On se demande pourquoi l’Afrique s’entête à organiser des élections dès lors que celles-ci ne sont, qu’exceptionnellement, l’occasion d’une alternance mais que, par contre, elles sont, toujours, sources de tensions post-électorales. Il est rare qu’une consultation électorale, sur ce continent, se déroule sereinement. Sauf, bien sûr, quand, le résultat devant être sans surprise, les électeurs s’en désintéressent.
Le pouvoir appelle le pouvoir. Et dans des pays où la connexion entre le monde politique et le monde des affaires est étroite, il ne faut pas s’étonner que le statu quo soit prôné par tous. Le Togo illustre cette situation. La campagne pour la présidentielle malienne a fait que les médias se sont désintéressés des législatives togolaises. Il est vrai que c’était une consultation sans enjeu. Sauf que prévues en octobre 2012, elles se sont déroulées le… jeudi 25 juillet 2013 après que le Togo ait connu un drame politico-criminel avec les incendies des marchés de Kara et de Lomé (cf. LDD Togo 039/Mardi 5 mars 2013).
Ce qui se passe au Togo intéresse le Burkina Faso. Blaise Compaoré a été l’instigateur de l’Accord politique global (APG), en 2006, après la crise que le pays a connue à la suite d’une succession calamiteuse : Faure Gnassingbé ayant été choisi par l’armée pour prendre la suite de son père, brutalement décédé, Gnassingbé Eyadéma. Ce que la presse privée du « pays des hommes intègres » qualifie (non sans arrière pensée) de « péché originel ». Les journalistes burkinabè ont enquêté au Togo sur ces législatives. Résultat significatif.
Ousséni Ilboudo, de L’Observateur Paalga, s’est ainsi entretenu avec Georges Aidam et Folly Bazy, respectivement premier et deuxième vice-présidents du parti présidentiel : UNIR qui, en avril 2012, a pris la suite du RPT, le parti de papa, ex-parti unique, ex-parti-Etat. Quand Ilboudo* s’étonne du « clinquant » du QG d’UNIR, au quartier Klikamé, à Lomé, il lui est précisé par Aidam que « c’est un cadre du parti qui nous a gracieusement permis de nous installer ici en attendant ».
Quand Ilboudo, qui pose les bonnes questions, interroge ses interlocuteurs sur « l’utilisation des moyens de l’Etat à des fins partisanes », Aidam reconnait que, « quand on gère les affaires de l’Etat, ça confère, il est vrai, des avantages que les autres n’ont pas » ; il ajoute : « Mais il ne faut pas extrapoler. Chez nous, beaucoup de cadres ont des moyens et nos activités, que ce soit dans la capitale ou à l’intérieur du pays, sont souvent financées par ces derniers sans qu’on ait besoin de recourir aux moyens de l’Etat ». Dans ces conditions, où politique et business se confortent l’un l’autre, difficile d’imaginer que les choses puissent changer. D’autant plus que, quelque peu cyniquement mais franchement, Folly Bazy affirme que les oppositions « préfèrent même nous laisser aux affaires que de voir l’un d’eux y parvenir. Et tant qu’ils seront désunis, nous n’avons pas grand-chose à craindre ».
Effectivement. L’Union pour la République (UNIR), le parti présidentiel, a décroché 62 des 91 sièges de députés, devant le Collectif sauvons le Togo (CST) animé par Jean-Pierre Fabre, président de l’Alliance nationale pour le changement (ANC) et Agbéyomé Kodjo, président de l’Organisation pour bâtir dans l’union un Togo solidaire (OBUTS) : 19 sièges, la Coalition Arc-en-ciel (CAC) : 6 sièges, l’Union des forces de changement (UFC) de Gilchrist Olympio : 3 sièges, le Sursaut de Kofi Yamgnane, ancien ministre de François Mitterrand : 1 siège.
