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Faure Gnassingbé : «Dans un État de droit, le pouvoir ne se prend pas par la rue mais par les urnes»
Publié le jeudi 21 decembre 2017  |  Autre presse


© aLome.com par Edem Gadegbeku & Parfait
Inauguration du E-Gouvernement par le Président Faure Gnassingbé pour accélérer la modernisation de l`Administration togolaise
Lomé, le 24 avril 2017. Ancienne direction de Togo Telecom. Inauguration du E-Gouvernement par le Président Faure Gnassingbé pour accélérer la modernisation de l`Administration togolaise. Financé à hauteur de 15 milliards de FCFA par Exim Bank de la Chine, ce projet a pour finalité de relier 560 bâtiments administratifs (ministères, universités, hôpitaux, etc) par fibre optique via 200 km de câble, et leur offrir une connexion haut débit de 100 Mbps.


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Le président togolais n’est pas homme à s’épancher et c’est à JA qu’il a choisi de donner sa première interview depuis le début de la crise. Contesté par une opposition qui réclame son départ immédiat, il appelle au dialogue.

Dimanche 10 décembre : un épais voile de brume poussiéreuse recouvre Lomé. Dans ce Sud très chrétien, les fidèles sont à l’église, au temple ou dans les assemblées de prière. En son palais présidentiel désert où il s’est lui aussi aménagé un lieu de culte, c’est un Faure Essozimna Gnassingbé d’allure déliée et d’apparence sereine qui reçoit JA pour sa première interview depuis le début de la crise politique qui secoue son pays. Les contours en sont connus : face à ce « fils de » de 51 ans, au pouvoir depuis 2005, trois fois élu et réélu et qui contrôle l’essentiel des leviers du pays – sécuritaire, économique, législatif, judiciaire –, une coalition de quatorze partis d’opposition organise depuis près de cinq mois des manifestations quasi hebdomadaires, avec des revendications à la fois réalistes (composition de la commission électorale, vote des Togolais de l’étranger, malaise social) et irréalistes (le départ immédiat du chef de l’État) – un cocktail qui lui permet de ratisser large. Si la période de violence qui a accompagné l’irruption de l’ovni Tikpi Atchadam sur la scène revendicative et qui s’est soldée par un nombre encore indéterminé de victimes (seize selon l’opposition, la moitié selon les autorités) semble surmontée, la tension demeure palpable.

Après avoir montré des signes de fébrilité face à ce qu’il a ressenti comme les prémices d’un scénario à la burkinabè, le pouvoir s’est ressaisi, décrétant début décembre des mesures de confiance et d’apaisement – négociées avec l’aide du facilitateur guinéen Tibou Kamara, dépêché par le président Alpha Condé –, lesquelles devraient déboucher sur l’ouverture prochaine d’un dialogue national. Certes, le Togo n’en est ni à sa première crise ni à son premier dialogue. Mais rarement, alors que ce pays semblait de l’avis général réussir son redécollage économique, l’arbre à palabres n’avait paru aussi indispensable.


Jeune Afrique : Le Togo traverse une période de fortes turbulences depuis cinq mois. Pourquoi et comment en est-on arrivé là ?

Faure Gnassingbé : Il est encore un peu tôt pour avoir une pleine compréhension de ce mouvement assez complexe. Je m’en tiendrai donc à deux constats. Le premier est l’élément politique qui a porté la revendication, notamment dans les médias internationaux : les réformes constitutionnelles. Nous les avons engagées, le texte proposé est devant l’Assemblée nationale et le processus va suivre son cours. Le second constat est plus préoccupant. Nous sommes en Afrique de l’Ouest, où sévit un arc de crise terroriste qui va du Mali au lac Tchad. Quand on voit au Togo, lors des manifestations, des gens brandir des kalachnikovs, quand on entend des imams appeler à l’émeute dans certaines mosquées, quand on exige des forces de l’ordre de réciter des versets du Coran pour avoir la vie sauve, cela interpelle. Surtout lorsque le parti à l’origine de ces manifestations est d’apparition soudaine et que ses circuits de financement sont opaques. Ces aspects inquiétants ont certes été depuis tempérés lors des manifestations communes organisées entre ce parti et l’opposition, ce dont je me félicite, mais je ne les oublie pas. Ils sont là.

Vous faites évidemment allusion à Tikpi Atchadam et à son parti, le Parti national panafricain, très implanté au sein de la communauté musulmane des Tem. Ni vous ni l’opposition « historique » n’avez vu venir ce phénomène. Pourquoi ?

