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Qui veut noyer son opposant l’accuse de terrorisme
Publié le vendredi 26 janvier 2018  |  Courrier d’Afrique


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Le Collectif TCHOBOE a de nouveau tenté de faire un sit-in devant les locaux de la CENI pour le 2ème jour consécutif.
Lomé, le 13 mars 2015. Devant les bureaux de la CENI, le Collectif TCHOBOE a tenté une nouvelle fois de mobiliser du monde pour dénoncer le processus électoral en cours.


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Mémorandum de la Coalition des 14 sur la crise au Togo
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Si nous tenions un dictionnaire des expressions de l’année, les mots « islamisme », «djihadisme» et « terrorisme politique » formeraient le tiercé de tête du palmarès de l’année 2017 au Togo. Ces mots épouvantails sont entrés par effraction dans le vocabulaire politique à la faveur de la vague de contestation populaire qui secoue le pouvoir de Faure Gnassingbé.


Depuis les évènements de 19 aout 2017, le gouvernement togolais recourt systématiquement à ce lexique pour stigmatiser le PNP et Tikpi Atchadam afin de disqualifier son combat et de délégitimer les revendications formulées dans la foulée des marches populaires.

Dans sa fameuse interview à Jeune Afrique du 20 décembre dernier, le chef de l’Etat togolais a fait valoir que la virulence de la contestation était imputable à un nouveau parti « radicalisé » qui, par la violence de son discours et son mode opératoire belliqueux, menace de faire basculer le pays au mieux dans un scénario insurrectionnel, au pire le plonger dans l’« arc de crise terroriste qui va du Mali au lac Tchad».

Un parti dont le Colonel Agadazi Ouro-Koura, accessoirement ministre de l’Agriculture, accuse le leader d’appropriation de symboles culturels (les deux personnalités étant d’ethnie Kotokoli-Tem et ayant en partage le symbolique cheval blanc cabré sur fond rouge devenu l’effigie du PNP) et d’avoir « fini (sa) course dans un mouvement djihadiste ». Que faut-il penser de ces accusations ? Que faut-il entendre par ces chefs d’accusation ? Explications.




Politique de l’antipolitique

L’islamisme d’où dérive le djihadisme est une notion polysémique. On peut y entendre (1) une idéologie politique visant l’islamisation de la politique ou (2) une idéologie religieuse aspirant à la politisation de l’Islam par des moyens plus ou moins violents.


L’islamisation de la politique vise l’érection par des moyens souvent violents d’une théocratie nationale ou califale dont le Coran serait la Constitution et la Charia le code pénal. L’islamisation complète de la politique telle que portée par les mouvements djihadistes contemporains d’inspiration fondamentaliste vise à soumettre totalement la politique à la religion. De façon quintessentielle, ce courant est incarné par le défunt proto-Etat islamique (Daech) dont le Calife Abu Bakr Al Baghdadi s’est autoproclamé commandeur de tous les croyants musulmans (Oumma) de l’Indonésie au Sénégal. On recense des épigones de ce courant minoritaire dans l’Islam un peu partout dans le monde. En Somalie, ces idéaux sont incarnés par les Tribunaux islamiques qui ont tenté avec échec de s’imposer sur les ruines de cet État failli. Au Nigeria, le groupe Boko Haram devenu l’État islamique en Afrique de l’Ouest suite à son allégeance à Daech, fonctionne sur le même agenda politique.


La politisation de l’islam suppose une instrumentalisation, dans le cadre intentionnel légal, des textes coraniques au service de desseins politiques avec pour objectif final de déboucher sur l’apocalypse du politique. Dit autrement, c’est armer l’islam contre la politique, en tant qu’espace autonome d’action de la société sur elle-même en dehors de toute détermination divine. Dans cette configuration, le gradient se mesure à la hauteur de la dose plus ou moins létale d’islamisation à injecter dans la politique.

