Il a fait tomber des dizaines d'hommes de pouvoir et menace la confirmation d'un juge à la Cour suprême: le #MeToo a secoué les Etats-Unis plus que tout autre pays, mais l'impact à long terme du mouvement, qui alimente la polarisation du pays, reste incertain.
Un an après les premières accusations d'abus sexuels contre Harvey Weinstein, la bataille pour la confirmation à la Cour suprême du juge Brett Kavanaugh, accusé d'avoir tenté de violer une femme lorsqu'ils étaient tous deux lycéens, a montré que le #MeToo, loin de s'essouffler, pouvait mobiliser très vite.
Mais à l'approche des élections législatives de mi-mandat, au terme desquelles les démocrates espèrent reprendre le contrôle du Congrès et enrayer les priorités de la présidence Trump, beaucoup, côté républicain, dénoncent aussi la récupération du #MeToo par l'opposition.
Dans les premiers mois, alors que déferlaient dans les journaux les témoignages les plus crus sur des abus perpétrés par des célébrités du cinéma, des médias, de la mode ou de la politique, personne ne contestait que les Etats durcissent leur législation anti-harcèlement ou que les entreprises systématisent les formations préventives.
Mais le mouvement est devenu aujourd'hui un nouvel élément dans la polarisation du pays.
Quand Donald Trump a raillé mardi l'accusatrice du juge Kavanaugh, lors d'un meeting dans le Mississippi, il a suscité les applaudissements du public, et un tollé dans le camp opposé.
Et le président de dénoncer "une époque vraiment terrifiante pour les jeunes hommes en Amérique: vous pouvez être coupable de quelque chose dont vous n'êtes pas coupable".
Accusé d'attiser les flammes, le milliardaire, qui avait déjà choqué pendant la campagne présidentielle 2016 en se vantant, dans un enregistrement réalisé en 2005 à son insu, de "faire ce qu'il voulait avec les femmes", n'est pas seul à dénoncer les excès du #MeToo.
Depuis un an que des célébrités comme l'acteur Kevin Spacey ou le présentateur Charlie Rose sont poussés brutalement vers la sortie, souvent sans vérification possible des accusations contre eux, les détracteurs du #MeToo se sont multipliés.
- "Phase de dénonciations" -
Michael Bloomberg, le célèbre milliardaire et ex-maire de New York, se demandait récemment si les accusations "étaient toutes vraies", tandis que l'acteur Sean Penn accusait le #MeToo de "diviser les hommes et les femmes".
"Il y a de plus en plus de contestation venant de gens qui estiment que le mouvement est allé trop loin", souligne Jeanne Zaino, professeure de sciences politiques au Iona College de New York.
"On est encore dans une phase de dénonciations", dit-elle. "Il faut que les institutions, les entreprises travaillent mieux pour instaurer des règles (...) et que ces choses puissent être investiguées sans briser des carrières".
Vingt ans après le scandale Monica Lewinsky qui avait failli entraîner la destitution du président démocrate Bill Clinton, le #MeToo est surtout l'apanage des démocrates, constate Jean Sinzdak, directrice associée du Centre pour les femmes en politique de l'université Rutgers.
Avec plus de femmes élues que les républicains, "ils en parlent plus, ils sont plus scandalisés", explique-t-elle. Une tendance renforcée par le fait que de nombreuses femmes, révoltées par l'attitude de Donald Trump, sont venues grossir les rangs démocrates ces derniers mois.
Avec une telle polarisation, beaucoup craignent que, malgré la prise de conscience qu'a permis le #MeToo sur les abus sexuels subis par les femmes, le mouvement ne puisse remédier au déséquilibre hommes-femmes qui perdure en politique ou à la direction des entreprises.
- "Inclure les hommes" -
Même si les femmes, candidates en nombre record aux élections de novembre, remportaient tous les scrutins où elles sont en position de passer, elles ne disposeraient toujours que d'un siège sur quatre à la Chambre des représentants, souligne Jean Sinzdak.
Si le mouvement continue, "il pourrait y avoir plus de femmes dans l'arène pour (la présidentielle de) 2020", dit-elle. "Mais tout peut arriver entre maintenant et 2020."
Les femmes devraient aussi gagner un nombre record de sièges dans les conseils d'administration des grandes entreprises cette année, selon une étude de l'Institutional Shareholder Services.
Mais la parité reste là aussi hors d'atteinte: elles ne disposaient en juin que de 18% des sièges des conseils d'administration de ces entreprises, et ne présidaient que 4% d'entre elles, selon ce cabinet de conseil.
Pour arriver à la parité, il faut éviter les "jugements sommaires" et "inclure les hommes dans la conversation", dit Lisa Kimmel, présidente de la branche canadienne du groupe international de marketing Edelman.
"L'efficacité du #MeToo et son impact à long terme dépendra largement de son acceptation par les hommes - qu'ils acceptent qu'il y ait un problème et qu'ils s'engagent à le résoudre, car ce sont toujours eux les leaders", dit-elle.