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Armelle Choplin: «La ville de demain en Afrique de l’ouest, ce sera des tonnes et des tonnes de béton»
Publié le samedi 17 mars 2018  |  Agence Ecofin


© aLome.com par Parfait
Centre-ville de Lomé vu depuis l`immeuble de la BTCI
Lomé, le 2 septembre 2015. Activités quotidiennes sur le boulevard circulaire, côté nord.


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Maîtresse de Conférence à l’Université Paris Est, en accueil à l’Institut de Recherche pour le Développement au Bénin, Armelle Choplin, qui est à la fois géographe et urbaniste, s’intéresse aux dynamiques urbaines dans les pays du Sud. La co-auteur de «La mondialisation des pauvres-Loin de Wall Street et de Davos» s’est ouverte à l’agence Ecofin sur les défis de l’urbanisation en Afrique

Agence Ecofin: Existe-t-il aujourd’hui un faisceau de critères grâce auquel on peut définir «la ville africaine»?

Armelle Choplin: Je ne parlerai pas de la ville africaine. La ville africaine, c’est un peu comme la cuisine africaine. Cela ne veut rien dire. L’Afrique est tellement vaste comme continent qu’il n’y a aucun rapport entre toutes ces villes, si ce n’est qu’elles concentrent un nombre important d’habitants et sont localisées sur le même continent. Après, quel rapport y a-t-il entre Casablanca au Maroc et Cotonou au Bénin, ou Johannesburg en Afrique du Sud et une ville secondaire comme Kisumu au Kenya ?

Je préfère parler des villes en Afrique. De ce point de vue, on observe une croissance urbaine qui est particulièrement forte et qui n’est pas récente. Cela fait déjà plus de 30 à 40 ans, que les villes explosent en Afrique. Pendant très longtemps, on a eu tendance à dire que c’est lié à l’exode rural. Mais, aujourd’hui, il faut savoir que les villes en Afrique et dans le monde, croissent beaucoup plus par rapport aux habitants qui sont déjà là et qui font des enfants, parce que se sont souvent des gens jeunes qui peuplent villes, que par rapport à une masse de gens qui arriverait des campagnes pour peupler ces villes. Il y a toujours de l’exode rural mais c’est moins important en terme de pourcentage aujourd’hui que cette population de jeunes qui habitent dans les villes et est en âge de procréer. Donc il y a un accroissement naturel.

Aussi, je préfère dire « des villes en Afrique » parce que certaines sont vieilles, certaines sont récentes. Souvent on a tendance à dire que la ville est quelque chose de nouveau en Afrique, ce n’est pas vrai. Il y a des très vieilles villes comme les villes des anciens royaumes, comme celles de l’empire Songhaï. Les villes d’aujourd’hui, en tout cas, celles qui connaissent des croissances urbaines très fortes ne sont pas forcément les villes d’hier. Et même souvent les villes historiques puis même les villes coloniales ont tendance à perdre de l’importance.



Et il y a même des villes qui perdent des habitants en Afrique, alors qu’on a l’impression de ne voir que des villes qui explosent. Certaines mêmes disparaissent. On a vu pas mal de villes disparaitre dans le Sahara ou le long du golfe de Guinée. Une ville comme Aného au Togo qui était une ville très importante à l’époque coloniale, aujourd’hui décline, des villes comme Grand Popo perdent aussi des habitants. Donc ce n’est pas que linéaire. Il n’y a pas que des villes qui augmenteraint le nombre d’habitant et des villes qui seraient juste récentes. Il y a une histoire urbaine en Afrique. Il est important de le rappeler.



AE: L’une des grandes caractéristiques des villes en Afrique est le développement des bidonvilles. Comment peut-on se baser sur ces installations pour penser l’urbanisation malgré tous les risques qui y sont associés ?

AC: Les bidonvilles ou quartiers précaires, qu’on appelle slums en anglais, sont l’une des caractéristiques des pays émergents ou en tout cas des villes du Sud. Mais il faut quand même rappeler qu’en Occident, on a également beaucoup de bidonvilles, bien qu’ils n’en portent pas leur nom.


Aujourd’hui il y a beaucoup de gens qui réfléchissent à ça. Il y a souvent deux solutions. La premier consiste à dire : «C’est fantastique ces bidonvilles, les gens sont très innovants, vous leur donnez trois bouts de bois et voilà ils vous construisent une maison.» Il faut faire attention à cette vision-là qui a tendance finalement à responsabiliser les personnes qui habitent dans ces quartiers pauvres et dire «c’est un peu de votre faute si vous n’en sortez pas.» L’autre tendance serait de croire qu’il faut régulariser à tout prix, et que c’est seulement en régularisant en donnant des titres de propriété, que tous les problèmes vont être résolus. Dans les faits, souvent, quand on donne des titres de propriétés aux gens, ils restent toujours aussi pauvres. Ce n’est pas comme si d’un seul coup ils devenaient plus riches dans leurs bidonvilles parce que c’est reconnu par l’Etat.