En réalité, avant la manifestation violente du 19 août qui a été une sorte de climax, ce parti avait organisé une quinzaine de démonstrations pacifiques et encadrées. Puis, brusquement, les revendications et le mode opératoire se sont radicalisés. L’objectif, c’est évident, était de rééditer une sorte de scénario insurrectionnel. Ce à quoi nous avons assisté ensuite n’était rien d’autre qu’une tentative de prise du pouvoir par la rue. Elle a échoué.

L’opposition, disons, traditionnelle s’est greffée sur cette contestation avec un mot d’ordre classique – le retour à la Constitution de 1992 – et un autre maximaliste : votre départ immédiat du pouvoir. Est-elle également, selon vous, partie prenante de ce scénario insurrectionnel ?

Je crois que ces slogans, dont les auteurs savaient pertinemment qu’ils ne pouvaient être appliqués, ont été brandis pour justifier la poursuite des manifestations. Leur apparition est curieusement concomitante avec le dépôt du projet de réforme de la Constitution devant l’Assemblée. Ce texte répondant aux revendications de l’opposition, cette dernière a choisi un autre terrain : la rue. En ce sens, oui, sa volonté de déstabiliser le pouvoir était très claire. Elle ne s’en est d’ailleurs jamais caché.


Ce projet de réforme, qui doit être en principe soumis à référendum, que dit-il ?

Limitation du nombre de mandats présidentiels à deux fois cinq ans. Limitation également du mandat des députés. Instauration d’un mode de scrutin à deux tours. Une réforme très classique, qui de plus apporte un supplément de démocratie par rapport à 1992, de l’avis de nombre de constitutionnalistes.

Pourquoi un retour à la Constitution de 1992 est-il inenvisageable à vos yeux ?

Cette question a été vidée par les rédacteurs de cette Constitution eux-mêmes, qui ont expliqué lors d’un colloque qu’il était illusoire, inopportun d’y revenir et qu’il convenait d’aller de l’avant. La Constitution de 1992 était une Constitution partisane adoptée par une Assemblée monocolore. Elle a été rectifiée en 2002 par une autre Assemblée monocolore. Il fallait donc sortir de cette dichotomie des extrêmes et convenir d’un texte consensuel.

Pourtant, même la conférence épiscopale du Togo demande le retour à la Constitution de 1992 !

Je crois que les évêques ont, depuis, mis un peu d’eau dans leur vin de messe. Cette revendication tardive de la conférence épiscopale a d’autant plus surpris qu’on ne l’avait jamais entendue auparavant de sa part, ni lors du dialogue de 2006 ni ailleurs. C’était une erreur d’appréciation de la complexité de la situation.


Autre personnalité à s’être prononcée pour un retour à ce qu’on appelle ici la C-92 : Gilchrist Olympio. Redeviendrait-il votre adversaire après avoir été votre allié ?

La réalité est plus simple. Le parti de Gilchrist Olympio s’est entre-temps divisé, et la majorité a rejoint l’ANC de Jean-Pierre Fabre. L’essentiel de sa propre famille biologique est également resté au sein de l’opposition. Ce sont ses proches qui ont exercé des pressions sur lui afin qu’il adopte cette position, tout en annonçant sa retraite politique.

L’opposition exige que la réforme constitutionnelle soit rétroactive en ce qui concerne le nombre de mandats. En d’autres termes, que vous soyez empêché de vous représenter en 2020. Que répondez-vous ?

Faisons les réformes, évitons de les personnaliser. Ne mélangeons pas les sphères politique et juridique. Les constitutions disposent pour l’avenir, non pour le passé.

Autre revendication : le vote des Togolais de l’étranger. Pourquoi vous y opposez-vous ?

C’est inexact. Je n’ai aucune position de principe à ce sujet, et cela fait partie des choses sur lesquelles nous pouvons nous entendre lors du dialogue. Il faut simplement bien examiner les aspects techniques.


Les manifestations qui se sont déroulées depuis le mois d’août ont fait des victimes. Combien, selon votre décompte ?

Je ne cesse de penser à ces victimes innocentes, j’en suis peiné, nous n’avions nul besoin d’en arriver là. Il y a eu six morts par balles du côté des manifestants et deux membres des forces de l’ordre lynchés et décapités à Sokodé. C’est absolument déplorable. Des enquêtes sont en cours, et la justice fera son travail.

On a relevé la présence de milices, qualifiées de groupes d’autodéfense, aux côtés de la police et de l’armée. Le reconnaissez-vous ?

