Régulièrement critiqué dans les pays africains qui l’utilisent, le franc CFA compte des ennemis jusque sur le Vieux Continent, tant parmi la gauche radicale anti-impérialiste française que, récemment, chez le gouvernement populiste italien.
La charge la plus spectaculaire est venue du vice-président du Conseil italien, Luigi di Maio, qui a accusé dimanche la France «d’appauvrir l’Afrique» et d’aggraver la crise migratoire.
«Il y a des dizaines de pays africains où la France imprime une monnaie, le franc des colonies. Et avec cette monnaie elle finance la dette publique française», a lancé le leader du Mouvement 5 étoiles (M5S, anti-système).
Quatorze pays (dont douze anciennes colonies françaises), huit en Afrique de l’Ouest (Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Guinée Bissau, Mali, Niger, Sénégal et Togo) et six en Afrique centrale (Cameroun, Centrafrique, Congo, Gabon, Guinée équatoriale et Tchad), qui constituent deux unions monétaires distinctes, utilisent toujours le franc CFA comme monnaie officielle, soit 155 millions de personnes.
Établi en 1945, une quinzaine d’année avant l’indépendance des colonies françaises, sa valeur est aujourd’hui indexée sur l’euro (1 euro = 655,96 francs CFA) ce qui maintient les économies africaines dans la dépendance de la politique monétaire européenne.
Les États africains doivent ainsi déposer 50% de leurs réserves en France; en contre-partie, leur convertibilité illimitée avec l’euro leur donne une crédibilité internationale- ces dépôts sont cependant rémunérés à un niveau supérieur aux taux du marché monétaire, remarque une source bancaire.
Un taux plancher de 0,7% actuellement a été fixé, «très favorable», selon cette source qui précise que les fonds peuvent être retirés à tout moment et, par conséquent, ne sauraient être utilisés pour financer de la dette française.
«Frein au développement»
En outre, pour ses soutiens, ce contrôle extérieur sur le CFA apporte une certaine stabilité et un bouclier contre la tentation de faire tourner la « planche à billets ».
Il permet ainsi de maintenir l’inflation sous les 3% et un poids raisonnable de la dette.
Lors de sa visite au Burkina Faso en 2017, Emmanuel Macron, interpellé sur la question, s’était posé en défenseur de la devise : « C’est une bonne chose pour un aspect, ça donne de la stabilité à ceux qui l’ont », avait-il estimé.
Mais d’un point de vue de la croissance, les pays de la zone franc affichent des réussites variables : les pays d’Afrique de l’Ouest tirés par le Sénégal et la Côte d’Ivoire tournent autour de 6% de hausse annuelle de leur PIB tandis que ceux d’Afrique centrale sont plus proches d’une croissance nulle.
Et la politique monétaire de Bruxelles ne sert pas forcément les intérêts africains.
Une inflation trop basse pour des pays à forte croissance peut s’avérer contre-productive et un euro fort pénaliser les exportations vers des destinations autres que l’Europe. «C’est un frein au développement», regrette l’économiste sénégalais Demba Moussa Dembele, farouche adversaire du franc CFA. « La priorité de la BCE (Banque centrale européenne) est de combattre l’inflation (et) la Banque centrale d’Afrique de l’Ouest est obligée de suivre la même politique». À cause de cette priorité, poursuit-il, la Banque africaine « accorde moins de crédits aux entreprises locales et aux États africains».
Pour lui, «cette politique monétaire empêche toute politique d’industrialisation», maintenant la plupart des pays de la région dans le bas du classement.
Billets imprimés en France
Les accusations de néo-colonialisme sont également récurrentes et plusieurs manifestations contre le franc CFA ont eu lieu en 2017 au Bénin, au Gabon, en Côte d’Ivoire et au Mali.
C’est d’ailleurs à Chamalières, fief de l’ancien président Valéry Giscard d’Estaing dans le centre de la France, que la monnaie est imprimée. Bien loin du continent africain.
Les opposants au CFA ont depuis peu trouvé des relais inattendus au sein d’une minorité de «gilets jaunes», ce mouvement social qui secoue la France depuis mi-novembre.
La suppression du franc CFA figurait par exemple dans une liste hétéroclite de revendications publiées par certains groupes de «gilets jaunes», aux côtés de préoccupations plus nationales comme la hausse du salaire minimum.
En revanche, parmi toutes ces critiques, celle de Luigi Di Maio dénonçant la devise comme responsable de l’immigration africaine vers l’Europe ne tient pas, selon plusieurs experts.... suite de l'article sur Jeune Afrique