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«Pays de merde» : lettre ouverte au président Donald Trump
Publié le vendredi 19 janvier 2018  |  Jeune Afrique


© Autre presse par Numerama
D. TRUMP


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par Aïcha Yatabary
Dr Aïcha Yatabary est médecin, spécialiste en santé publique, aide humanitaire et coopération internationale, et écrivain.




Cette tribune est co-signée par 19 personnalités dont les noms figurent ci-dessous.

Excellence Monsieur le Président des États-Unis,

Nous avons décidé de prendre la parole suite à vos récentes déclarations qualifiant les pays africains, le Salvador et Haïti, de « trous à merde ». Femmes et hommes, leaders d’opinion, écrivains et philosophes de toutes les couleurs, nous nous retrouvons dans cette lettre commune par la chaîne de l’humanité.

Femme et médecin humanitaire, je prends la parole la première. J’exerce dans une campagne africaine, de celles que vous qualifiez de « trous à merde ». Une campagne pleine de mouches. Une campagne où les enfants, pleins de morve, errent parfois nus. Une campagne où les femmes accouchent parfois à domicile et risquent la mort en donnant la vie. Une campagne où certains se couchent avec la faim pour compagne. La plupart de nos amis nous ont conseillé de ne pas vous écrire. Selon eux, ce serait peine perdue, ce manifeste ne serait lu ni par vous ni par vos proches.



Mais nous nous adressons tout de même à votre auguste personne. Peut-être, dans un élan d’empathie, accorderez-vous de l’importance à nos propos. Ce que nous voudrions vous signifier, Monsieur le Président des États-Unis, c’est que le pauvre n’est pas celui qui n’a pas un compte en banque bien garni. Le pauvre n’est pas celui qui ne possède pas le bouton nucléaire le plus gros et le plus puissant. Le pauvre, Monsieur le Président, est celui-là même qui a perdu toute dignité. À vous les drones puissants et à nous les nuées de mouches. À vous les tissus adipeux et à nous les corps décharnés, les os. À vous l’opulence, à nous la frugalité. Mais pourquoi donc, venir nous insulter ? La dignité est le seul vêtement dont il nous plaît de recouvrir notre souffrance.

Nous avons travaillé dans vos champs de coton, esclaves que nous étions. Nous avons travaillé dans vos champs de tabac, esclaves que nous étions. Nous avons courbé l’échine sous votre fouet. Et maintenant, nous devrions nous taire et avaler les postillons de vos injures ? Non. Nous ne sommes pas de ceux qui se taisent. Ni de ceux qui troquent leur dignité, afin d’être dans vos bonnes grâces.

Monsieur le Président des États-Unis, Excellence Monsieur Donald Trump, pourquoi ne pas envisager la vie sous l’angle de la réciprocité ?

Monsieur le Président des États-Unis, moi, je suis philosophe et écrivain. Vous n’avez pas besoin de connaître ma couleur de peau. Je suis un citoyen du monde. Aujourd’hui, je suis à Ottawa et demain, je serai à Niamey. Se taire ? C’est ce qu’il ne faut pas faire. Les Dogons, un peuple d’Afrique, disent que la parole appartient à tous et qu’il faut la partager. Prenons la, partageons la, même avec vous qui nous insultez, en usant de sa vertu thérapeutique. Non. Nous ne sommes pas de ceux qui se taisent.


Monsieur le Président, philosophe et écrivain, je vous parle du cœur du Sahel. Cette réciprocité que nous abordions tantôt, ne doit pas se dérober du cours de l’histoire. Vous savez bien, je l’espère, qu’aucun peuple n’a prospéré en privilégiant le repli sur lui-même et l’autarcie. En effet, derrière le clinquant et l’embonpoint économique des États-Unis, que de larmes, que de sang d’Africains ont coulé ! Que de sueur versée et de douleurs vécues par les fils de ces pays que vous qualifiez aujourd’hui de merde ! Il vous aurait suffit, Monsieur le Président des États-Unis, de rouvrir les pages de l’histoire de votre grand pays, pour vous rendre compte que si McKinley (un Républicain pourtant, comme vous), avait fermé les portes des États-Unis pour empêcher la ruée vers l’or, qu’en serait-il advenu de vous, Monsieur le Président ? Les pages de l’histoire des États-Unis demeurent écrites par l’hétérogénéité civilisationnelle.

