Aider l’Afrique à accroître l’industrialisation de son secteur minier, telle est la mission que s’est donné Frank Balestra et sa société AB Minerals. La compagnie veut construire, sur la base d’un concept novateur et écologique, la première usine africaine de traitement du coltan, un minerai qui, jusque-là, était exporté du continent sous forme de matière première brute. Dans un entretien avec l’Agence Ecofin il dévoile les projets de développement de son entreprise dans un secteur qui a longtemps fait l’objet de conflits meurtriers sur sol africain.
Agence Ecofin : En quoi consiste exactement votre solution écologique de traitement du coltan spécialement conçue pour l’Afrique ?
Frank Balestra : AB Minerals a mis au point une nouvelle technologie de séparation du coltan libre de conflits, en tantale et niobium de haute pureté, qui respecte l’environnement. Le procédé a été conçu pour prendre en compte les défis opérationnels associés au travail en Afrique, tout en s'assurant qu'il répondrait aux normes environnementales les plus rigoureuses dans le monde. Contrairement à la méthode traditionnelle de traitement du coltan, notre procédé ne nécessite pas d'acide fluorhydrique, qui a été remplacé par un composé chimique sûr et facile à manipuler. Il s'agit d'une solution à faible coût, à faible consommation électrique et à impact environnemental minimal qui peut être mise en œuvre rapidement dans toute région disposant de suffisamment de réserves de coltan/tantalite disponibles pour traitement.
AE : Vous avez déclaré en août 2016 vouloir construire au Rwanda la première usine de traitement du coltan à échelle industrielle en Afrique. Plus tard, l’on apprendra que vous quittez le Rwanda pour construire cette usine en Tanzanie, pourquoi ce choix ?
FB : Ayant vécu au Rwanda durant plusieurs années, j'ai beaucoup aimé le pays et ses habitants. C'est là que j'ai appris le commerce du coltan. Au départ, nous avions envisagé de construire notre première usine de traitement au Rwanda, mais pour des raisons stratégiques, nous avons décidé d'installer cette première fonderie à Dar es Salaam, en Tanzanie. Dar es-Salaam est le port où une grande partie du coltan produit en Afrique est expédiée pour être traitée par des fonderies étrangères. La communauté minière pourra maintenant livrer le coltan directement à notre fonderie plutôt qu'au port, réduisant ainsi les délais de paiement et éliminant tous les risques de vol qui ont prévalu au port au cours des dernières années.
En outre, s’installer dans la ville nous offre de nombreux avantages, notamment en termes de réduction du risque de transport et des coûts d’expédition, de facilité d’importation de produits chimiques, ainsi que l’excellent soutien du gouvernement tanzanien. La Tanzanie est également en mesure de fournir certaines des matières premières dont nous avons besoin pour le traitement et il existe une grande main-d'œuvre hautement qualifiée disponible dans le pays. Nous voyons également en l’African Minerals & Geoscience Center (son partenaire en Tanzanie, ndlr), un bon partenaire en ce sens que nous aurons accès à leur excellent personnel et leurs laboratoires.
AE : Quel est l’état d’avancement de ce projet ?
FB : La prochaine échéance critique pour nous, est de compléter l'acquisition des terres près de notre partenaire stratégique, African Minerals & Geoscience Center (AMGC) dans la région de Kunduchi à Dar es-Salaam. Une fois terminée, nous soumettrons l’étude d'impact environnemental (EIA) que nous sommes en train de préparer. Notre procédé a été développé pour être écologique, donc nous prévoyons recevoir toutes les approbations environnementales rapidement. De plus, nous avons également effectué quelques travaux d'ingénierie préliminaires sur le terrain et avons été occupés en Tanzanie à constituer notre équipe qui aidera à la fois à la construction et à l'exploitation de l'usine.
En outre, notre partenaire financier Destiny Mineral and Agricultural Consultants (DMAC) a ajusté les termes de financement à plus de 50 millions de dollars US pour la fonderie et pour garantir un fonds de roulement suffisant pour l'achat du coltan requis pour les volumes de production que nous prévoyons.
C'est un projet hautement prioritaire pour le gouvernement tanzanien. Il a été approuvé par le Premier ministre Kassim Majaliwa et la ministre des mines Angellah Kairuki. Le gouvernement tanzanien nous fournit un soutien et des incitatifs considérables pour amener notre entreprise de traitement dans leur pays. Nous prévoyons que toutes les approbations gouvernementales nécessaires seront conclues rapidement ce début de 2018. Une fois cela effectué, le financement de l'usine sera achevé et peu de temps après, nous commencerons la construction de la fonderie.
AE : Quels sont les enjeux de votre solution pour les pays africains et votre compagnie elle-même?