Cette tentation de politisation de l’islam vise souterrainement un projet antipolitique, qui consiste à utiliser la démocratie contre elle-même. Certains partis islamistes comme les Frères musulmans d’Égypte se sont soumis au jeu électoral dans le but inavoué d’aboutir à la théocratie. Pour ces mouvements, qui se revendiquent d’être des pendants musulmans des partis « démocrates-chrétiens » en Europe, la démocratie est souvent un moyen pour atteindre leur but ultime : l’islamisation totale de la société. À l’instar des nazis qui sont passés par les urnes pour imposer leur dictature totalitaire, ceux-ci veulent instaurer « démocratiquement » une dictature théocratique.



Vous avez dit djihadisme ?

Malgré son utilisation inflationnelle actuelle, la notion de djihadisme reste rebelle à une conceptualisation univoque. Le djihadisme dérive du précepte musulman de djihad qui signifie à la fois (1) un effort d’élévation spirituelle (djihad personnel et inoffensif) ou (2) le combat contre les infidèles et les hypocrites (djihad (contre)-offensif). Les organisations terroristes qui déploient des actions violentes au nom de cette idéologie islamiste se réfèrent à la seconde acception pour justifier leur passage à l’acte. Le djihadisme contemporain puise ses racines généalogiques dans deux sources : l’Égypte et l’Arabie saoudite. Les Frères musulmans égyptiens et le salafisme wahhabite saoudien ont allumé l’étincelle du feu qui ravage le monde musulman. Le wahhabisme a fourni le corpus théologique alors que les Frères musulmans ont forgé la matrice politique.


L’imaginaire collectif associe de façon moqueuse le djihadisme à la rétribution charnelle qu’elle promet aux martyrs dans l’au-delà. Contradictoirement, cette promesse fournit une motivation surhumaine aux djihadistes qui se battent en définitive pour mourir plus que pour vivre. Dans cette conception morbide de la guerre, la mort est une victoire sur l’adversaire. Sur le plan stratégique, cette croyance sert à combler le fossé technologique entre les forces insurgées et les troupes occidentales dans un Moyen-Orient en proie à des guerres asymétriques opposant des drones aux kamikazes, des frappes chirurgicales aux meurtres de masse, etc. En bref, la politique du kamikaze vise la kamikazisation de la politique.


Après ce détour sémantique et sur la foi des déclarations publiques de Tikpi Atchadam, il serait hasardeux de postuler que ce dernier aspire à « politiser l’islam » ou à « islamiser la politique » au Togo. On ne peut objectivement pas supputer d’ambiguïté sur ce fait.
En revanche, on ne peut pas non plus évacuer sans examen préalable, l’accusation de collusion avec des monarchies du Golfe dans le but d’empêcher le rapprochement entre Israël et les États africains, dont la diplomatie togolaise a été la principale cheville ouvrière. Sur l’échiquier géopolitique de la région moyen-orientale, Israël est la bête noire de ses voisins musulmans qui ne reculent devant aucun sacrifice pour lui damner le pion sur la scène mondiale.

L’annulation du sommet Afrique-Israël initialement prévu à Lomé en octobre 2017 a permis opportunément à ces dernières de conjurer le péril d’un réchauffement diplomatique entre l’État hébreu et le continent africain. “Benjamin Netanyahu avait mené la campagne la plus robuste depuis la politique de Golda Meir [la première ministre d’Israël entre 1956-1966] dans les années 1950. Le Sommet du Togo était censé être le couronnement de son rapprochement avec les États africains, d’autant qu’il a réussi à convaincre les pays les plus réticents en Afrique d’assouplir leur position vis-à-vis d’Israël ” comme le soulignait l’article jubilatoire qu’Al Jazeera a consacré au renvoi aux calendes grecques du sommet. Le média qatari impute l’annulation à la contestation politique qui secouait la capitale togolaise, malgré les démentis ultérieurs qu’apportera le chef de l’État togolais. Simple coïncidence de calendrier ou l’organisation de la marche du 19 août 2017 par le PNP d’Atchadam visait-elle le sommet ?

