Didier Adjogblé, 47 ans, Togolais vivant depuis 1993 en Allemagne où il est un biologiste médical incontournable, fait de grandes choses en Europe dans le domaine médical mais continue de nourrir de grandes idées pour son pays le Togo.
Il travaille actuellement pour un laboratoire suisse basé en Allemagne pour le développement d’une nouvelle thérapie de l’insuffisance cardiaque aigüe ; thérapie qui apportera selon lui une avancée majeure dans le traitement des maladies cardio-vasculaires.
« Il s’agit d’une étude internationale sur une substance dont la FDA (Food and Drug Administration) américaine a reconnu le statut de thérapie révolutionnaire. En cas d’homologation, ce traitement constituerait la première avancée majeure depuis 20 ans en la matière.
Sur la base de données cliniques, un recul de 37% de la mortalité dans les six mois des patients traités par cette substance après une défaillance cardiaque a été constaté, comparé aux patients traités avec les thérapies actuellement disponibles sur le marché », a déclaré M. Adjogblé.
Le docteur en médecine biologique dans un entretien exclusif à l’Agence Afreepress, a parcouru tous les sujets relatifs au Togo, notamment, les problèmes économiques, l’éducation, la diaspora vis-à-vis de laquelle il exige un changement de mentalité.
« La diaspora togolaise ne sera plus seulement une source financière ou un pot de compétences, mais comme faisant partie intégrante de la population togolaise ayant un droit de vote même étant naturalisée par les pays hôtes ».
M. Adjogblé s’attèle aujourd’hui á la mise en place de partenariats solides entre certains Centres Hospitaliers Universitaires Allemands et ceux de Lomé et de Kara.
Face à l’évolution exponentielle de la médecine et le financement « exorbitant »qu’exigent les recherches médicales, M. Adjogblé propose que les pays africains se mettent en réseau.
Afreepress.info : Bonjour Docteur Didier Adjogblé, présentez-vous à nos lecteurs ?
Didier Adjogblé : Je vous remercie avant tout pour l’opportunité que vous m’accordez et pour l’intérêt que vous portez á ma personne.
Pour ma personne, je suis un biologiste médical né en 1967 á Agou-Tomégbé dans le Kloto. J’ai passé mon enfance et la plus grande partie de ma jeunesse á Lomé.
J’ai quitté le Togo en année de maîtrise de la faculté des sciences naturelles de l’Université de Lomé pour la poursuite des études en Allemagne en 1993 aux frais personnels, c’est-à-dire sans bourse d’études. Je suis marié á une togolaise. Ma femme m’a rejoint en 1997 en Allemagne.
Afreepress.info : Parlez-nous de votre parcours professionnel ?
Didier Adjogblé : Après la reprise d’une bonne partie des études en biologie avec accent sur la microbiologie et la biochimie moléculaire, j’ai eu un DEA en unité de technologie enzymatique au centre de recherche de Jülich (Centre de recherche jumelé á l’Université de Düsseldorf). J’ai eu par la suite une place á la faculté de médecine de l’Université de Düsseldorf (Institut médical de microbiologie et de virologie) pour une thèse visant le développement de vaccin contre le paludisme (plasmodium) avec l’utilisation de l’agent pathogène de la toxoplasmose, Toxoplasme gondii (Une espèce des Apicomplexa) comme modèle de recherche.
Après la défense de ma thèse, mes recherches ont été dotées de prix en 2004 par l’Université de Düsseldorf. Ce prix m’avait permis de monter mon propre groupe de recherche à l’institut médical de microbiologie et de virologie de la faculté de médecine de l’Université Düsseldorf.
J’ai donc travaillé comme enseignant et chercheur dans ladite faculté de 2004 en 2008. J’ai quitté en fin 2008 la recherche fondamentale pour la recherche clinique ou pharmaceutique pour des raisons stratégiques.