C’est une réalité que je déplore mais qu’il faut replacer dans son contexte, celui des premières manifestations violentes du PNP et des multiples provocations auxquelles se sont livrés les militants de ce parti. C’est cela qui a donné naissance à ces groupes d’autodéfense, qui sont également condamnables et que nous condamnons.

On vous reproche d’avoir tenu des propos revanchards devant les bérets rouges du camp de Témédja, au début de novembre. Est-ce exact ?

Écoutez. Je suis le chef des armées. Je demande aux militaires de ne pas faire usage de leurs armes. Deux soldats qui gardaient des édifices publics ont été massacrés. La moindre des choses de ma part était de compatir et de promettre aux militaires qu’on rechercherait les coupables sans relâche et par tous les moyens pour les livrer à la justice. Je n’ai pas dit autre chose. Tout chef d’État responsable aurait tenu les mêmes propos.

Êtes-vous satisfait du comportement de votre parti, l’Unir, pendant ces événements ?

Tout à fait. L’Unir a organisé dans le calme de grandes manifestations, et ses dirigeants ont toujours tenu des propos responsables.


Vous semblez discerner derrière la frange la plus dure de l’opposition, en l’occurrence le PNP de Tikpi Atchadam, l’influence de réseaux islamistes radicaux. De quels éléments disposez-vous pour avancer cette hypothèse ?

Je pense que cette hypothèse est réaliste. Les éléments constitutifs qui l’accréditent existent. La région de Sokodé, berceau du PNP, est fortement islamisée. Des armes circulent. Une poignée d’imams radicaux tente d’enflammer les esprits en lançant des appels au jihad contre l’armée et les familles des militaires. Deux d’entre eux ont été arrêtés, puis relâchés et placés sous contrôle judiciaire dans le cadre de la procédure. Cela dit, il ne faut pas stigmatiser cette ville, ni cette région. Lors de ma récente visite à Sokodé, j’ai reçu un accueil bienveillant, voire chaleureux, qui prouve que sa population aspire à la paix et rejette la radicalisation qui mène à la violence.

Neuf mesures de confiance ont été prises début décembre par votre gouvernement afin de faciliter l’ouverture d’un nouveau dialogue avec l’opposition. Ce n’est pas le premier. Quel en sera l’ordre du jour ?

Le dialogue est un élément essentiel de notre société. Avant de décliner son ordre du jour, il va falloir convenir de sa composition. Nous avons, au sein de l’opposition, des partis représentés à l’Assemblée et des partis extraparlementaires : ils devront décider s’ils y viennent séparément ou en coalition. Nous avons aussi des partis qui n’ont ni manifesté ni revendiqué et qui agissent dans le cadre des institutions. Ceux-là aussi ont le droit de participer. Cette crise est politique, le dialogue sera donc une séquence purement politique.

Dialogue ou conférence nationale bis ?

Dialogue. Tout le dialogue. Rien que le dialogue. Il n’y aura pas de conférence.

Le référendum aura-t‑il vraiment lieu ?

Nous y sommes tenus. C’est une disposition constitutionnelle. Il aura lieu après le dialogue.

Quand s’ouvrira celui-ci ?

Très rapidement en ce qui concerne sa phase préparatoire. Avant les fêtes de fin d’année.

Si le projet que vous avez soumis à l’Assemblée est adopté par référendum, vous pourrez vous représenter en 2020 puis en 2025 et, si vous l’emportez, rester au pouvoir jusqu’en 2030. Comprenez-vous que cette perspective soit insupportable aux yeux de vos adversaires ?

Je comprends leur impatience, bien sûr. Mais les épreuves que nous avons connues dans le passé doivent nous enseigner une chose essentielle : il faut respecter l’État de droit. Il n’y a pas d’autre moyen d’accès à la magistrature suprême que les élections. Il faut faire confiance au peuple togolais et, pour cela, l’interroger plutôt que de parler à sa place.


Serez-vous candidat en 2020 ?

Je ne me situe pas encore dans cette perspective. Ma préoccupation est immédiate : sortir de ce moment difficile afin que les Togolais retrouvent quiétude et sérénité et se remettre dans le sens de la marche, car cette crise a coûté cher à notre économie – en particulier aux femmes commerçantes, qui ont beaucoup souffert.

Les présidents guinéen, ghanéen, ivoirien, béninois, nigérian, d’autres encore ont offert leurs services de médiateurs dans cette crise. Cela ne fait pas un peu trop ?

Au contraire. Ce sont autant de preuves d’amitié et de solidarité à l’égard du Togo. Et puis toutes ces offres de facilitation tiennent compte de notre souveraineté et du fait que c’est aux Togolais que revient in fine la responsabilité de trouver une solution. Cela est essentiel.