Les oppositions dénonceront, sans surprise, une « mascarade électorale ». Dans le quotidien privé burkinabè Le Pays (mardi 30 juillet 2013), Dabadi Zoumbara notera cependant que c’est « l’une des rares fois, pour ne pas dire la première fois, que l’opposition sera autant représentée à l’hémicycle. Et cela ne peut que contribuer à renforcer la démocratie ». Pas sûr vu le niveau des oppositions. Un de ses leaders emblématiques, Gilchrist Olympio, héritier d’une famille d’hommes politiques de tout temps encensée par les médias occidentaux, après des années d’opposition frontale avec le pouvoir, a choisi de faire entrer au gouvernement des membres de son parti : l’Union des forces de changement (UFC). Ce qui provoquera une rupture avec un des cadres du parti : Jean-Pierre Fabre qui va fonder l’Alliance nationale pour le changement (ANC)**. L’UFC qualifie de « lucidité en politique » d’être partenaire d’UNIR au sein du gouvernement tout en s’opposant à la politique menée. « Nous sommes ensemble parce que l’intérêt général l’exige, mais nous n’avons pas les mêmes options », souligne Djimon Oré, 3ème vice-président de l’UFC et… ministre de la Communication dans le gouvernement d’Ahomey-Zunu Seleagodji.
La « lucidité en politique » de Djimon Oré est sujette à caution. Dans un entretien avec Ousséni Ilboudo (L’Observateur Paalga du mercredi 3 juillet 2013), il affirmait, sans rire : « Nous sommes représentés dans le comité de suivi du processus [électoral], nous sommes au gouvernement, nous sommes à la CENI et dans ses démembrements. Nous sommes donc prêts pour engranger un minimum de 46 sièges […] Vous savez, pendant que les autres s’amusaient à la plage, nous, nous avons travaillé pendant trois ans sur le terrain […] Nous croyons, qu’à coup sûr, nous allons devancer le parti au pouvoir ». Résultat : 3 sièges seulement de députés pour l’UFC. Autant dire que les électeurs togolais ont désavoué la politique de cohabitation/opposition prônée par Gilchrist Olympio, dans laquelle ils ne se reconnaissent pas. Et ont renvoyé l’UFC aux… bains de mer.
Ces élections législatives ont été la première épreuve électorale d’UNIR qui promettait, lors de son lancement, « l’ancrage de la démocratie au Togo, en œuvrant à l’émergence d’une nouvelle éthique républicaine ». Ce parti veut incarner les valeurs que dit prôner le président Gbassingbé : « réconcilier les Togolais avec les Togolais, panser les déchirements du passé, instaurer durablement un climat politique assaini et apaisé pour un développement harmonieux du pays »*. L’impression est que l’UNIR avance bien plus dans la voie tracée – la normalisation de la situation politique et sociale au Togo – que les oppositions ne progressent dans leur union. « Soit ! rétorque Fabre à Ousséni Ilboudo (L’Observateur Paalga – Lundi 8 juillet 2013). Mais si on voyait les choses de la même manière, on n’aurait pas des partis différents ».
Le problème c’est que si les visions sont différentes c’est, essentiellement, que chacun des leaders ambitionne d’être vizir à la place du vizir ; on ne nous fera pas croire, pour le reste, que ce sont les contenus des programmes qui divergent. D’où cette « opposition bruyante » qu’évoquent les leaders d’UNIR, qui « utilise tous les canaux de communication pour noircir le tableau ». Ils ajoutent : « C’est de bonne guerre, vous savez. Nous avons connu un processus démocratique assez heurté, et les adversaires du régime ont beau jeu de surfer sur ces périodes troubles pour nous faire une mauvaise publicité alors que rien n’est plus comme avant ». Ils précisent à l’attention de leur interlocuteur burkinabè : « Ce n’est pas tant la politique du président qui est en cause que ce que vous appelez péché originel ». On ne peut pas être plus clair.
* L’Observateur Paalga du vendredi 5 au dimanche 7 juillet 2013.
** Jean-Pierre Fabre aime faire référence à Nelson Mandela et au combat contre l’apartheid en Afrique du Sud. Il cultive l’image d’un démocrate qui « dénonce les violations des droits de l’homme, de la Constitution, l’instrumentalisation de la justice, etc. », mais, sans se « comparer » à Mandela dit-il, ne déteste pas être perçu comme un « opposant radical ». Il dit : « Quand le président Kountché était au pouvoir au Niger, on disait de lui que c’était un dictateur alors qu’il ne faisait même pas le millionième de ce que Eyadéma faisait. Ici, on nous massacre à huis clos, personne ne dit rien parce que le Togo est un pays insignifiant qui est même absent des statistiques » (entretien avec Ousséni Ilbouo – L’Observateur Paalga du lundi 8 juillet 2013). La revendication majeure de Fabre porte sur le découpage électoral qui fait, qu’en 2007, selon lui, l’opposition a obtenu 31 sièges de députés avec 1,2 million de voix tandis que le pouvoir en obtenait 50 avec seulement 900.000 voix.