Il y a 13 ans, de nombreux pays africains achevaient l’initiative d’annulation totale ou partielle de leurs dettes publiques avec, à la clé, l’espoir de ne plus retomber dans ce cercle vicieux. Aujourd’hui pourtant, les signaux de l’endettement, qui jusque-là étaient à l’orange, sont en train de virer au rouge. Comment le continent a-t-il pu passer du sauvetage à un nouveau risque de noyade ? Qu’est-ce qui n’a pas marché ?
Parlant de la dette de son pays vis-à-vis du groupe suisse Glencore, le président Idriss Deby Itno du Tchad a parlé de « tromperie ». Lorsque son pays recevait les 1,4 milliard $ de crédit octroyés par cette entreprise leader dans le trading des matières premières en Afrique, le président tchadien n’avait pas imaginé que cela l’asphyxierait à ce point-là la viabilité de sa dette.
Des cas comme celui du Tchad sont nombreux et se multiplient en Afrique. Le Congo Brazzaville accumule lui aussi une dette importante vis-à-vis de Glencore et dont le montant exact n’est pas encore connu. Dans le même registre, on peut citer le Mozambique qui a marqué l’actualité tout au long de l’année 2017, avec sa dette cachée, découverte au détour d’une opération de mobilisation des ressources, et qui avait été structurée par les groupes Credit Suisse et VTB (une banque russe).
Il est aujourd’hui une chose évidente, c’est que l’initiative d’allègement de la dette des pays pauvres et jugés à l’époque très endettés (PPTE), n’a pas réussi à créer le cercle vertueux du non endettement qu’on lui prêtait. Une nouvelle côte d’alerte a été sonnée par l’Agence de notation Standard & Poor’s au cours de la semaine qui s’achève. « L’initiative PPTE a aidé les pays d’Afrique subsaharienne qui en ont bénéficié, à réduire leurs stocks nets de la dette publique de plus de 100% du PIB en 2000 à 24% du PIB en moyenne en 2008, et à 18% en 2011. Mais depuis 2011, les stocks nets moyens de la dette publique ont encore augmenté pour atteindre 53% du PIB en 2017 », a souligné l’agence de notation, dans cette étude transmise le 22 mai à l’agence Ecofin.
Le même constat est fait par la Banque Africaine de Développement dans son rapport annuel de l’exercice 2017, et cette question avait déjà été soulevé par le Fonds Monétaire International et la Banque Mondiale, dans le cadre des discussions entre les deux institutions et plusieurs de leurs pays membres dans la région.
Une dette qui inquiète plus par la capacité à la rembourser que par son volume
Mais comme on peut le voir, le défi ne réside pas dans le volume de la dette, car à 53% du produit intérieur brut des économies africaines en 2017, cela reste un niveau d’endettement relativement faible, en comparaison aux seuils qu’on retrouve en Occident, ou dans les pays asiatiques. De même, le poids de la dette africaine sur un marché international de la dette qui pèse plus de 120 000 milliards $ reste très faible. Ce qui pose problème désormais, c’est la nature des actuels créanciers de l’Afrique, et la difficulté qu’il y aura à rembourser.
Le service de la dette croit rapidement dans les budgets des pays africains et gagnent en importance. Entre 2011 et 2017, les remboursements globaux de dette ont atteint 1,6 milliard $ selon le FMI. Pour la période 2018 à 2023, des observateurs et analystes des budgets africains estiment que ce service de la dette africaine atteindra une moyenne de 6,4 milliards $.
Le dernier défi de la nouvelle dette de l’Afrique subsaharienne est celui de sa nature. Comme avant 2005, elle est libellée en dollar américain. Pour le moment, cette devise est assez calme, car les Etats-Unis surveillent étroitement les concurrents asiatiques, accusées de faire du dumping monétaire, pour que les produits soient plus accessibles sur le marché international. Une hausse du dollar tuerait de fait les pays africains, qui devraient mobiliser plus de ressources pour rembourser leurs dettes, alors même que leurs économies sont en berne.