Monsieur le Président, je suis moi, citoyen américain d’origine africaine. Rappelez-vous simplement que l’Amérique, votre Amérique, est peuplée majoritairement de descendants du continent « de merde ». Aujourd’hui, les descendants des « pays de merde », et Barack Obama, votre prédécesseur, sont face à vous. Barack Obama, ce Président américain, qui a marqué l’histoire de son pays par son passage à la Maison Blanche. Comment ? Par son style, son courage, son intelligence. Son père, comme vous le savez, est fils du continent « de merde ». En voulant vous adresser aux Africains de la manière la plus maladroite dont vous soyez capable, et bien sûr, teintée d’ignorance, à moins que ce ne soit de racisme, comme cela est fort probable, vous avez aussi traité une partie des Américains de « merde », puisqu’ils sont issus du continent de « merde ».



Ah ! Monsieur le Président américain, c’est encore moi, le médecin de la campagne africaine. J’oubliais. Quand je vous suggérais d’envisager la vie sous l’angle de la réciprocité, je vous voulais vous inviter à nous rendre la politesse. Nous, peuple africain. Peuple noir. Vous nous devez bien cela : la politesse. Vous ignorez peut-être notre civilisation, de l’Égypte ancienne, à l’empire du Wagadu. Vous ignorez certes, notre apport à l’humanité, de Nelson Mandela, à Cheick Modibo Diarra. Vous ne connaissez certainement pas notre culture, d’Ali Farka Touré à Myriam Makeba.

Mais vous connaissez sans doute nos gisements de pétrole, nos mines d’or et d’uranium. Vous n’ignorez pas notre bois et notre bauxite. Pauvres, nous ? Non Monsieur le Président des États-Unis. Trop longtemps résignés. À présent, nous sommes de ceux qui relèvent la tête.

Conscients que les plaies sur les genoux de nos enfants sont aussi le reflet des plaies sur les visages de nos sociétés en faillite. Nous les soignerons. Conscients que les glaires sur les visages de nos enfants sont le reflet de l’opacité visqueuse de nos administrations. Nous savons bien que la nudité de nos enfants n’est que le reflet de l’impudicité de certains de nos dirigeants. Nous travaillerons sans cesse à redresser nos sociétés décadentes. Connaissez-vous le regard brillant et le sourire étincelant des enfants morveux de nos campagnes ? Connaissez-vous l’éclat naturel de cet ébène, l’ébène de ces femmes africaines ? Oui, Monsieur le Président, nous sommes de ceux qui relèvent la tête.


Monsieur le Président, je suis blanche. Comme vous. Pasteure, comme le grand Martin Luther King, qui fut et reste mon modèle, je voudrais vous rappeler quelques faits de l’histoire. Je commencerai par vous rappeler que vous êtes africain, comme nous tous, les humains qui peuplons cette terre. Ignorez-vous que le premier hominidé, Homo Erectus, vit le jour en Éthiopie ? C’est notre ancêtre commun. Il était noir. À mesure que les peuples migraient pour trouver de nouveaux pâturages pour les bêtes et de nouveaux abris pour eux-mêmes, leur peau, privée de soleil, se dépigmentait.

Nous, les humains, sommes la seule et unique race au monde. Mais puisque vous traitez le peuple africain de « merde », je pourrais vous rappeler à mon tour, qu’un peuple qui a été capable de décimer et de chasser un autre, pour s’emparer de sa terre, je veux parler ici des Indiens que vous avez dépouillés, n’a pas de leçon de morale à donner au reste de l’humanité. En aucun cas, votre peuple ne pourrait s’enorgueillir d’être plus civilisé que le peuple africain que vous qualifiez de « merde ». Mais puisque nous avons commencé l’aventure humaine ensemble, nous la poursuivrons avec vous.


Monsieur le Président, je vous invite à enrichir votre culture en lisant davantage de manuels d’histoire sur ce grand continent. Ce grand continent qui a donné au monde ces grands personnages, tels Nelson Mandela, Desmond Tutu, Aimé Césaire, Léopold Sedar Senghor, Barack Obama. Barack Obama, qui fut un président digne.
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