J’ai travaillé auprès de grands laboratoires allemands, français, américains ou suisse et ai participé aussi bien á la conception ou á la revue de plans ou de protocoles d’études qu’au développement et la mise sur marché de plusieurs substances (médicaments) et dispositifs médicaux en cardiologie (hypertension artérielle, insuffisance cardiaque etc…), urologie, cancérologie, infectiologie, gynécologie et en neurologie entre autres.
Un autre volet important de mes fonctions est la formation de médecins et du personnel médical sur les nouvelles méthodes thérapeutiques, le recrutement et de la mise en place de centres de recherche en Europe, aux Etats-unis et en Afrique (pour l’instant en Afrique du Sud).
Afrepress.info : Pourquoi après vos études, vous n’aviez pas opté revenir servir votre pays, surtout que votre domaine de spécialisation, le paludisme, fait partie des maladies qui tuent au Togo ?
Didier Adjogblé : Revenir au pays après les études serait une très bonne chose, mais revenir en tant que diplômé et expert dans son domaine est encore meilleur.
Le besoin du continent de voir ses enfants revenir a toujours été réel depuis la nuit des temps. Le désir de revenir vous brûle encore plus quand vous voyez clairement vos secteurs d’actions.
Pour revenir á votre question, je dirai qu’Il y a une unité de recherche établie á l’Université de Lomé en matière de recherche sur le paludisme dont je consulte régulièrement les publications.
Je salue ici le courage et l’endurance de mes collègues du pays qui mènent leurs activités de recherche dans des conditions financières chroniquement difficiles. La recherche scientifique est une affaire qui coûte en générale des sommes astronomiques surtout quand vous voulez pousser vos recherches sur leurs aspects moléculaires, biochimiques ou génétiques.
Pour le moment la politique de la santé publique et de la recherche scientifique des pays développés et celle de certains grands laboratoires nous permettent de trouver les fonds nécessaires pour pousser les études dans leurs aspects moléculaires, biochimiques ou génétiques pour compléter celles menées par les collègues du continent en générale et ceux du Togo en particulier.
Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), il y a eu 219 millions de cas de paludisme dans le monde en 2010 qui ont fait 660.000 morts parmi lesquels 80% sont des enfants de moins de cinq ans. Cette réalité nous interpelle.
Nul n’ignore que c’est un mal qui frappe plus nos pays que ceux de l’occident. A plus forte raison, il serait judicieux que les instances africaines en fassent une priorité et par conséquent mettent en place une politique commune de santé publique visant á joindre les efforts financiers des états membres.
Il est aussi important de trouver les voies et moyens pour consolider ou pour mettre en place des réseaux sociaux de partenariats entre les chercheurs au-delà de toutes frontières.
Les efforts du laboratoire britannique GlaxoSmithKline et ceux des chercheurs kényans sont prometteurs dans le développement du vaccin antipaludéen RTS,S.
Ce vaccin expérimental offre une protection de 43,6% la première année après la vaccination, qui tend graduellement vers zéro la quatrième année.
D’après le principal auteur de l’étude le Dr Phillip Bejon du Centre de médecine tropicale de l’Université d’Oxford, ce vaccin expérimental devrait être sujet d’autres tests pour voir si un rappel de vaccination pourrait soutenir l’efficacité vaccinale plus longtemps",
L’enjeu du paludisme reste encore pour longtemps un enjeu qui nous concerne tous.
Loin de moi l’idée de vouloir sous-estimer ce thème concernant le paludisme au même titre que ceux du sida et de la tuberculose, je voudrais réveiller notre attention sur certaines maladies non-contagieuses qui prennent de plus en plus de place en Afrique.
L’Afrique a une des incidences les plus élevées au monde pour l’hypertension artérielle (approximativement 46% de la population), 20 millions de diabétiques, et le nombre de patients souffrant du cancer augmente de jour en jour. Le pouvoir public doit tenir compte de toutes ces nouvelles donnes dans le secteur de la santé.
Afreepress.info : Justement, aujourd’hui, vous travaillez auprès d’un laboratoire Suisse où vous occupez un poste délicat. Décrivez-nous vos tâches ?
