«Si l’Histoire ne recommence jamais, les fanatiques, eux, se recommencent toujours, et même avec une constance qui surprend. » (René Nelli)
Qu’est-ce qui peut bien expliquer que l’on continue à commémorer au Togo, la date du 24 janvier ? Tandis que cette année particulièrement, la tendance à reléguer dans l’oubli la date du 13 janvier a été entonnée.
Le 24 janvier 1974, en effet, l’ancien président du Togo, feu Gnassingbé Eyadema, qui se trouve être le père de l’actuel, Faure Gnassingbé, à bord de son avion a échoué à Sarakawa. Miraculé du crash, le Général avait alors ameuté tout le pays en parlant d’un complot ourdi par la France. Aujourd’hui, près de dix ans après Eyadéma, l’on est bien fondé de se demander, comment un président, qui prétend couper les ponts avec les pratiques surannées de son père, montre un si grand attachement à une date liée à sa vie. Et en se montrant en même temps déterminé à en finir avec une date qui, unanimement, marque le début de la triste ère politique de notre pays. Il est vrai, et nous partageons cette compassion, le 24 janvier 1974, quelques proches collaborateurs de Gnassingbé Eyadéma, ont perdu leurs vies dans ce crash.
Doit-on y voir une abolition programmée de la mort du père de l’indépendance? Et de facto, de sa mémoire, donc de l’effacer de la mémoire collective? Au profit d’une journée qui fait plaisir juste à une famille ?
La journée du 24 janvier n’est plus fériée, certes, mais elle mobilise de plusieurs manières l’administration nationale. Elle devrait retrouver le statut ordinaire qu’elle avait avant 1974, date à laquelle « l’attentat » ou « l’accident » s’est produit et que le Père avait désignée comme étant une journée de « libération économique ». Plusieurs avantages en découleront : les ministres, les Directeurs de services, et tout le bataclan qui y accompagnent Faure Gnassingbé auront la tête à leurs occupations respectives. Et c’est l’économie nationale qui gagnera. Elle est dispendieuse, budgétivore et représente une perte, cette journée, si l’on sait ce que coûte le moindre déplacement du Prince.
En revanche, la date du 13 janvier a plusieurs relents et semble méritoire, à retenir, comme une journée nationale. Le Togo reste effrénément à la recherche d’un élément conciliateur, réconciliateur. Cette date, même si elle reste dramatique, pourrait tenir lieu d’une journée nationale en mémoire du père de l’indépendance, lâchement fauché ce jour, sous les balles hypothétiques d’un certain Sergent Etienne Gnassingbé. On donne l’impression de détourner cette date, de la jeter dans les oubliettes «nationales». Et cela fait peur. Ce drame n’étant d’ailleurs guère élucidé, il appartient à tout Togolais réellement nationaliste, de travailler à faire jaillir la lumière sur cette perte, précurseur de malentendus politiques, à ne pas en finir. Ensuite, s’instaureront naturellement tous les artifices du pardon, de la réconciliation, du vivre-ensemble…que nous appelons de tous nos vœux. Il ne faut nullement y lire les propos d’un nationaliste plein de suffisance. Mais ceux d’un Togolais pragmatique. Les fêtes ou les commémorations relatives à un régime que l’on déclare passéiste, caduc, suranné, doivent être reconnues comme telles, c’est-à-dire doivent être supprimées. Dans un pays où les gens se déclarent systématiquement pour la modernité, pour l’unité, poursuivre et entretenir ces célébrations relève de l’hypocrisie. On en finira, au moins avec certaines folies de dépenses, et on aura fait honneur à la réconciliation tant chantée.