Cette crise politique vous a contraint à annuler le sommet Afrique-Israël prévu en octobre à Lomé. Vos invités ont-ils eu peur de l’insécurité ?

Non. La décision d’annuler cette conférence a été prise par moi avant le début de la crise, même si elle a été annoncée après. J’avais le fort sentiment qu’il fallait mieux expliquer son bien-fondé auprès de mes pairs, afin que son intérêt en matière de coopération technique pour un développement durable ne soit pas occulté par le conflit israélo-palestinien.

Allez-vous pouvoir maintenir un taux de croissance à 5 % par an malgré la situation politique ?

Cette crise est néfaste pour le Togo, pays de l’Afrique de l’Ouest qui a le plus investi dans les infrastructures en pourcentage de son PIB. Le secteur privé doit prendre le relais mais la situation ne s’y prête guère, notamment parce que le risque politique renchérit le coût des investissements. Il est urgent qu’on en sorte, et, pour cela, que le dialogue se tienne. « Le dialogue, disait Houphouët-Boigny, c’est l’arme des forts. »

Le Rwanda est-il toujours, en matière de politique économique, une sorte de modèle pour vous ?

Un modèle de réussite, sans aucun doute.

Dominique Strauss-Kahn vous conseille dans vos relations avec le FMI. Est-ce utile ?

Absolument. Il nous a été précieux dans la phase de négociation de notre programme avec le Fonds. C’est un expert dans ce domaine.

Et Tony Blair ?

Le Tony Blair Institute intervient avec efficacité dans le domaine de la good governance, comme il l’a fait dans plusieurs pays d’Afrique anglophone et francophone.

Comment jugez-vous l’attitude de la communauté internationale à votre égard ?

Les gouvernements ont été en général respectueux de notre souveraineté car ils comprennent les enjeux en matière de stabilité politique au niveau de la sous-région. Je n’en dirais pas autant des médias internationaux : il y a eu beaucoup de désinformation et de mensonges de leur part. Le nombre des manifestants et celui des victimes ont été outrageusement gonflés, sur la base de ce que véhiculaient les réseaux sociaux.

Et le président français Emmanuel Macron ? Vous êtes-vous parlé à Abidjan, fin novembre, lors du sommet UA-UE ?

Nous avons eu un bref échange au cours duquel il a exprimé le vœu que les élections législatives et locales prévues en 2018 se déroulent dans le meilleur des climats possible.

Une prochaine rencontre à l’Élysée est-elle envisageable ?

Je ne suis pas demandeur pour l’instant. Je préfère me consacrer en priorité à nos problèmes internes.

Les anciens présidents Rawlings et Obasanjo ont tous deux tenu des propos critiques à votre encontre. Leur en tenez-vous rigueur ?

Ils s’en sont, l’un et l’autre, expliqués depuis auprès de moi. Ils ont à présent bien intégré les vrais enjeux de cette crise. L’incident est clos.

Lors du congrès de l’Unir à la fin d’octobre, vous avez eu cette phrase : « Les réseaux sociaux m’ont transformé d’un homme simple en un dictateur sanguinaire. » Qu’est-ce à dire ?

C’est ce que les Américains appellent le « character assassination ». On vous prête des actions, des intentions, des propos qui ne sont pas les vôtres au point que, lorsque vous lisez le résultat, vous vous dites : est-ce de moi que l’on parle ? Toujours, j’ai pensé que la conquête et la préservation du pouvoir ne pouvaient pas tout autoriser, qu’il y avait des lignes rouges à ne pas franchir. Pour moi, le respect de la vie humaine est sacré, absolument sacré. Or, si les mots ont un sens, un dictateur sanguinaire est quelqu’un qui tue et qui tue en série. Je veux bien admettre que ceux qui profèrent ce genre d’insanités n’en mesurent pas la portée et je n’ai pas de leçons de démocratie et de respect des droits de l’homme à donner à l’opposition. Mais cette opposition n’a pas plus de leçons à me donner en la matière.

Comment vivez-vous cette crise?

Je suis triste pour mon pays. Au-delà de l’affichage d’intentions démocratiques, ce que cherchent mes adversaires c’est la captation du pouvoir avant le terme de mon actuel mandat. Tout cela est vain, mais le risque de ruiner la réputation du Togo auprès de la communauté internationale et des investisseurs est, lui, bien réel. C’est pourquoi je suis déterminé à faire respecter l’état de droit et à protéger nos acquis économiques et sociaux dans l’intérêt de tous les Togolais.
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