C’est l’objet de la lettre ouverte par laquelle un journaliste blogueur, interpellait le procureur de la République, sur le dossier NUBUEKE, un mouvement sous harcèlement judiciaire pour son soutien à la lutte démocratique. «…étant donné que les circonstances ne me permettent pas d’attendre vos réponses, je vais prendre le risque de vous interpeller, sans permission préalable, tout en étant préparé à assumer les conséquences de mon audace… », écrit l’auteur dans une lettre où il demande au procureur Poyodi Essolizam de réexaminer le dossier des trois (03) membres du mouvement de la société civile NUBUEKE que le régime par le biais de la justice, tente de décapiter.
Rappelons que les trois (03) membres de Nubueke détenus à la prison civile de Lomé pour des accusations « farfelues» selon leur association et les organisations de défenses des droits humains, n’ont pas bénéficié du non-lieu maquiller sous la coupole de la grâce présidentielle la semaine dernière. Lire la lettre ouverte adressée au procureur de la République !
Lettre ouverte au procureur de la république
Monsieur Poyodi ; NUBUEKE plaide non-coupable
Monsieur le procureur, deux questions m’ont toujours taraudé l’esprit, en tant que justiciable. Mais l’occasion ne s’est jamais présentée pour que je vous les pose. Ou pour être plus honnête, j’ai toujours eu peur de vous approcher pour vous les poser, de peur de ne pas pouvoir sortir de vos bureaux sans inculpation. Mais aujourd’hui, je prends mon courage à deux mains comme on le dit trivialement chez nous, pour vous les poser, quoi que par voie épistolaire. Mes questions les voici : Est-il permis à un citoyen de vous interpeller ? Peut-on vous contredire sans se prendre quelques mois ou années de prison ? Je voudrais bien que les réponses soient positives, c’est-à-dire «OUI, vas-y, jeune frère». Mais étant donné que les circonstances ne me permettent pas d’attendre vos réponses, je vais prendre le risque de vous interpeller, sans permission préalable, tout en étant préparé à assumer les conséquences de mon audace.
Monsieur le procureur, permettez donc que je vous interpelle, et mieux, que je vous contredise. J’ai lu dans la presse, il y a quelques jours, votre communiqué relatif à l’arrestation et à l’incarcération des trois membres du mouvement citoyen NUBUEKE dont je suis membre. J’avoue avoir eu toute la peine du monde à reconnaître le mouvement que vous avez peint. Il est tout sauf NUBUEKE.
Contre eux, vous portez de lourdes accusations telles que « groupement de malfaiteurs », « incitation à la révolte », « détention illégale de matériels militaires », etc. Monsieur le procureur, la corde paraît trop grosse. NUBUEKE ne ressemble en rien à la description que vous en faites. Au contraire, c’est un groupement de BIENFAITEURS qui l’a prouvé plus d’une fois sur le terrain. A titre d’exemples, il y a juste un an, le mouvement a parcouru le Togo entier, avec le peu de ressources à sa disposition, pour sensibiliser nos compatriotes sur la décentralisation, ses enjeux et ses défis. De même, NUBUEKE a organisé une opération « CHU Sylvanus Olympio propre » l’année dernière, à sa propre initiative et à ses frais. Que dire du don de sang organisé au Centre National de Transfusion Sanguine (CNTS) ?
Mieux que ça, NUBUEKE forme régulièrement ses membres sur la lutte non-violente, formations au cours desquelles l’on fait comprendre aux participants que les forces de l’ordre et de sécurité ne sont pas des ennemis. Et pour l’illustrer, le 31 décembre dernier, le mouvement a organisé une opération de soutien aux corps habillés qui régulent la circulation aux différents carrefours, en leur offrant des rafraîchissements tout en les remerciant pour le travail qu’ils abattent pour nous faciliter la circulation. Et c’est loin d’être exhaustif. Je vous laisse à toute fin utile, l’URL du site du mouvement où vous pourrez voir toutes les autres activités du mouvement. http://www.nubueke.org.
Monsieur le procureur, connaissez-vous des malfaiteurs capables de toutes ces œuvres de bienfaisance sociale ? Croyez-le ou non, NUBUEKE n’a aucune once de violence en lui. Plutôt que de châtier le mouvement, vous devriez le féliciter et l’encourager à poursuivre ses activités d’éducation des masses. Il est donc injuste le sort réservé aux trois membres du mouvement par vos soins.
Vous dites détenir des preuves attestant de leur culpabilité. Ces preuves monsieur le procureur, nous paraissent trop légères pour constituer la base d’accusations aussi graves. Si vous permettez, analysons un peu vos pièces à conviction. Une paire de jumelles ??? Même les enfants en possèdent pour contempler la nature. On le voit partout dans le monde. Pourquoi cela devrait constituer un crime au Togo ? Des étuis de grenades lacrymogènes ??? On en a tous ramené à la maison en souvenir de ces jours où l’on nous a gazé au cours des manifestations. Au surplus, ces étuis, on les trouve partout à Lomé où les forces de l’ordre ont tiré le gaz lacrymogène pour disperser les manifestants. Si c’est un crime de les ramasser, alors croyez-moi monsieur le procureur, vous n’aurez plus de place dans la prison pour mettre tous ceux qui en ont ramené à la maison. Et si vous estimez que ces étuis sont dangereux, vous devriez alors demander à ceux qui les tirent de les ramasser après le boulot.
