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Interview/Je ne cherche rien au Togo, sauf à apporter ma modeste contribution à la lutte que mène notre peuple pour la liberté et le développement (Kofi Yamgnane)

Publié le vendredi 22 mars 2019  |  aLome.com
Martin
© Autre presse par CAPE
Martin Kofi Yamgnane, homme politique franco-togolais
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Suite et fin de la longue interview accordée à «aLome.com» depuis la France par Martin Kofi Yamgnane. Il s’attarde dans cette seconde partie sur les conditions sine qua non pour hâter l’alternance pacifique au Togo, l’avenir politique de ‘Sursaut Togo’, et son grand intérêt pour la cause du développement du Togo. Homme politique depuis plus de 25 ans en France (il aura été maire, conseiller départemental, conseiller régional, député, Secrétaire d’État sous François Mitterrand), candidat à la présidentielle de mars 2010 au Togo, M. Yamgnane se dit très proche des préoccupations quotidiennes de ses compatriotes.






Votre aîné Gil Olympio est dorénavant le chef de file de l’opposition togolaise, depuis la tenue des élections parlementaires du 20 décembre dernier. M. Olympio a publiquement appelé Faure Gnassingbé à ne pas briguer un 4è mandat en 2020. Quels miracles politiques peut concrètement réaliser M. Olympio avec son statut précité, quand on sait que l’Accord UFC-RPT du 26 mai 2010 n’a pratiquement pas fait bouger les lignes politiques dans ce pays ?

K.Y. : À nos yeux à ‘SURSAUT TOGO’, il y a une réalité que vous ne pouvez pas oublier ou même sous-estimer, ou bien contourner. Gilchrist Olympio a été nommé ‘Chef de File de l’Opposition (CFO)’ par Faure Gnassingbé qui lui a défini strictement sa "feuille de route". Dès lors, comment voulez-vous que "l’adoubé" soit en situation d’appeler "l’adoubeur" à faire ce qu’il pourrait désirer ? Quand Olympio était un opposant décidé, avant de finir par jeter les armes par-dessus bord et capituler en rase campagne pour devenir partenaire-collaborateur de Faure Gnassingbé, il n’y est pas parvenu. Comment est-il concevable qu’il y arrive maintenant ?



Quels types de liens continuez-vous par entretenir avec l’opposition togolaise dans son ensemble, puisqu’on ne vous voit plus physiquement sur le terrain politique togolais depuis près d’une décennie ?



K.Y. : Vous savez, ce n’est pas parce "qu’on ne me voit plus physiquement sur le terrain politique" que je ne peux pas entretenir des relations avec "l’opposition togolaise dans son ensemble". Mais il est vrai qu’actuellement, je n’ai aucune relation avec elle. Pendant les événements et le dialogue (NDLR : enclenché en février 2018), j’ai entretenu des relations normales et même fraternelles avec les oppositions togolaises, y compris celles qui étaient hors de la C14.
Utilisant la formule magique "nous on est sur le terrain", ce que je ne suis pas moi, même si je suis plus près de Lomé par avion que les habitants de Cinkassé par voiture, ils en savent forcément davantage que moi, pensent-ils. Je ne pouvais donc qu’avoir tort... J’ai proposé des réunions communes, des rencontres, des séminaires, des discussions au Togo ou ailleurs pour confronter nos points de vue et chercher des convergences possibles.
Au nom de la Diaspora togolaise et avec l’aide et l’appui de responsables éminents de la Société civile, nous avons fait des propositions concrètes, expliqué comment on pourrait porter la crise togolaise sur le plan international, comment on devrait mieux protéger le peuple togolais pendant ses confrontations avec l’armée, transformée par le pouvoir politique en forces de provocation. Nous n’y sommes pas arrivés. Là où nous en sommes aujourd’hui, le dialogue entre nous est interrompu mais pas définitivement enterré puisque nous, on est des hommes de dialogue. Si par bonheur, par modestie, par prise de conscience de part et d’autre, nous venions à admettre tous que la situation demande réellement de changer de paradigme, si l’opposition togolaise souhaite que nous reparlions ensemble de l’avenir du pays, le ‘Mouvement SURSAUT TOGO’ y est prêt depuis longtemps, tout comme la plupart des responsables de la Diaspora.