Didier Adjogblé : Auprès du laboratoire suisse où je suis actuellement, je suis chargé entre autres de l’identification, de la mise en place et d’accompagnement scientifique de centres de recherche en cardiologie pour le développement d’une nouvelle thérapie de l’insuffisance cardiaque aigue (Syndrome coronarien aigu).
Il s’agit d’une étude internationale sur une substance dont la FDA (Food and Drug Administration) américaine a reconnu le statut de thérapie révolutionnaire. En cas d’homologation, ce traitement constituerait la première avancée majeure depuis 20 ans en la matière.
Sur la base de données cliniques, un recul de 37% de la mortalité dans les six mois des patients traités par cette substance après une défaillance cardiaque a été constaté, comparé aux patients traités avec les thérapies actuellement disponibles sur le marché.
Afreepress.info : Vous êtes l’un des rares Togolais à occuper cette fonction. Quel sentiment aviez-vous en sachant qu’au même moment votre pays à besoin de vos compétences.
Didier Adjogblé : C’est vrai que je pense de temps en temps aux voies et moyens pour être plus présent dans les projets où je pourrais mettre à profit mes compétences. Généralement, les réalités et les exigences courantes ne vous permettent pas de vous arrêter longtemps là-dessus. Cependant, le désir d’agir au pays grandit de jour en jour.
Afreepress.info : Aujourd’hui, c’est un secret de Polichinelle qu’il y a plus de médecins togolais à l’étranger qu’au pays, alors que le pays en a extrêmement besoin. Vous confirmez la fuite des cerveaux dans votre domaine ?
Didier Adjogblé : Le phénomène de la fuite de cerveau est un phénomène global et humain. L’Allemagne a vu en 2013, 20000 de ses qualifiés quitter le pays pour d’autres cieux, alors que son économie fait partie des économies les plus enviées du moment. La question fondamentale reste à savoir ce que fait le pouvoir public togolais pour ralentir cette fuite. Quels espoirs ou opportunités offre le Togo à ses enfants ?
Afreepress.info : Que proposez-vous aux pouvoirs publics afin que les médecins togolais formés dans les universités européennes ou américaines puissent revenir au pays où est-ce qu’il y a des alternatives, même en étant à l’étranger, contribuer à résoudre des problèmes de santé publique au Togo.
Didier Adjogblé : Aujourd’hui, il y a toute une série de pays africains qui semblent avoir trouvé la formule pour attirer leurs fils et filles. Le Ghana ou le Sénégal nous apportent quelques indices à ce sujet.
Peut-être le pouvoir public togolais pourrait y faire un tour pour en savoir plus. Je reconnais que cela ne sera pas facile. Je vois un peu plus réaliste la mise en place de plateforme d’échanges facilitant le transfert de connaissance même étant basé á l’extérieur du pays.
Cela est bien possible s’il y a une volonté politique. Bien de Togolais sont prêts à sacrifier leurs vacances pour se mettre à la disposition des hôpitaux ou d’autres institutions. La réalité est que ces personnes sont souvent confrontées á certaines difficultés qui portent à croire que leurs aides ne sont pas les bienvenues. Je souhaiterais que les instances étatiques puissent organiser des rencontres qui permettraient la communication et échanges sur ces sujets. Ces assises pourraient peut-être permettre au gouvernement de déceler les moyens pour attirer ses fils et filles.
Un élément important me semble-t-il est celui de la facilitation de la formation continue des médecins ou du personnel de la santé résidant au Togo. Aujourd’hui nous tendons vers ce que j’appelle « la personnalisation de la médecine » ou la« personnalisation des procédés thérapeutiques » supposant une connaissance plus intime du patient génétiquement parlant.
Dans un très proche avenir, la connaissance des données génétiques du patient et la maîtrise de nouvelles techniques s’imposeront pour mieux exploiter les méthodes thérapeutiques qui deviennent de plus en plus précises, mais plus complexes.
Le médecin, indépendamment de sa situation géographique, sera encore plus obligé d’être en perpétuel apprentissage. Les frais de participation à ces formations continues seront de plus en plus exorbitants. Un des moyens pour passer outre ces frais est l’intégration de nos hôpitaux dans les recherches cliniques ou pharmaceutiques initiées par les grands laboratoires.