FB : Actuellement, Dar es Salaam, en Tanzanie, est le principal port d’exportation de coltan de l’Afrique. En installant une fonderie dans le pays, il est possible de ramener la valeur ajoutée sur le continent et de réduire la quantité de minerais qui quitte l'Afrique au plus bas de la chaîne de valeur. Notre vision pour ce projet est également conforme à l'Agenda 2063 de l'Union africaine et à la Vision Globale 2030 pour les objectifs de développement durable (SDGs), la transformation structurelle, sociale et économique, la création d'emplois décents et l'éradication de la pauvreté.
Notre entreprise créera de nombreuses opportunités d'emploi hautement qualifiés pour les locaux tanzaniens, favorisera l'industrialisation axée sur les produits de base et créera une valeur ajoutée significative pour le coltan extrait en Afrique avant qu’il ne quitte le continent. Au fil du temps, des recettes fiscales importantes seront générées car la Tanzanie deviendra une plaque tournante du traitement du coltan en Afrique.
En travaillant avec AMGC et en lui enseignant notre solution, ce dernier apportera un transfert de technologie en Tanzanie et en Afrique. Cela aidera également l'AMGC, qui est un Centre d'excellence panafricain, à contribuer à la mise en œuvre de la Vision minière africaine (AMV).
Pour AB Minerals, nous sommes convaincus de la possibilité de ramener de la valeur ajoutée pour le coltan en Afrique. En mettant en œuvre notre stratégie, non seulement nous y parviendrons, mais nous aurons également l'opportunité de bâtir une entreprise prospère.
AE : Après la Tanzanie, quels sont vos plans d'expansion sur le continent?
FB : Nous aimerions une fonderie régionale d'une certaine importance en Afrique de l'Ouest mais nous n'avons pas encore déterminé quel pays. Un certain nombre de pays ont manifesté un vif intérêt et nous poursuivons activement ces opportunités. Nous aimerions que tous les minerais contenant du coltan et du tantale sur le continent soient traités et valorisés au maximum avant de quitter l'Afrique, que ce soit par nous ou par des concurrents, qui viennent installer des usines de traitement sur le continent.
L'Afrique est en train de changer et de nouvelles solutions technologiques sont en train d'être mises au point pour apporter de la valeur ajoutée au continent afin de développer ses vastes ressources. Les entreprises qui créent ces technologies et qui réussissent, forceront les concurrents à suivre s'ils veulent avoir accès aux minerais de l'Afrique.
AE: Un conseil d’administration est d’une importance vitale dans le cadre d’un projet aussi ambitieux. Quels sont les profils qui se démarquent aujourd’hui au sein du vôtre?
FB : Notre conseil s’est récemment enrichi de deux membres: David Henderson et Mike Loch. Les deux sont des vétérans de l'industrie du coltan et apportent un énorme niveau d'expertise au projet.
David Henderson, le récent président du centre d'étude international de Tantale-Niobium (T.I.C.) a une carrière de plus de 35 ans dans l'industrie des métaux spéciaux. Il possède une vaste expertise dans des domaines tels que l'extraction de matières premières de tantale, le traitement hydrométallurgique et la commercialisation de produits intermédiaires et traités.
Mike Loch, l'un des experts en minerais de conflit les plus reconnus au monde, compte plus de 30 ans d'expérience dans l'industrie. Il a été nommé leader influent des minéraux de conflit, numéro un sur les 100 leaders influents des minéraux de conflit par Assent Global. Il aidera ABM à compléter le Processus d'assurance de la gestion responsable des minéraux (RMAP), et travaillera avec nous sur notre protocole de chaîne de traçabilité des minerais de conflit de la mine à notre fonderie.
AE : Le coltan a une triste histoire en Afrique avec la guerre en Afrique centrale. L’un des défis des pays producteurs du minerai après ce conflit était de pouvoir assurer la traçabilité de leur produit. Qu’apporte votre projet à cet égard ?
FB : Notre objectif est de développer une industrie plus transparente grâce à laquelle l'origine du minerai que nous traitons peut être déterminée scientifiquement. Nous espérons que cela contribuera à créer des conditions plus équitables pour les mineurs et les pays producteurs de minerai. Rendre la traçabilité plus fiable est essentiel pour nous. En étant situé sur le continent africain, nous serons en mesure de raccourcir la chaîne de contrôle des mines qui approvisionnent notre fonderie. En partenariat avec AMGC, nous avons accès à leur Laboratoire d’analyse d’empreintes («AFL») qui aidera à confirmer la source originale des minéraux. L'utilisation de l'AFL améliorera considérablement l'intégrité de notre chaîne d'approvisionnement.
Étant situé en Tanzanie, un pays qui est plus neutre aux questions entourant l'industrie du coltan, nous réduirons les tensions autour des politiques entourant ce minerai et cela nous permettra d'améliorer la perception du coltan dans le monde entier. L'approvisionnement supplémentaire en minerai proviendra de l'Éthiopie, du Mozambique, du Zimbabwe, du Burundi, de l'Ouganda ainsi que de l'Afrique de l'Ouest qui peut expédier à Dar es-Salaam via la mer. Beaucoup de ces pays sont en dehors de la région de Conflit définie.