Le 12 juillet 2019, le site internet republicoftogo.org, un canal d’information de la Présidence de la République, titrait « Fiscalité locale ; La taxe d’habitation fait son grand retour… ».
Toujours selon le même site, c’est l’Office Togolais des Recettes, plus connu des Togolais sous le vocable « OTR », qui a décidé de rétablir ledit impôt. L’article est conclu en ces mots : « Les déclarations seront envoyées à partir de la fin du mois d’août ».
Devant le tôlé que le retour de cette taxe a déclenché au sein des populations togolaises, au pays comme dans la diaspora, et dans les milieux des Organisations de la Société Civile (OSC) dont les Organisations de Consommateurs, il sied de répondre à deux interrogations légitimes et fondamentales pour cerner les méandres de la problématique :
1- Pourquoi instaurer une taxe d’habitation au Togo ?
2- Quelle est la raison de l’hostilité, voire de la haine des Togolais à l’égard de cette taxe ?
Pourquoi instaurer une taxe d’habitation au Togo ?
La taxe d’habitation est un impôt local qui dépend des caractéristiques du logement, de sa localisation et de la situation personnelle de l’occupant – propriétaire, locataire ou occupant à titre gratuit – à savoir ses revenus, la composition de son foyer, etc. Les résidences secondaires aussi sont concernées. Des exonérations sont toutefois admises en fonction des situations ou sous certaines conditions.
Cette taxe, entre autres impôts locaux, est importante dans le développement des communes car elle permet de financer les différents services promus par la commune en vue de l’amélioration de la qualité des équipements collectifs. Autrement dit, dans un pays normal et moderne, il s’agit d’une redevance des plus banales pour le besoin de l’intérêt général ; et dans des pareils cas, le consentement des administrés est généralement recueilli en toute quiétude.
En principe, l’actualité nationale au travers des dernières élections locales, après plus de trente-deux ans de vide juridique et de jonglages de tous ordres, concourt ou milite pour l’instauration de cette taxe, car les nouvelles municipalités ont absolument besoin de ressources pour fonctionner et, en même temps, développer des services pour leurs administrés. Si cela en est ainsi, pourquoi cette vive allergie des Togolais à l’instauration de cette taxe ?
Quelle est la raison de l’hostilité, voire de la haine, des Togolais à l’égard de cette taxe ?
Dans un pays où la légitimité des gouvernants n’est pas une réalité ou est vertement contestée, toute initiative venant de ces derniers est généralement rejetée par les gouvernés. Ce n’est un secret pour personne que le régime au pouvoir au Togo souffre d’une illégitimité criarde ; situation qui s’est exacerbée à partir de février 2005.
Depuis, rien ne s’est arrangé ; ni les présidentielles de 2015, ni les législatives de décembre 2018, et encore moins les locales de juin 2019 n’ont fait bouger les choses d’un iota. Alors comment un gouverné, qui ne se reconnaît aucunement en son gouvernant, pourrait-il consentir à céder partie de ses biens au gouvernant alors qu’à ses yeux, celui-ci n’est nullement là pour servir l’intérêt général ? Dans cette petite interrogation, si simplement exprimée, réside le fond unique du problème soulevé. Si le gouvernement togolais était sûr de lui, il ne procéderait pas par des largages de ballons d’essai afin de tâter le pou des populations au sujet de la taxe d’habitation.
En réaction à la nouvelle, le Pasteur EDOH Komi, élu dernièrement Conseiller municipal dans la Commune Golfe 2, plus connu comme Président du Mouvement Martin Luther KING, a déclaré que « La situation est difficile, les gens n’arrivent pas à joindre les deux bouts. Il va falloir qu’on aille graduellement pour faire comprendre aux Togolais que les taxes servent au développement du pays. Ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Puisque jusque-là, les taxes ne servent qu’à alimenter la minorité…».
Même son de cloche du côté de la Ligue des Consommateurs du Togo (LCT) qui, par la voix d’Emmanuel SOGADJI, trouve que « Le moment n’est pas opportun pour la mise en application de la taxe d’habitation au Togo. » Toujours selon le représentant de la LTC, « Les gens souffrent énormément dans le pays. Donc pour nous, la taxe d’habitation n’est pas la bienvenue ».
Le site d’info republicoftogo.org, cité plus haut, a bien précisé que la taxe faisait son grand retour après avoir été « mis entre parenthèse » par l’OTR. Pourquoi son instauration fut-elle suspendue ? Qu’est-ce qui a évolué entre temps dans les raisons de cette suspension pour qu’on veille, coûte que coûte, mettre ladite taxe sur orbite aujourd’hui ? La situation des Togolais a-t-elle changé dans le laps de temps ?