Alors, je pense qu’il faut faire un peu des deux. Il faut faire en sorte de reconnaitre ces quartiers. Reconnaître surtout que les gens qui les habitent font partie de la ville. Il ne faut plus les nier aujourd’hui. Souvent ce sont les quartiers les plus denses, et ces populations représentent la part la plus importante des citadins. Donc, il faut les accompagner aujourd’hui, c’est-à-dire les reconnaître comme des vrais citadins et les aider à améliorer leur quotidien à travers des services d’accès aux réseaux d’eau, d’électricité, au numérique. Les jeunes des bidonvilles aujourd’hui veulent surtout pouvoir se connecter à Whatsapp comme tout le monde. Donc, il faut essayer d’innover avec des formes frugales. Dans ces villes africaines, certaines choses sont souvent plus en avance que ce qu’on fait en Occident. Parce que, par exemple, ici on est capable de se connecter à internet avec peu d’argent. On produit moins de déchets que dans les villes occidentales par exemple. Donc il y a plein de choses, beaucoup de formes innovantes qu’on est en train d’étudier, nous chercheurs, pour montrer que le monde peut aussi apprendre de ces villes africaines.

AE: Etant donné que, comme vous l’avez abordé, les citoyens sont obligés eux-mêmes de prendre les choses en main et d’innover. Est-ce que, ce faisant, on ne tue pas à long terme la notion d’Etat?

AC: Vous posez une question centrale. Moi je suis pour que l’Etat et les élus locaux prennent leurs responsabilités. Aujourd’hui la tendance est de dire : «Regardez ces gens, ils vivent dans les bidonvilles, ils ne sont pas adaptés à la modernité, ils ne sont pas adaptés aux villes africaines ». Comme si, la ville ne serait que la modernité. En fait, c’est beaucoup plus compliqué que ça. Souvent cela leur permet de dire «ce n’est pas notre faute». Je prends un exemple tout simple: la question des inondations.

A ce niveau, il y a un gros problème en Afrique de l’ouest, pas seulement au Bénin mais sur tout le corridor urbain Abidjan-Lagos. C’est le point commun, les milieux fragiles. Quand, on entend les populations, elles disent : «Nous sommes inondés parce que les collecteurs sont bouchés, parce que ce n’est pas nettoyé, etc.». Quand on va voir les élus, ils disent: «Ces citoyens manquent de civisme, ils jettent leurs ordures dans les collecteurs. Voila pourquoi c’est inondé.». Mais, mettons nous à la place de ces gens qui ont leur maison dans des quartiers inondables : personne ne laisserait les ordures dans sa cour dans un contexte où les services de ramassage ne passent jamais. Et voilà comment on se retrouve à jeter ses ordures dans les collecteurs. La responsabilité, elle est d’abord celle des pouvoirs publics. Tant que ceux-ci, ne montrent pas l’exemple, on ne peut pas demander aux gens pauvres de faire un effort. Il y a un moment où il faut que les choses soient clairement dans l’ordre. C’est-à-dire, que les pouvoirs publics prouvent qu’il peuvent apporter les services, avant d’attendre en échange que les citoyens qu’on a reconnu comme tels, fassent leur devoir et également paient aussi une partie des impôts.

Aujourd’hui ont est dans un cercle vicieux, où les citoyens ne veulent pas payer leurs impôts parce qu’ils jugent que les pouvoirs publics ne font pas leur travail. Et les pouvoirs publics disent qu’ils n’ont pas les moyens de le faire parce qu’ils ne collectent pas assez d’impôts. Tant que cette spirale vicieuse ne sera pas inversée, on n’y arrivera jamais. Mais je pense qu’on doit commencer par les pouvoirs publics parce que les citoyens n’ont pas l’argent pour commencer de leur côté.



AE: D’après un rapport de la Banque mondiale, en Afrique, les citadins ont tous les inconvénients de la ville mais ont très peu d’avantages, notamment en ce qui concerne l’accès au travail. Quelle est la part de vérité de cette assertion ?

AC: Les rapports internationaux aujourd’hui tendent à prouver qu’on vit mieux en ville qu’en campagne comparativement à il y a une trentaine d’années. Cela ne veut pas forcément dire que c’est facile en ville. D’ailleurs, beaucoup de jeunes sont déçus en arrivant dans la grande ville où on leur avait promis l’eldorado. Ils se rendent compte que c’est très difficile et que c’est une jungle urbaine. En fait, le problème est que ces villes s’étendent. Par exemple, je travaille sur le corridor Abidjan –Lagos, en particulier sur la zone Accra-Lagos qui s’étend sur 500 km et réunit 30 millions d’habitants et dont on dit que ce sera demain la plus grande concentration urbaine d’Afrique, et parmi l’une des plus grandes du monde. On attend 50 millions de personnes d’ici 2050. Si on prend cette tache urbaine, elle est compliquée à gérer, parce qu’il y a plusieurs villes et pays, et surtout à cause de cet étalement urbain.