Encore une fois, il est impossible d’établir objectivement de tels rapprochements. Cependant, une chose est sure, les fondations et autres organisations caritatives du golfe ne rechignent pas à financer des projets visant à affaiblir des ennemis-héréditaires comme l’Iran ou Israël ou à promouvoir l’islam(isme) à travers le monde. Du fait de ses connexions avec des imams ayant des ramifications avec des milieux caritatifs du Golfe, Tikpi Atchadam avait l’opportunité de quêter un soutien financier pour contrecarrer les plans du pouvoir de Lomé. L’a-t-il fait ? Impossible de trancher. Le gouvernement en est convaincu. Problème : il est loin d’avoir apporté le début d’une seule preuve.


De l’usage du terrorisme en politique



Le terme terrorisme politique relève du truisme. Le terrorisme est toujours politique, même si l’inverse n’est que contingent. Le terrorisme désigne un mode de recourt à la violence totale dans un double objectif : soit de produire un impact idéologique ou soit déstabiliser psychologiquement l’adversaire. L’attentat aveugle, qui est l’un des modes opératoires les plus caractéristiques de cette forme de violence, frappe au hasard pour insinuer la psychose et exacerber le sentiment d’insécurité des civiles voire d’impuissance des acteurs étatiques. Autre marqueur signifiant, les terroristes pratiquent l’indiscrimination entre les théâtres de guerre et de paix, ainsi qu’entre des cibles militaires et les populations civiles déniant à celles-ci tout sentiment de neutralité ou d’innocence.

Malgré son rapport ambigu à la violence et ses proclamations sujettes à caution de mener un combat non violent, Tikpi Atchadam ne coche pour le moment aucune des cases susmentionnées. Les accusations portées contre lui relèvent d’un procédé d’hyperbolisation sémantique de la part d’un pouvoir qui chasse des fantômes au lieu de répondre aux vraies préoccupations des populations togolaises. Ce constat ne vaut pas amnistie pour les violences contre les forces de l’ordre en aout 2017 ni contre la vandalisation les biens privés et le meurtre de deux militaires dans ces circonstances troubles à Sokodé en octobre.

Les détails au compte-goutte que livre le gouvernement sur les circonstances de ces drames ne peuvent en aucun cas servir de prétexte au déni de ceux-ci, mais à l’ouverture d’une enquête indépendante pour situer les responsabilités. L’instrumentalisation obscène de ces deux morts et le flou volontairement entretenu par le régime togolais sert à instruire à charge une accusation de terrorisme contre les partisans d’Atchadam à Sokodé. Le danger d’une telle stratégie c’est qu’elle risque de fonctionner comme une prophétie autoréalisatrice.


Historiquement, les populations musulmanes du Nord du Togo pratiquent un islam traditionnel africanisé qui mixe coutumes locales et préceptes religieux sunnites. Cet alliage syncrétique non-inflammable, sédimenté par des siècles de brassage, est aujourd’hui remis en cause par la mauvaise foi et la naïveté du gouvernement togolais.

La mauvaise foi. La répression et les arrestations d’imams sur des mobiles religieux risquent de pousser les esprits fragiles à la radicalisation voire coller une cible dans le dos du pays. Naïveté. L’islam syncrétique traditionnel est en proie à une wahhabisation que le gouvernement encourage ou laisse faire par le biais de programmes de bourses de formation d’étudiants togolais financés par l’Égypte, le Soudan, l’Arabie saoudite voire l’Iran.

Le danger de l’islamisme est porté par ces imams formés à un islam fondamentaliste dans les universités de Médine et d’Al azhar avec l’onction du gouvernement togolais. Pour ces fondamentalistes formés à la pure doctrine du wahhabisme, Tikpi Atchadam et ses imams font figure d’hérétiques du fait de leur penchants mystiques pas très orthodoxes. Les imams wahhabisés, parfois titulaires d’un master en charia ou d’une licence en théologie islamique, sont plus à craindre qu’une poignée d’imams politisés, parce qu’ils mènent une guerre théologique qui souvent précède l’insurrection djihadiste armée. Malheureusement comme le dit l’adage « quand le sage montre la lune, le sot regarde de doigt ».



Radjoul MOUHAMADAOU



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