La recherche clinique n’est pas seulement un domaine lucratif pour les hôpitaux ou médecins participants, mais aussi une possibilité pour tisser des relations internationales.
Le personnel de la santé ou les médecins reçoivent dans le cadre de la recherche clinique ou pharmaceutique toutes les formations requises pour une meilleure conduite de la recherche et ceci de manière gratuite de la part du promoteur de la recherche.
Généralement, le promoteur de la recherche met á la disposition des chercheurs tout l’équipement dont ils auront besoin. A la fin de l’étude clinique, par arrangement, les équipements peuvent devenir des propriétés de l’hôpital ou de l’unité de recherche. Je citerai au passage l’exemple du Kenya, de la Namibie, de la Côte d’Ivoire ou de l’Afrique du Sud.
Avant d’en arriver là, l’Etat Togolais devrait remplir les conditions requises par les lignes de guidance qui sont des recommandations internationales régissant ce domaine de la recherche clinique. Au niveau de l’appareil étatique, il nous faut une instance pour la recherche clinique en générale. En plus, il faut constituer des Commissions d’Éthique pour garantir le bien-être des sujets ou patients inclus dans la recherche entre autres.
Le domaine de la recherche clinique offre un nouveau marché du travail à nos frères et sœurs. Les diplômés des facultés des sciences naturelles, de la médecine, de l’informatique, des lettres, de droit y trouveront leur niche même étant résidants au Togo.
Afreepress.info : Au dernier remaniement du gouvernement, le Togo n’a plus un ministère de la santé, ce département est plutôt rattaché à la primature. Vous en tant que professionnel de la santé, vous comprenez cette décision du gouvernement ?
Didier Adjogblé : J’aimerais préciser qu’avant tout un poste ministériel est un poste politique. Par conséquent, rattacher le ministère de la santé á la primature ne voudrait pas forcément indiquer une carence ou un manquement.
Peut-être le premier ministre en a fait son cheval de bataille, vu les réformes en cours ou décidées pour ce secteur. Le premier ministre s’est certainement entouré de personnes compétentes du secteur de la santé.
Le Togo possède de personnalités internationalement connues dans ce domaine. Toutefois il serait judicieux de rester dans le schéma standard, c’est á dire, un ministère de la santé détaché de la primature pour lever tout équivoque. Il faudra dans tous les cas de figure rendre transparents les projets et le budget alloué au secteur de la santé par l’Etat. Ces deux derniers éléments nous aideraient à mieux juger le gouvernement á ce niveau-là.
Afreepress.info : Le gouvernement fait les yeux doux à la diaspora de revenir apporter sa pierre à l’édifice. Vous êtes également partant ? Et si oui, comment comptez-vous soutenir par vos idées et initiatives les projets de développement du Togo, surtout dans ce secteur qui vous concerne, la santé.
Didier Adjogblé : Soutenir les projets de développement du Togo, dans tous les domaines, est un impératif pour nous tous. Je serai ravi d’y ajouter ma petite pierre. Je suis en contact régulier avec certains tenants du domaine de la santé au Togo et les projets ne manquent pas.
Pour ma part, je m’attelle á la mise en place de partenariats solides entre certains Centres Hospitaliers Universitaires Allemands et ceux de Lomé et de Kara. Ces partenariats devraient faciliter les échanges entre les Universités et favoriser un transfert de technologie á plusieurs niveaux. Je m’arrête pour le moment sur ce point.
Afreepress.info : Vous revenez au Togo souvent ? Et comment mesurez-vous l’évolution du pays ces dernières années ? Aviez-vous déjà entrepris quelques projets pour faire bouger les lignes ?
Didier Adjogblé : Oui, je reviens de temps en temps au Togo dès que possible. En plus de la visite de parents, j’adore le paysage, le mont Agou, la traversée du pays du Sud au Nord.