Bientôt la tenue des élections locales au Togo ; les 1ères depuis 1987 ! Verra-t-on «Sursaut-Togo» sur le terrain en tant que candidat ? Après l’appel au boycott du recensement électoral fin 2018 par la C14, avec quel fichier la classe politique togolaise devra-t-elle aller à ce scrutin déterminant pour le décollage socio-économique des collectivités locales, quand on sait que tout fil du dialogue est de nouveau rompu entre Opposition et parti présidentiel ?

K.Y. : Après un découpage absolument loufoque, insensé et incompréhensible... des préfectures, des villes, des cantons... le gouvernement annonce des élections locales. Des élections locales dans un pays sans recensement général des populations, des territoires et des habitats, sans projet sérieux de décentralisation, est-ce seulement possible ? Et pourtant une nouvelle organisation territoriale est possible et s’impose, car on ne décentralise pas par plaisir ! La décentralisation est un "projet politique" pour gouverner au plus près des populations bénéficiaires ; pour partager le pouvoir ; pour former les responsables futurs !
Je vous donne seulement deux exemples : la future commune de Bandjéli s’étale sur plus de 30 km et englobe 3 cantons (Bandjéli, Bitchabé et Dimori). Elle est bien plus étendue que certaines préfectures ! Elle s’étale sur environ 30.000 ha. C’est l’équivalent de 30 communes françaises ! Un tel projet n’est pas un projet de décentralisation, mais plutôt une recentralisation ! A contrario, il est absolument anormal qu’une ville comme Lomé, capitale du Togo, the place to be, ne soit pas pourvue d’un Conseil municipal et d’un Maire uniques pour concevoir et réaliser sa mise en valeur et sa promotion, dans le concert des capitales des pays du monde !
Les fameuses mairies de secteurs prévues à Lomé et dans d’autres villes sont le signe incontestable que ce pouvoir ne veut concéder aucun pouvoir local à personne, et peut-être même ne sait-il pas ce qu’est un pouvoir local pour une gestion de proximité, pour le partage du pouvoir et pour la formation du citoyen à la chose publique. Décidément, mon cœur saigne de voir que plus le monde avance, plus le Togo recule ! Comme vous pouvez le deviner au vu de ces deux exemples, le ‘Mouvement SURSAUT TOGO’, a travaillé très méticuleusement sur un vrai projet de décentralisation et nous le tenons à la disposition de qui le veut et notamment le pouvoir...
Voyez-vous, la décentralisation à la mode RPT/UNIR n’est pas la décentralisation qu’a imaginée et sur laquelle a travaillé ‘SURSAUT TOGO’. Cependant, notre Mouvement alignera des candidats partout où cela sera possible : notre objectif est de prendre en responsabilité des villes, des préfectures, des régions du Togo pour démontrer, en grandeur-nature comment se gère une Collectivité au profit de l’ensemble des populations.



Vous avez toujours mobilisé la diaspora togolaise pour apporter des soutiens multiformes au développement de Bassar, votre localité d’origine. En attendant votre come-back politique, quelles actions posez-vous pour contribuer à l’accélération du développement socio-économique de Bassar ?


