe et de prestige pour accompagner et honorer la mémoire des parents ou d’un être cher que nous avons perdus à la suite d’un décès. Lorsque j’ai perdu mon mari, la société à laquelle on s’est référé en pompes funèbres nous a amené un corbillard qui n’est pas digne de la position sociale de feu mon mari. J’ai eu pitié pour le corps de mon mari qui méritait un corbillard plus propre et dû à son rang. Finalement on nous proposé un autre corbillard qui a pu accompagner le corps de mon mari à sa dernière demeure. C’est après ce constat que j’ai décidé de m’investir dans la location de corbillards de prestige. J’ai donc crée les Ets « Prestige Corbillards » pour compléter mes affaires et répondre aux besoins des familles qui veulent donner un cachet spécial aux cérémonies d’enterrement de leurs parents, amis ou collègues de service. Nous avons tous les types de corbillards à louer selon les moyens financiers de chaque client. On a des corbillards de luxe, de prestige et des catégories moins chères pour tout le monde. Nos véhicules sont importés des Etats unis.
Afreepress : Avez-vous un mot pour apaiser les cœurs affligés de vos sœurs dont les marchandises ont été emportées dans les incendies des marchés du Togo ?
Christine AFANYIAKOSSO-MENSAH : J’ai 12 clients à qui je livre mes marchandises au grand marché de Lomé qui ont tout perdu suite à ces incendies. J’ai perdu plus de 100 millions en marchandises dans ces incendies. Je suis grossiste donc je livre des marchandises à mes clientes du grand marché de Lomé. J’ai des problèmes avec mes banques parce que je suis aussi sous prêt et je dois régulariser ma situation au plus tôt. Nombreuses femmes sont sous prêts dans les banques togolaises pour relancer leurs activités et une nuit, toutes ces années de sacrifices sont parties en fumée. Les banques poursuivent ces femmes pour le recouvrement des créances obtenues auprès de ces établissements. Tout le monde a demandé un prêt dans ces banques, moi-même y compris.
C’est à cause de la dévaluation que nous nous sommes tournées vers des prêts en banque sinon nous subirons les conséquences de cette dévaluation. C’est un drame qui a touché tout le monde, les femmes des grands marchés en premier. Tout le monde a été touché dans ces incendies et les effets négatifs sont encore présents au quotidien. Avec les marchés qui ont brulé dernièrement, c’est le commerce de pagnes qui est terrassé. Mais aujourd’hui j’essaie de faire avec grâce aux séances de prières de mon pasteur. C’est Dieu qui peut nous essuyer nos larmes et apaiser nos douleurs que nous porterons encore pendant très longtemps dans nos cœurs.