J’ai particulièrement en mémoire depuis 1991 les villes de Défalé et de Bombouaka òu l’approvisionnement en eau potable se trouvait dans un état très déplorable. Je ne crois pas que cette situation est meilleure ailleurs surtout quand il s’agit des contrées reculées.
J’espère trouver prochainement l’occasion pour y refaire un tour. Mon dernier passage au Togo remonte au mois de Mai 2013 où j’avais fait un stop de 7 jours sur mon chemin de retour de l’Afrique du Sud pour l’Allemagne.
J’ai été positivement surpris par deux choses : le développement des voies du moins á Lomé et la télécommunication en l’occurrence l’accès internet. Le débit de retransmission internet est assez bon.
Ceci offre de nouvelles portes et opportunités aux jeunes sur le marché du travail aussi bien á l’intérieur qu’á l’extérieur du Togo. Je reviendrai sur cet aspect plus tard dans cet entretien si vous le permettez.
Afreepress.info : Comme vous, aviez-vous une idée chiffrée sur les médecins togolais ou professionnels de la santé vivant en Allemagne ?
Didier Adjogblé : Je n’ai absolument aucune idée. Malgré la présence d’une grande communauté togolaise en Allemagne (10100 togolais selon Statista) vivant pour la plus grande partie dans les villes comme Duisbourg, Düsseldorf, Hambourg, Cologne, Berlin et Munich, il n’existe pas encore un regroupement togolais á l’image de la CTC (Communauté Togolaise du Canada) permettant une meilleure circulation des informations et la détention d’une statistique par profession.
Mon souhait serait de mettre en place une plateforme internet, du moins au niveau de l’Ambassade du Togo á Berlin, où chacun peut s’inscrire de chez soi et se faire identifier selon son appartenance professionnelle. Ceci peut devenir aussi réalité globale permettant de repérer le potentiel ou le génie togolais au travers du monde entier.
Afreepress.info : Que pensez-vous de la situation de l’enseignement en générale et en particulier dans les Universités du Togo
Didier Adjogblé : Le Togo est en train de connaître une dépravation du système éducatif. Les Universités sont loin d’assurer la formation des étudiants et étudiantes. Les enseignants sous contrat des Universités se permettent d’ouvrir des instituts privés. Ces instituts privés coûtent les yeux de la tête pour s’y inscrire.
Je ne pourrais pas ici en quelques mots décrire cette situation catastrophique aussi bien dans les Universités que dans l’enseignement général.
Surtout au niveau de l’enseignement supérieur, la situation de cumul de contrats doit être réglée rapidement. Le prélèvement d’impôts importants sur les revenus émanant du second contrat pourrait décourager les tenants de deux contacts.
La réforme de l’enseignement supérieur et son adaptation aux exigences nationales et internationales s’avèrent très indispensables.
Afreepress.info : Quelles sont vos propositions pour que le Togo tire réellement profit des flux migratoires ?
Didier Adjogblé : Le Togo tire déjà un grand profit de ces flux migratoires vu le volume de transfert de fonds qui se fait vers le Togo. La diaspora togolaise est l’une des diasporas qui envoie plus d’argent au bercail.
Les statistiques sont bien connues concernant ce fait. J’avoue que je suis un peu déranger par le mot« profit », car avant de tirer profit il faut avoir investi. Nous avons quitté le pays pour la plus grande partie à nos propres frais.
Pour certains d’entre nous, les parents ont dû contracter des prêts ou vendre leur biens, pour d’autres aucun soutien n’a été consenti. Dans le cas de l’Allemagne, le cas que je cerne mieux, nous étions arrivés pour la plus grande partie au début des années quatre-vingt-dix, quelques 2 à 4 années après la réunification des deux Allemagnes.
Cela veut dire que l’Allemagne faisait elle-même face aux problèmes migratoires entre ses deux entités, l’Est et l’Ouest. Nous devons aussi savoir que l’Allemagne n’est pas un pays typiquement de migration comme la France, le Canada ou les US. Par conséquent, les structures existantes á l’époque n’étaient pas adaptées á une meilleure et rapide intégration des immigrés. Malheureusement, pour certaines personnes il était hors de question de pouvoir mettre en valeur ou approfondir leurs compétences professionnelles.