K.Y. : Non, vous êtes mal informé ! Je n’ai jamais demandé à aucun membre de la diaspora de se mobiliser pour "ma localité d’origine". Pour le changement dans notre pays, oui ! Pour "ma localité d’origine", j’ai mobilisé des ONG françaises, des lycéens, des régions et des départements de France pour nous venir en aide.
C’est sur ce genre "d’à-peu-près" qu’en 2009, lors de ma tournée, j’ai discuté avec les chefs traditionnels de la quasi-totalité des villages togolais, au sujet des problèmes existentiels de leurs localités. Le chef d’un village près de Kévé m’a dit ceci : "...Cher Monsieur Kofi, vous avez créé à Bassar la plus grande bibliothèque du Togo ; on y trouve tout pour faire des études. Je peux le témoigner pour avoir été en poste à Bassar ! Mais à moi, que m’avez-vous apporté pour que mon village sorte lui aussi de l’obscurité ?".
«Rien, Chef ! Rien bien sûr, parce que je ne peux pas, avec mes seuls petits revenus personnels, équiper tous les villages du Togo en bibliothèques. Par contre, lorsque je serai aux responsabilités au Togo, oui je pourrai l’essayer ! Mais en attendant, mon épouse est actuellement à Lomé et elle attend notre dernier conteneur dans lequel nous avons mis quelques cartons de livres et fournitures scolaires : je vous promets qu’elle viendra vous remettre ces cartons pour votre école et votre collège».
Ma femme l’a fait quelques jours plus tard, devant les yeux ébahis du chef, de ses notables et de toute sa population. Avait-il oublié que les promesses doivent être tenues par ceux qui les font, par honnêteté et à cause du caractère sacré de la parole donnée ? Oui, dans la région de Bassar, j’ai fait forer et équiper en pompes, exactement 62 puits d’eau potable. J’ai installé un transformateur électrique pour donner l’énergie électrique à un village au-dessus duquel passait une ligne de moyenne tension. J’ai transformé 12 dispensaires, construit 10 écoles primaires dont une entre Atakpamé et Anié. J’ai reconstruit le collège de Bangéli. J’ai construit un centre rural d’actions socio-éducatives, toujours à Bangéli, dans lequel les jeunes peuvent pratiquer l’agriculture et le maraîchage modernes, apprendre divers métiers d’artisanat (couture, forge, poterie...etc.).
J’ai encore des projets, dont celui d’aménager la montagne de Bassar, le Barriba-Bassar, l’une des plus belles montagnes du Togo dont le Mont Agou où je travaille également à un projet d’aménagement. J’ai également un projet d’adduction d’eau potable à Bitchabé dont une des collines regorge d’eau : je l’ai appris en étudiant les cartes hydrogéologiques du Togo, produites par le BRGM* (Bureau de Recherches Géologiques et Minières) à Orléans... Pour faire bref, j’ajouterai le projet de maîtrise et d’adduction d’eau dans la localité d’Aledjo... Comme vous pouvez le constater, mes interventions auprès des populations à la base ne se limitent pas à la seule localité de Bassar...
Mais comprenez que je ne peux pas tout seul tout faire partout : c’est l’État qui a obligation de répondre aux sollicitations justifiées des populations. Mais que fait-il, l’État togolais ? Pour l’eau potable, pour la santé, pour l’énergie électrique, pour les transports, pour la sécurité des citoyens, pour l’école, contre le chômage massif des jeunes tous reconvertis en Zem... Que fait ce régime ? Exemple : en ce moment, la sécheresse sévit tellement à Kara que la population est obligée de cadenasser les bidons d’eau trouvée à des kilomètres de marche ! De la même façon, même à Lomé et depuis bien des années, on vous sert l’eau à boire dans des sachets de plastique, dite "pure water". Quelle déchéance !



Le décisif scrutin présidentiel de 2020, objet de vives polémiques depuis 3 ans au sujet d’une éventuelle 4è candidature de Faure Gnassingbé, c’est presque dans un an ! Kofi Yamgnane est-il de nouveau habité par une ambition présidentielle, après le rejet controversé de votre candidature en 2010 par la Cour constitutionnelle ?


K.Y. : Non, à vrai dire je n’ai jamais été habité par aucune ambition pour moi-même au Togo. Imaginez : je suis né au temps colonial, en 1945. Je suis originaire du petit village de Bangéli, dans la Préfecture de Bassar. À l’époque, ça s’appelait le "Cercle administratif de Bassari". Je suis par hasard emmené à l’Ecole des missionnaires catholiques de Bassar, située à 40 km de mon village natal. Je suis placé chez ma tante qui habite à 8 km de l’école pendant toute ma scolarité primaire. C’est à pieds bien sûr, que je parcours cette distance deux fois par jour. À midi, je "grille" au feu de bois l’igname que j’ai apportée le matin sur ma tête, à côté de mes livres et cahiers d’écolier. Pendant que mon igname cuit dans la cendre, je pars au marigot avec ma gourde de calebasse pour chercher l’eau à boire au milieu des crocodiles et...par la même occasion, rapporter un saut d’eau à la femme de mon maître...Pendant 4 ans !
Lauréat du Concours de bourses d’entrée en classe de 6e, je suis admis au Collège Saint Joseph de Lomé et puis 7 ans après, le baccalauréat mathématiques en poche, j’intègre le «Lycée Kérichen de Brest» en classe de Mathématiques Supérieures : études supérieures, diplôme de l’École des Mines où je suis le seul étudiant Noir admis de la promotion. Spécialisé en conception, calculs et construction des ouvrages d’art (ponts, tunnels, grands talus, ouvrages maritimes et aéroportuaires en béton armé ou précontraint, en bois, en métal..., mécanique des roches et des sols...etc). Je dirige le Bureau d’études du Département du Finistère pendant 25 ans avant de "tomber dans la politique" : maire, conseiller départemental, conseiller régional, député, secrétaire d’État...un parcours unique en France au sein de toute la Communauté de tous les immigrés post-coloniaux ! Je suis né dans une case couverte en paille à Bangéli. J’ai fini dans les Palais dorés de la République française... à Saint-Coulitz, Quimper, Rennes, Paris...
Que puis-je souhaiter de plus que je n’ai pas eu ? Je connais le pouvoir pour l’avoir pratiqué pendant exactement 25 ans. J’en connais les opportunités, les plaisirs, les contraintes, les forces et les limites. Je ne cherche rien au Togo, sauf à apporter ma modeste contribution à la lutte que mène notre peuple pour la liberté, la dignité, l’instruction, la santé, le développement. Et donc atteindre la capacité de dialoguer avec le reste du monde. Voilà mon ambition pour notre pays !
Non vraiment, je n’ai pas d’ambition personnelle ! Oui, j’ai une ambition pour mon pays. Et c’est pour cela que je me battrai jusqu’à la dernière goutte de sang bassar qui coule dans mes veines. En un mot comme en mille, il faudra compter avec moi tant que je suis vivant et en bonne santé physique, mentale, psychologique et intellectuelle. Le Togo peut compter sur moi.