Il est un fait que les litiges fonciers représentent plus de la moitié des cas traités par la justice togolaise ; il est aussi un fait que toute la chaîne publique d’immatriculation des immeubles est en grande partie responsable desdits litiges pour la légèreté, l’irresponsabilité, la vilenie voire la cupidité de certains agents. Les documents cadastraux ne sont pas à jour si ce n’est qu’ils n’en existent même pas dans certaines localités. Les outils pondérés et objectifs de base de meure des valeurs des biens immobiliers ne sont encore mis en place ou harmonisés.
Le nouveau Code foncier vient à peine d’être adopté sur fond de promesses alléchantes des autorités publiques, la main sur le cœur, d’en finir une fois pour de bon avec les causes des litiges fonciers mais aussi, de maîtriser les fixations anarchiques des prix immobiliers et/ou des loyers. Logiquement, nous sommes dans la période d’attente de la traduction dans les faits des engagements ; autrement-dit, pas encore de nouvelle donne.
Pendant ce temps, les citoyens continuent de se battent comme de beaux diables, des fois même contre les pouvoirs publics, pour enfin disposer d’un lopin de terre et construire une demeure. Aucune mesure d’accompagnement ou d’incitation, pas la moindre aide instituée pour soutenir l’accès à la propriété. Une fois installé, le citoyen doit, très souvent, se substituer aux fournisseurs de services publics, comme pour l’électricité, en procédant, par ses propres moyens, à l’extension des réseaux jusqu’à son lot ou quartier alors que ce sont des installations qui devraient être réalisées au préalable par les fournisseurs, et le citoyen ne devrait payer que pour le raccordement. Avec tout ce qui précède, comment susciter ou arriver à la prospérité du principe du consentement à l’impôt dans le chef des populations ?
En procédant comme ce qui s’apparente à un coup de force, tout citoyen est fondé de penser que nous sommes en train de retourner au Moyen-Âge où les impôts étaient le seul fait du Roi ou du Prince ; on parlait alors de « tribut » que les sujets devaient payer. Il était imposé aux peuples pour, prioritairement, financer le train de vie du monarque. Pourquoi pas un seul Togolais – même les membres du syndicat de la minorité pilleuse qui, par principe, ne paient aucune contribution vu que tout leur est dû – ne veut consentir à cette taxe ?
En un semestre, pas moins de quatre mesures fiscales ont été prises sans le moindre égard aux populations : augmentation des prix des produits pétroliers, les frais d’éclairage public, la taxe sur les véhicules à moteurs (appelée vignette) et la fameuse taxe sur l’habitation. Dans une adresse de la Synergie des Travailleurs du Togo (STT) du 22 mai 2019 au Premier Ministre, celle-ci relevait que « L’institution de certaines taxes dans le Code Général des Impôts en vigueur, ne peut qu’aggraver la souffrance des travailleurs et des populations qui voient de jour en jour leur pouvoir d’achat diminuer alors que leurs revenus n’évoluent pas. Le SMIG depuis 2006 est toujours resté inchangé et la dernière augmentation des salaires remonte à juillet 2015 ».
Si l’on ajoute à tout cela la gabegie ostensible dans laquelle vit la « minorité pilleuse », les détournements de milliards de nos fonds publics dans tous les secteurs et en toute impunité, le siphonage de nos sociétés d’Etat jusqu’à leur ruine et faillite avec des promotions à la clé pour les auteurs, alors que, au même moment, le Togolais lambda ne sait comment se soigner d’un malheureux mais banal palu, des centres de santé n’ayant même pas d’aspirine, des élèves suivant encore des cours à l’air libre au gré de la nature et s’ils ont un enseignant, le déplacement pour un travail coûtant 2 fois plus que le salaire payé, des récoltes bradées ou pourries car le paysan ne pouvant vendre à un prix rémunérateur ou n’ayant tout simplement pas d’acheteur, mères et bébés qui meurent encore en couche parce que les hôpitaux ou centres de santé ne sont pas équipés ou que la patiente n’a pas le sou à verser au préalable, l’arrêt brutal des cursus des jeunes bacheliers faute de moyen pour se faire établir des papiers d’identité ou pour s’inscrire à une formation post-bac, les 28,3% de jeunes sans emploi décent ni revenu régulier, les 29% de la population vivant à plus de 5 km d’une structure de santé, les 38% n’ayant accès à l’eau potable et, pour en rester là, les 53,5% de la population vivant sous le seuil de pauvreté (PNUD, 2017), alors ne cherchez pas loin le refus de consentement des Togolais à la taxe d’habitation.