Ce n’était donc pas facile particulièrement pour ces personnes de se faire une place dans la société allemande. D’autres encore ont eu pour la première fois un travail après avoir quitté le Togo.
Vous voyez que ces personnes seraient plutôt dans l’attente de voir le pouvoir public togolais venir vers eux avec des intentions claires. Le pouvoir public compte certainement sur le patriotisme des Togolais de la diaspora. Cela peut ne pas être suffisant dans certain cas.
Afreepress.info : Aviez-vous des contributions à apporter en termes d’idées ou d’initiatives pour pousser le pays vers l’avant ?
Didier Adjogblé : Il est difficile d’apporter une réponse satisfaisante à votre question, mais j’essaierai de pointer quelques domaines où le Togo peut encore profiler.
Le Togo possède un des meilleurs et importants gisements de phosphate du monde. Aujourd’hui, le Togo ne fait pas bonne mine dans l’exportation du phosphate et de ses dérivés.
Je prends l’exemple de l’utilisation de l’acide phosphorique dans la lutte contre la rouille ou dans l’industrie de l’automobile qui constitue un marché qui se chiffre en milliards d’euros. Le Togo devrait, avec la complicité d’autres pays de la sous-région (en exemple de la C.E.D.E.A.O.), construire une usine de transformation du phosphate en ses dérivés divers.
Le Togo se spécialisera dans ce domaine en mettant en place un Institut du Phosphate dans une de ses Universités. Nous pouvons étaler cette forme de pensée à d’autres ressources minières que possède le Togo. En même temps le Togo s’intéresserait aux autres pays de la sous-région et les aiderait dans l’installation d’autres types d’usines.
Nos pays, mis à part le Nigeria et l’Afrique du Sud, sont de petits pays économiquement parlant. C’est seulement qu’en se regroupant que les pays africains deviendraient économiquement représentatifs sur le marché mondial. L’ensemble de ces grandes industries africaines aurait le poids nécessaire pour nous conduire vers la création d’une monnaie africaine découplée de celle de l’occident. Nos banques ne seront plus des filiales pour les banques européennes.
Pour terminer, il est aussi important que nos gouvernements puissent voir les choses sous un angle complètement différent. Le monde de nos jours est bien différent par ses exigences, son époque, ses habitants par rapport au monde d’il y a 30 ou 60 ans.
Le monde du début du siècle dernier vivait dans une autre équivalence, par exemple l’équivalence de la guerre avec résultat les deux grandes guerres mondiales. Les équivalences les plus prononcées de notre époque sont celles de la paix, de grandes technologies, du déplacement des frontières par le biais des techniques de communication.
Je souhaiterais ici, que les gouvernements africains en général et celui du Togo en particulier puissent voir leurs fils et filles résidents á l’étranger comme ceux qui déplacent leurs frontières physiques et augmentent leurs champs d’actions. Du coup le Togo n’est plus un petit pays ayant une superficie de 56600 km2, mais au contraire un grand pays dont la frontière du Nord n’est plus limitée par le Burkina Faso, mais plutôt est déplacée jusqu’en Europe, celle de l’Est est déplacée jusqu’en Asie, celle de l’Ouest est déplacée jusqu’en Amérique et celle du Sud est déplacée jusqu’en Afrique du Sud ou si vous voulez en Australie.
Cela implique aussi un changement radical de mentalité vis-à-vis de la diaspora togolaise. La diaspora togolaise ne sera plus seulement une source financière ou un pot de compétences, mais comme faisant partie intégrante de la population togolaise ayant un droit de vote même étant naturalisée par les pays hôtes.
Le premier pas serait d’enlever tout payement de frais de visa pour les Togolais ayant perdu la nationalité togolaise au profit d’une nationalité étrangère désireux de se rendent au Togo pour des raisons diverses. La liste de ces petits pas peut devenir rapidement longue. La balle est dans le camp du pouvoir public.