A votre entrée dans le marigot politique au Togo fin 2009, vous appeliez «à changer de tireur inefficace de pénalty», allusion à la présentation de la candidature de la même personnalité dans l’opposition aux présidentielles togolaises. Dix ans après, avez-vous changé de paradigme politique sur le sujet, d’autant plus que des voix s’élèvent dans la diaspora pour l’émergence d’une 3ème force politique au Togo, outre UNIR et ses adversaires politiques de toujours ?


K.Y. : Oui en effet, j’avais utilisé cette métaphore footballistique pour me faire comprendre et faire prendre conscience aux Togolais du "cul-de-sac" dans lequel l’enfermait l’UFC, parti d’opposition, alors dominant au Togo. Croyez-vous que les choses ont changé aujourd’hui avec la philosophie de l’ANC, fille utérine de l’UFC ?
Comment peut-on toujours désigner le même leader pour être le candidat à toutes les élections qu’il perd pourtant depuis toujours ? Il me semble que c’est la même problématique que de demander au même joueur d’une équipe de football d’aller tirer tous les penalties sous l’unique prétexte que "c’est notre meilleur joueur", alors qu’il a régulièrement raté tous les précédents.
C’est la même chose d’ailleurs, en ce qui concerne l’Afrique tout entière. Aujourd’hui l’Afrique est malade ! Alors comment voulez-vous qu’elle ait des résultats? Beaucoup de réflexions idéologiques et politiques doivent d’abord être menées afin de changer de paradigme permettant de poursuivre ce combat avec les chances assurées de le gagner. L’enjeu est d’ordre existentiel. Il concerne toute l’Afrique.
Alors la question du Togo, du Congo ou de la Côte d’Ivoire est la même et elle est sans réponse dans les circonstances actuelles. Il existe pourtant une solution : c’est la mise en place d’un modèle de démocratie authentiquement africaine, la démocratie consensuelle dont nous avons les bases, la théorie et le développement. C’est la seule théorie politique, esquissée par l’Empereur Soundiata Kéita de l’Empire Mandeng du Mali historique, puis par Nelson Mandela en RSA, et que nous instituerons et développerons au Togo, qui nous permettra de tourner le dos à l’Occident et au modèle de démocratie idéologique uniquement basé sur les rapports de forces qui nous est imposée, et qui fait la ruine de l’Afrique.
C’est pourquoi dès 2008, avant même d’entrer "dans le marigot politique togolais", nous avons inventé et inscrit dans la pensée de ‘SURSAUT TOGO’ ce que nous avons appelé "la 3e voie". Elle consistait à l’époque, à laisser le RPT et l’UFC continuer leur guéguerre, se montrer leurs muscles et exposer leurs chairs à canon l’un à l’autre. La 3e voie incarnée par le ‘Mouvement SURSAUT TOGO’, c’est celle qui permet de rassembler tous les Togolais et toutes les Togolaises de bonne volonté, avec pour seul objectif de retrouver leur honneur bafoué et leur dignité piétinée. N’est-ce pas ce modèle de "la 3e voie" qu’a utilisé Emmanuel Macron en France en 2017, plus de 10 ans après nous et qui a dynamité les partis traditionnellement au pouvoir en France depuis 1958 ?

*** BRGM : Bureau de Recherches Géologiques et Minières, 3 avenue Claude-Guillemin BP 36009 45060 Orléans




Interview réalisée par E. G.
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