Togo - 24 janvier 1974 – 24 janvier 2014. Aujourd’hui 40 ans jour pour jour qu’eut lieu l’attentat (sic) de Sarakawa perpétré par les « impérialistes », les « ennemis de la République » contre l’avion du Général Eyadéma, pour accaparer l’économie – c’est la version officielle. Cette date fut baptisée « Fête de la Libération économique » et célébrée à chaque année sous le Père. Le Fils monté au trône a perpétué la tradition, avec un éclat certes moindre. Mais cette « fête » sera-t-elle célébrée aujourd’hui, avec la nouvelle donne ?
La « Fête de la Libération nationale » (presque) supprimée
« Cette année, les manifestations et les commémorations officielles marquant habituellement le 13 janvier n’auront pas lieu. Cette date sera une journée ouvrable, placée sous le signe du recueillement ». C’est l’annonce faite par le gouvernement le vendredi 10 janvier, à 72 heures du 51e anniversaire du 13 janvier baptisé « Fête de la Libération nationale ». Une surprise agréable en fait, l’événement ayant toujours été commémoré, même si la célébration a perdu un peu de son éclat depuis quelques années avec le Fils. « Dans le cadre de la consolidation de la réconciliation et de l’apaisement, des réflexions sont en cours en vue d’instituer une journée nationale de réconciliation. La célébration chaque année de cette journée permettra aux Togolais de renouveler leur engagement à vivre ensemble dans la paix, la compréhension mutuelle et la cohésion », justifie par ailleurs le gouvernement.
Même s’il est permis de douter des motivations officielles avancées, la décision était appréciable à sa juste valeur, car c’est l’assassinat du premier et seul président démocratiquement élu du Togo, Sylvanus Olympio qui était cyniquement fêté. Une célébration qui divise les Togolais et plombe la réconciliation tant chantée. Et comme annoncé, il n’y eut pas fête ce lundi 13 janvier 2014. Pas de défilé militaire et civil – même dans les camps -, pas de discours ou de bal du 13 janvier, rien. Ce jour jusque-là chômé et payé sur toute l’étendue du territoire, fut un jour ordinaire. Et de toute vraisemblance, ce sera désormais ainsi. C’est somme toute une initiative qui mérite d’être saluée. Ce sont ces genres de décisions populaires et utiles que les Togolais voudraient voir Faure Gnassingbé prendre régulièrem
ent, et ce ne serait qu’à son actif.
Quid de la « Fête de la Libération économique » ?
Tout comme le 13 janvier, le 24 janvier fait partie des fêtes qui divisent. La version officielle parle d’un attentat perpétré à cette date en 1974 par des Blancs (sic), de pseudos « impérialistes » sur le DC-3 d’Eyadéma à cause de la convoitise du phosphate togolais. Mais cette thèse est remise en cause depuis des lustres. Il s’agirait d’un simple accident engendré par la surcharge du coucou présidentiel que le « Vieux » a récupéré politiquement pour bâtir son mythe. Il nous revient même qu’il ne fut pas le seul rescapé de l’attentat/accident, mais…
Concernant le 13 janvier, si déjà à 72 heures du jour j on sait déjà ce qu’il en sera, ce n’est pas le cas de sa frangine la « Fête de la Libération économique » commémorée le 24 janvier de chaque année. Pas de communiqué officiel pour situer l’opinion là-dessus. Il faut tout de même rappeler que jusqu’à l’année passée, le 24 janvier était célébré et voyait les officiels vider la capitale pour se retrouver dans la Kozah et sur le site de l’accident à Sarakawa où est construit un mausolée, tout de blanc vêtus, pour se remémorer ces instants. Faure Gnassingbé y était en 2013 avec la plupart de ses ministres. Certains observateurs voient même à travers la programmation à Kara du lancement officiel du nième projet du ministère du Développement à la Base de Victoire Tomégah-Dogbé, le fameux FNFI (Fonds national de la finance inclusive), une façon de rendre plus éclatant ce 24 janvier. Alors l’événement sera-t-il célébré ?
