Derrière la volonté affichée du président français de rompre avec la politique de l'ancien monde, un impératif : la lutte contre les vagues migratoires.
« On m’a dit que c’était un amphi marxiste, je me suis dit que je devais venir », a-t-il lancé, sur le ton du défi, aux quelque 800 étudiants de l’université de Ouagadougou, le 28 novembre dernier. Avec les ouvriers de l’usine Whirlpool, à Amiens, dans le nord de la France, comme avec les étudiants burkinabè, Emmanuel Macron aime la castagne. En réponse à une question (non filtrée) d’un étudiant sur le néocolonialisme de l’armée française, il a réussi à faire applaudir les soldats de l’opération Barkhane.
Le goût du risque, Macron le manifeste aussi dans son casting africain. Qui pour prendre la tête de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF), en octobre prochain ? Comme l’a annoncé Jeune Afrique, il a proposé le poste à Louise Mushikiwabo et a fini par la convaincre. Depuis neuf ans, la ministre rwandaise des Affaires étrangères accuse pourtant la France d’être complice du génocide des Tutsis, au Rwanda, en 1994… Quand un ami africain lui glisse : « Attention, tu vas introduire le loup dans la bergerie », il se contente de sourire. Qui pour copiloter le projet de restitution des biens culturels à l’Afrique ? L’écrivain sénégalais Felwine Sarr, qui continue pourtant d’affirmer que « la France n’a pas renoncé à son imaginaire impérial et colonial ».
Des « prises de guerre » à l’international
Comme avec l’écologiste ombrageux Nicolas Hulot sur la scène intérieure, le président français tente de multiplier les « prises de guerre » à l’international. Objectif : séduire. Felwine Sarr admet qu’Emmanuel Macron « est en mouvement dans l’espace symbolique » et qu’il « amorce une réinvention de la relation, qui doit déborder sur les autres espaces ». Autres gestes significatifs : le visa de longue durée pour les diplômés africains de France, le projet de faire passer aux étudiants africains des diplômes français en Afrique et le lancement de la plateforme « sport et développement » – c’était le 21 février, à l’occasion de la visite très médiatique de George Weah à Paris.
Mais, au-delà des gestes sociétaux et symboliques, quels changements politiques ? Chez Macron, ni dogme socialiste ni « droit-de-l’hommisme ». Fini les échanges de SMS complices avec les chefs d’État de l’Internationale socialiste, fini les bouderies ostentatoires avec les autocrates. « Macron ne va certainement pas refaire le coup de François Hollande à Kinshasa, en octobre 2012, confie un proche du nouveau président. Il ne va pas jouer avec Kabila sur l’air de : “Je suis à côté de toi, mais je fais exprès de ne pas te serrer la main.” Macron est avec les Africains comme avec tout le monde. C’est pour cela qu’il a déclaré, à Ouaga : “Il n’y a plus de politique africaine de la France.” »
Plus de politique africaine, vraiment ? Difficile à croire. À l’Élysée, une équipe « africaine » est en place. Elle comprend les conseillers Franck Paris, Marie Audouard et, pour l’Afrique du Nord, Ahlem Gharbi, plus le tout nouveau Conseil présidentiel pour l’Afrique (CPA), piloté par Jules-Armand Aniambossou. Bien entendu, il n’y a rien d’équivalent pour les autres continents. Surtout, comme le dit un haut diplomate français : « Macron sait bien que, s’il renonçait à faire le sale boulot au Sahel, il ne serait peut-être plus reçu en visite d’État à Washington. »
Comme Hollande, Macron suit donc de près les crises en cours en RD Congo, où ses proches souhaitent « des élections sans Kabila », ou au Togo, où la situation est jugée politiquement « anachronique ». Il laisse, certes, les pays de la sous-région monter en première ligne, mais il envoie des émissaires auprès de Joseph Kabila et de Faure Gnassingbé. Pourtant, comme il est accaparé par les convulsions du Moyen-Orient, il ne prend pas toujours au téléphone les chefs d’État africains qui souhaitent lui parler. « Hollande était plus facile à joindre », regrette un ministre africain des Affaires étrangères.
Intesification des activités au Sahel
« Franchement, avec Macron, je vois des inflexions, des additions, notamment grâce à l’augmentation de l’aide publique au développement (APD), mais pas de changements », glisse un proche dudit Hollande. Au Sahel, son successeur « intensifie et accélère » – comme l’admet ce même « hollandais » – l’opération Barkhane. Entre la mi-février et la mi-avril, l’armée française, grâce à de bons renseignements, a réussi à neutraliser plusieurs lieutenants du chef jihadiste Iyad Ag Ghaly, mais sans parvenir à atteindre ce dernier. « On ne touche pas à notre dispositif avant la présidentielle malienne, confie un expert français, mais après on pourra peut-être l’alléger en organisant des patrouilles communes avec les forces du G5 Sahel. »
Pour qui « vote » Emmanuel Macron au Mali ? À Paris, le président sortant Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) n’a pas bonne presse. « Quand on lui demande un choc de gouvernance, il faut le lui répéter tous les jours », grince un proche du président français. Un ancien décideur parisien ajoute : « Il y a six mois, Macron aurait sans doute penché pour l’opposition, mais celle-ci est divisée, et IBK a réussi un joli coup en nommant Premier ministre le “sécurocrate” Boubèye Maïga. Cela nous rassure. » À l’Élysée, on est dans l’expectative.
L’impératif antimigratoire
C’est après cette consultation que Macron verra s’il peut programmer un retrait des soldats français du Sahel avant la fin de son mandat, en mai 2022. « Depuis qu’il est à l’Élysée, il ne nous a jamais fixé cet objectif, confie l’un de ses proches, mais il est vrai que plus on reste, plus on s’expose. » Outre la faiblesse des forces du G5 Sahel, le chef de l’État français est confronté à l’attitude des Algériens. « Iyad Ag Ghaly est un élément dans leur jeu, donc ils le protègent », soupire un décideur français. « Nous partageons plus d’informations antiterroristes avec les Russes et les Turcs qu’avec les Algériens », fulmine un expert du renseignement.
Plus encore que la lutte contre les jihadistes, c’est sans doute le contrôle des vagues migratoires qui est la priorité du président français en Afrique. Est-ce parce que le sujet est clivant ? Il en parle peu. Mais dès le 1er avril 2017, lors d’un meeting à Marseille, le candidat Macron déclarait : « Notre relation avec l’Afrique, ça ne peut pas être simplement d’être le réceptacle de la nécessité, c’est d’aider l’Afrique à réussir et, en même temps, de reconduire à la frontière celles et ceux qui sont venus et qui n’ont pas de titre de séjour. »... suite de l'article sur Jeune Afrique