Toutefois, je vous aurais acclamé s’il s’agissait de vraies grenades lacrymogènes retrouvées chez M. Kokodoko, et non de simples étuis ne représentant à priori aucun danger pour personne. J’aurais même demandé des explications au mouvement, car il n’a jamais été question à NUBUEKE, de mener une quelconque lutte violente. Et croyez moi, j’aurais quitté le mouvement en fracas, car ne me retrouvant pas dans une telle idéologie. Mais de simples étuis ??? La ficelle nous paraît vraiment trop grosse monsieur.
Pour cela monsieur le procureur, non seulement vous devriez réexaminer le dossier de ces prévenus et les libérer, mais aussi, vous devriez ouvrir une enquête pour faire la lumière sur les allégations de tortures et traitements inhumains et dégradants qu’ils auraient subi. Ces faits sont assez graves et méritent d’être élucidés, car nous ne tolérons pas que l’on nous traite comme des bêtes, encore que même les bêtes ont des droits. Vous devriez donc diligenter une enquête très rapidement et punir avec la dernière rigueur les auteurs de ces actes barbares et ignobles dont notre pays n’en veut plus.
Monsieur le procureur, si j’ai osé vous interpeller, c’est parce que j’ai pris le soin de faire ce que tout magistrat fait lorsqu’il doit rendre justice : l’enquête ! Une enquête sur vous afin de savoir si mon entreprise avait une chance de prospérer, c’est-à-dire de trouver oreille attentive auprès de vous. Je l’ai fait aussi par souci de justice. Je ne voulais pas vous accabler injustement, pour ce que vous n’êtes pas, ou pour ce que vous ne faites pas de votre plein gré. Sens de justice oblige.
Ceux que j’ai interrogés sont pour la plupart vos anciens collègues d’université et des gens qui se sont frottés à vous à un moment ou à un autre de la vie. Donc des gens qui vous connaissent plus ou moins bien ; en tout cas mieux que moi. Certains sont devenus avocats, d’autres des juristes de renom. Tous m’ont rassuré que vous êtes un homme ouvert d’esprit, ouvert au débat et à la critique (on n’attend pas mieux d’un haut magistrat comme vous). Ils affirment qu’étudiant, vous étiez un homme brillant, intègre, loyale, juste, avec de bonnes qualités humaines. Et parlant de l’humain, quelqu’un m’a même confié que sans vous connaître ni d’Adam ni d’Eve, vous l’avez un jour aidé à se tirer d’un grand problème personnel, alors que rien ne vous y obligeait. En somme, que du bien sur vous.
Cependant, les mêmes personnes qui vous couvrent de compliments avouent ne pas reconnaître leur camarade Essolizam face à certaines situations, en particulier dans l’exercice de vos fonctions. Ceux qui sont avocats me confient avoir beaucoup de mal à vous comprendre lorsqu’ils plaident dans votre prétoire ou lorsqu’ils prennent connaissance de vos décisions. Parce qu’il y a un contraste saisissant entre vos décisions et votre vraie personnalité. Peut-être exagèrent-ils ? Mais moi j’ai envie de découvrir le Essolizam que l’on m’a présenté avec autant d’éloges. Voulez-vous bien me faire cet honneur ? Je présume que oui. Alors, l’occasion vous est donnée dans ce dossier de montrer à votre jeune frère (moi), que vous êtes vraiment la personne dont on lui a parlé.
C’est pourquoi monsieur le procureur, je vous demande citoyennement, de réexaminer le dossier des trois membres de NUBUEKE et de les libérer. Car ils ne vous servent à rien en prison. Ils vous sont plutôt utiles lorsqu’ils vaquent à leurs occupations professionnelles pour le développement de notre pays. Ce sont des gens dont les compétences sont avérées et reconnues dans leurs différents domaines. Ne détruisez pas par une erreur d’appréciation leur carrière. Ne faites pas de leurs enfants de petits malheureux qui grandiront avec dans le ventre une haine vis-à-vis de notre justice et de ses hommes, et pire que tout, envers la société entière. Ne faites pas ressentir à leurs femmes ce sentiment de culpabilité de n’avoir rien pu faire pour protéger leurs maris. Ne faites pas ressentir aux membres de NUBUEKE ce sentiment d’ingratitude de la nation à leur égard, malgré l’œuvre sans prix qu’ils ont accompli pendant ces deux ans pour le pays. Ne me faites pas regretter mon engagement pour apporter la lumière à mes compatriotes. Vous rendrez service à la nation togolaise, qui traverse des temps sensibles, en libérant ces trois braves citoyens. Ils n’ont pas leur place en prison. Le seul acte de les libérer constitue en soi un grand pas vers la recherche de la paix. Faites-le monsieur le procureur. Vous le pouvez. Faites le par orgueil et par sursaut patriotique. Vous auriez fait votre part.
Pour finir, comme je vous l’ai dit au début de ma lettre, je sais qu’il est risqué d’oser ce que je viens d’oser. En le faisant, je n’ignorais pas les poursuites que vous pourriez engager contre moi, notamment pour « outrage à magistrat », mais ma passion pour la justice et l’amour de la patrie ont pris le pas sur la peur. Cependant, si vous tenez à me faire payer mon audace, j’assumerai. C’est pourquoi j’emprunte à l’illustre Emile Zola ces propos de sa célèbre lettre ouverte ‘‘J’accuse’’ pour vous dire, d’«oser donc me traduire en cour d’assises et que l’enquête ait lieu au grand jour ! J’attends »
Veuillez agréer monsieur le procureur, l’expression de mon profond respect.