Ce qui est plus problématique c’est qu’on a une déconnexion entre le lieu de travail et le lieu de résidence. Avant, tout était regroupé, aujourd’hui vous devez parcourir des distances énormes pour aller travailler, avoir des loisirs, retrouver la famille, etc. Donc, aujourd’hui, dans ces villes, la mobilité urbaine est un grand problème. Et il faut penser à le résoudre en priorité pour essayer d’améliorer la vie quotidienne. D’où le retour qui s’impose peut-être au transport public collectif qu’on a abandonné dans certaines villes comme Cotonou, Lomé où on est passé à un transport individuel privé à savoir la moto, le zem (taxi-moto, NDLR). Ce choix avait été fait au cours des années 80, quand les bailleurs de fonds ont décidé de libéraliser le marché et ont inciter les Etats à le faire. Alors, le transport individuel est certes très flexible, mais cela pose aussi des problèmes en terme de distance, de pollution et de coûts individuels.



AE: En parlant des choix qui ont été faits en matière d’urbanisation, on a senti pendant longtemps le désir de calquer les villes africaines sur le modèle occidental. Est-il temps de changer ce paradigme?

AC: En fait, je pense que les villes en Afrique ne sont pas forcément à comparer avec les villes occidentales. Si on fait ça, on arrive vite à dire : les villes ouest-africaines sont moins jolies que Paris ou Londres. C’est juste que ce n’est pas forcément comparable. En faisant ça on a tendance à dire qu’elles sont moins modernes, et que la modernité passerait par le béton, ce qui n’est pas vrai puisque nous-mêmes en Occident on est en train d’en revenir. Aujourd’hui on s’est détaché de ça. Le ciment a été ré-approprié par les gens ici sous des formes totalement différentes de ce qu’on peut voir en Europe. Moi j’ai tendance à vouloir comparer ce qui est comparable. Ça m’intéresse de comparer Lagos à une grande ville indienne plutôt que d’absolument dire que c’est moins bien développé que Londres. Aujourd’hui, on n’est plus sur les mêmes temporalités. Et les Africains, en particulier les décideurs, gagneraient à échanger avec des Asiatiques comme les Indiens et avec des Latino-américains dont les villes connaissent des problématiques similaires.



AE: A quoi pourrait ressembler la ville africaine de demain?

AC: La ville de demain en Afrique de l’ouest, ce sera des tonnes et des tonnes de béton coulées. Quand n’êtes jamais venu dans une ville ouest-africaine et que vous sortez de l’avion, vous ne voyez que du gris. Les villes africaines pour l’instant, c’est avant tout la concentration de masse grise couleur ciment. Je fais mes recherches actuellement sur la ville et le ciment. Je trouve que c’est un objet qui permet de comprendre les villes africaines, en tout cas les villes dans cette partie ouest-africaine.



Ici le ciment est un objet qui est matériellement omniprésent. Le long de ces 130 kilomètres qui séparent Cotonou et Lagos, on voit des briques à vendre, des dépôts de ciments, des grands conteneurs remplis de ciment un peu partout. En gros, à tous les kilomètres vous pouvez acheter du ciment et on a l’impression qu’on trouve plus de sacs de ciment que des sacs de riz. Le ciment est aussi un marqueur du dynamisme économique. Le long de ce corridor Accra-Lagos, il y a des dépôts de ciment qui affichent le prix du ciment à la craie, au jour le jour. C’est le Dow Jones local. Tous les Béninois connaissent le prix d’un sac de ciment. Je vous mets au défi d’aller à Paris et de demander à un jeune le prix d’un sac de ciment ou d’une tonne de ciment ou de voir une dame de 50 ans en France.


Ici vous demandez à n’importe quel individu, tout le monde connait ça. Et aussi c’est très fort comme symbole social, parce que les gens ne pensent qu’à cela: à couler du béton, à construire leur maison. C’est aujourd’hui le symbole de la réussite en Afrique de l’Ouest. Si vous n’avez pas réussi à être footballeur, au moins il faut que vous ayez une grosse maison en ciment. Et même votre statut social se calcule en fonction du nombre de tonnes de ciment que vous avez réussi à couler. C’est important de voir que les gens ne pense qu’à ça. Ils disent «je serre ma ceinture toute ma vie et dès que peux j’achète du ciment». C’est ce sur quoi je travaille pour essayer de comprendre la ville africaine de demain. Parce que ça pose beaucoup de questions. On essaie de travailler là-dessus et voir ce qui pourrait être une alternative à ce nouvel « or gris ». On pourrait par exemple repenser une architecture traditionnelle, essayer de la revaloriser, parce qu’on dénigre les maisons en terre, alors qu’il y a aussi un savoir faire local : une maison en argile ou en terre de barre est beaucoup plus fraîche qu’une maison en ciment.
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