Même avec un dollar au plus bas, ce risque n’est pas totalement écarté. Selon une récente analyse effectué par la COFACE, le volume des réserves de change des pays de l’Afrique subsaharienne, bien que s’étant reconstitué, est demeuré assez faible. Dans certaines régions, leur niveau est tel qu’un risque de dévaluation de la monnaie n’est pas exclue, ce qui gonflerait le service de la dette.
De nouveaux créanciers pour l’Afrique, à la faveur de la crise financière mondiale de 2008
L’Afrique serait-elle finalement le continent éternellement perdant? On pourrait être tenté de le croire : lorsque survient la crise de 2008, la plupart des gouvernements africains s’estiment à l’abri d’une dette qui ne touche que les marchés occidentaux et plus encore ceux d’Asie. La déconnexion du continent noir au système boursier international semblent le protéger.
Mais une décision prise notamment par la Banque Centrale Européenne et la Réserve Fédérale Américaine, celle d’injecter de la liquidité dans le système monétaire pour maintenir les banques à flots, entraînera une baisse significative des taux d’intérêts sur le marché de la dette de ces zones. Dans certains pays comme l’Allemagne, les banques se retrouvaient même à emprunter à des taux proches du négatif.
Dans ces conditions, plusieurs investisseurs ciblant les obligations à haut rendement se sont tournés vers l’Afrique où le contexte commençait à devenir positif. Un marché risqué, mais qui offrait les retours sur investissement motivants. Les pays africains ont ainsi commencé à émettre des eurobonds (emprunts obligataires internationaux) et à solliciter le marché international des capitaux. Dans la foulée des sociétés à capitaux publics sont entrées dans la même danse.
Ce retour en force de l’Afrique sur le marché international des capitaux a été soutenu par un autre facteur lié à la crise de 2008. Pour se redonner plus de marge et créer de la valeur pour leurs investisseurs, de nombreuses sociétés européennes choisissent de délocaliser vers les pays asiatiques, principalement la Chine, qui met en place un double dumping pour attirer plus d’entreprises étrangères en quête de coûts de production bas, et à produire doublement, pour répondre à une demande des populations occidentales, dont le pouvoir d’achat a baissé du fait de la crise.
Dans ce contexte, les Chinois et la grande péninsule asiatique se retrouvent avec plus de personnes qui ont un salaire, et souhaitent changer de cadre de vie. Les Chinois ont donc besoin d’investir massivement pour sécuriser leur structure globale de production, et aussi pour améliorer les conditions de vie de ses ressortissants. Résultat, la Chine s’est retrouvée à demander plus de matières premières et les prix ont explosé pour le bonheur de l’Afrique.
L’idée des investisseurs obligataires occidentaux était simple. L’Afrique prendrait des prêts, et sa capacité de remboursement serait soutenue par la vente des matières premières à des prix intéressants, qui dopaient, les revenus et soutenaient la croissance. Mais c’était sans compter sur les perturbations de l’économie chinoise qui reposait elle-même sur l’endettement spéculatif, et dont la correction du marché financier s’est traduite par une stabilisation, puis par une baisse des prix des matières premières et donc des revenus de l’Afrique.
On peut aussi noter la décision prise par l’Arabie Saoudite, de mener une guerre au pétrole de schiste, combinée à la reprise des discussions avec l’Iran et la mauvaise gestion de l’Angola qui a hypothéqué durablement son pétrole au profit de la Chine. Des situations qui se sont traduites par une baisse des prix de cette matière première, avec de terribles conséquences pour les pays africains qui en dépendent.
Une mauvaise conjoncture renforcée par des pratiques de gouvernance peu efficiente
L’emprunt n’a de sens pour les pays pauvres que s’il finance des choses comme les routes, les écoles et les hôpitaux, ce qui améliore le bien-être et soutient la croissance économique. Mais les emprunteurs les plus acharnés en Afrique sont souvent des dépensiers sans limite.