Dans le cas de l’affirmative, cette célébration ferait assez désordre au regard de la nouvelle donne. Que la « Fête de la Libération économique » soit célébrée alors que celle de la « Libération nationale » est (presque) supprimée, cela convaincrait simplement l’opinion que la fameuse réconciliation mise en avant pour justifier la décision du 10 janvier dernier concernant le 13 janvier 2014 est une manœuvre trompe-l’œil de Faure Gnassingbé. Quel sens d’ailleurs de la commémoration de cette date au regard de la situation économique et nommément des phosphates togolais ?
En lieu et place du bonheur que les populations étaient en droit d’espérer – le phosphate togolais est très prisé pour sa qualité, et c’est la première source de revenus du pays -, ses retombées, tout comme les ressources nationales, ne sont accaparées que par une minorité au pouvoir, et la plus grande masse oubliée. Pendant plusieurs décennies, aucun compte n’a été fait de son exploitation et c’est une ardoise de 300 milliards de FCFA qui fut entre-temps laissée par les différents directeurs des structures de gestion. Les phosphates se révèlent finalement comme une malédiction pour les populations riveraines. Leurs terres servant à l’agriculture sont détruites par leur exploitation, et les petites compensations financières et autres avantages devant leur revenir ne leur sont pas donnés. Les mouvements répétitifs dans les zones phosphatières, Hahoté, Dagbati et autres sont assez illustratifs.
Tino Kossi
(En accompagnement de l’article)
Flash-back sur le mythe du 24 janvier
« Aniko Palako, Gnémégnan, Gnandi… que la terre vous soit légère », ce refrain d’un chant rappelle certainement à des Togolais d’une certaine génération bien de souvenirs. « L’oiseau opéra un virage et s’écrasa dans un bruit de ferraille broyée … partout des cris de désolation … Le patron était introuvable … La mine défaite, nous pensions tous au pire… « Pourquoi pleurez-vous ? Je suis encore vivant »… Arrivés au carrefour de … le Général dit : « Je vais à mon domicile à Pya » ». Ce sont là des extraits de la déclaration de feu Général de Brigade Yao Mawulikplimi Ameyi.
Les langues se sont déliées des années plus tard sur ce fameux accident. Certains disent que l’avion, un DC-3, piloté par le Chef de bataillon Bertrand Delaire et le Capitaine Jean Catin, était surchargé de victuailles ; d’autres parlent de défaillances techniques ou mécaniques. Mais selon la version officielle, celle enseignée à l’école, il s’agissait d’un attentat perpétré par des impérialistes qui ont voulu faire main basse sur l’économie togolaise – et à cette époque, ce sont les phosphates de Hahotoé et Kpomé gérés par la CTMB (Compagnie Togolaise des Mines du Bénin) qui étaient le poumon de notre économie -. « 1 milliard de francs pour trahir son pays…Gbédé… Un château en Europe pour trahir le Togo …Jamais, jamais il leur a dit car il aime son pays », c’est un autre refrain d’un chant de circonstance pour dire que le Général aimait tellement son pays qu’au péril de sa vie, il a refusé de le céder aux Occidentaux. Lors des semaines culturelles dans les établissements scolaires, les élèves apprenaient ces chants pour les prestations en « animation populaire », et ils croyaient vraiment à l’immortalité d’Eyadéma, le Miraculé de Sarakawa – il avait déjà échappé à la balle de Boko Bosso – et de son amour sans faille pour le Togo. Mieux encore, à l’époque, la croyance populaire disait que pendant la chute de l’avion, il s’était transformé en feuille d’arbre, ce qui lui permit de tomber doucement dans un champ. Et là, un cultivateur a failli poser sa daba sur la feuille en question, et le Général apparut comme par miracle. Ah, la belle époque !
La suite de cet « attentat » a été le fameux « Retour triomphal » du 2 février 1974. « Ils ne m’ont pas eu, je les ai eus »… « Même si je meurs, je sais que vous allez continuer le combat que nous avons commencé ensemble »… « Un coup isolé n’arrête jamais un combat ». C’étaient là certains de ses mots. Il fut alors décidé la nationalisation complète et totale de la CTMB qui devint OTP (Office Togolais des Phosphates), puis IFG (International Fertiliser Group), puis aujourd’hui SNPT (Société nouvelle des phosphates du Togo).