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Art et Culture

Journée internationale de l’écrivain africain/Statut et fonction de la littérature en Afrique (Contribution de Théo Ananissoh)

Publié le jeudi 5 decembre 2019  |  aLome.com
Le
© aLome.com par Edem Gadegbeku et Jacques Tchakou
Le 6è roman de Théo ANANISSOH intitulé «Delikatessen» au cœur d’un café littéraire à Lomé
Lomé, le 11 août 2018. Centre culturel Level. Le 6ème roman de Théo ANANISSOH intitulé «Delikatessen» au cœur d’un café littéraire. «Delikatessen», le dernier roman en date du Togolais Theo ANANISSOH, édité aux éditions Gallimard et paru en 2017, a été au centre d’un café littéraire. Enseignants-chercheurs, auteurs et ceux qui s’intéressent à la littérature et aux livres ont pu échanger avec l`auteur au sujet de son dernier roman.
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A l’occasion de la journée internationale de l’écrivain africain

Lomé, Palais des Congrès


07 novembre 2019



"Mesdames, Messieurs, chers consoeurs et confrères auteurs, je vous remercie de votre présence.
Merci, M. Steve Bodjona, de l’invitation que vous me faites de prendre la parole à l’occasion de cette journée internationale de l’écrivain africain.


Je suis particulièrement heureux pour deux raisons :
La première, c’est que le sujet que vous me proposez de traiter est beau et pertinent ; il est une très juste préoccupation de l’esprit.

La seconde raison, c’est qu’il m’offre, ce sujet, l’occasion – qui ne va pas de soi pour un écrivain africain – de parler… universellement. Je veux dire : parler aux siens, chez soi ; à la maison. Voyez-vous, si, hors d’Afrique, quelqu’un m’invitait à traiter de ce même sujet, la situation psychologique et concrète serait en fait la suivante : « Chez vous, c’est comment le statut et la fonction de la littérature ? » Mon interlocuteur, mes auditeurs seraient à l’extérieur du champ socio-culturel de ma naissance et m’écouteraient pour ainsi dire depuis chez eux – certes avec empathie, curiosité, bonne volonté ou scepticisme, doute, préjugé, peu importe. Vous ne parlez universellement des sujets de votre maison que dans ladite maison et avec ceux qui y sont impliqués comme vous en termes de destin.

Nulle part ailleurs. Vérité essentielle. C’est dans la mesure où vous êtes dans cette cohérence de situation objective que vous visez l’universel, que vous êtes véritablement, humainement recevable et, je dirais, essentiellement compréhensible par tous les humains. Vous n’êtes pas alors un étranger qui parle aux autres d’un sujet d’ailleurs, d’une réalité qui est plus ou moins éloignée d’eux, mais bien un homme ou une femme qui pense et parle de l’infinie condition humaine. Parce que, dans une telle situation, vous recherchez forcément des réponses à des questionnements humains. Point.

C’est donc tout simplement une situation idéale qui est offerte aujourd’hui à l’écrivain que je suis. En ce sens, sa valeur intrinsèque est supérieure à celle de toutes les occasions de parole que j’ai eues jusqu’à ce jour hors d’Afrique. Oh oui ! Je publie des livres et je ne m’exprime presque uniquement qu’en Europe jusqu’à présent ; mais c’est par nécessité, vous le savez bien. Être contraint de s’adresser avant tout à d’autres qu’aux siens, pour un écrivain, est – je pèse mes mots – une situation fausse. En vérité, c’est une fraude permanente au regard de l’esprit. Contrairement aux apparences, cet état de chose abaisse plus qu’il n’élève l’écrivain africain. Objectivement, c’est une situation d’infériorité. C’est ce qui fait que les auteurs africains, malgré eux souvent, sont les gens les moins nationaux et les moins patriotes qui soient. Je pense sincèrement que vous devez accepter l’idée très pénible de ne pas compter sur eux. Autre conséquence très désastreuse de cette situation qui passe inaperçue : elle empêche les pays d’origine des écrivains africains de développer de la confiance en soi pour porter leurs propres jugements, puisque autrui interfère en permanence dans la validation de leurs élites littéraires et intellectuelles. C’est efficacement inextricable parce que structurel.

C’est au cœur de l’Afrique où je suis né et où j’ai grandi en partie que m’est venue très tôt l’idée a priori simple d’être écrivain – a priori simple puisqu’elle a pu germer dans la tête d’un enfant de onze ans. Innocence. Être un jour écrivain a été à partir de cet âge une obsession chez moi. Mon existence jusqu’à ce jour où j’ai cinquante-sept ans a été déterminée par cette envie, cet objectif d’être un écrivain. Tout ça pour vous dire – vous l’avez déjà compris – que je vous parlerai en écrivain et pas en intellectuel pour ainsi dire à distance de son sujet. Je dirai donc : je. N’y voyez pas, s’il vous plaît, de la complaisance envers moi-même. C’est que cela me semble être le meilleur biais pour vous faire partager mes réflexions au sujet du statut et de la fonction de la littérature en Afrique. En disant « je », je tiens juste à être le moins abstrait possible, à être concret, et compris en particulier des plus jeunes d’entre nous dans cette salle – parce que j’observe une heureuse vitalité littéraire chez eux, et que j’aimerais beaucoup leur être utile dans le cadre de ce propos.

I

Le 5 octobre 2017, j’ai publié aux éditions Gallimard, à Paris, un sixième roman intitulé Delikatessen.
Je viens juste de finir de relire le manuscrit du suivant, mon septième roman, qui a pour titre Perdre le corps.
Dans mon esprit, ces deux romans (Delikatessen et Perdre le corps) constituent les deux premiers volets d’une trilogie – c’est-à-dire d’un ensemble de trois romans successifs qui ont quelque chose qui les rapproche particulièrement. Cette trilogie, je l’intitule comme suit : Avant Accra, après Cotonou.
Indication d’un espace géographique, n’est-ce pas ? Espace où nous sommes vous et moi en ce moment. Cela ne veut pas dire que mes cinq romans qui précèdent ces deux derniers ne se situent pas, eux, dans ce même espace circonscrit, bien au contraire. Mais, encore une fois, l’esprit de ces deux derniers romans et, je l’espère, de celui à venir, est singulièrement et amplement marqué par ces quatre mots : Avant Accra, après Cotonou.
Delikatessen, rapidement dit, se passe entre Lomé et Aného – dans Lomé, dans Agbodrafo (dénommé par son ancien nom de Porto-Seguro) et dans Aného. Un mouchoir de poche de quelques dizaines de kilomètres carrés. L’Océan, notre petit bout d’océan Atlantique, y est une ligne de frontière le long de et face à laquelle vont et viennent mes personnages. Laissons de côté l’histoire que j’y raconte, et retenons le cadre géographique, les paysages nocturnes, la vue et les sons de l’Océan, les végétations que j’y décris.

Perdre le corps, le roman que je viens de finir d’écrire (qui est un roman sur l’amitié, l’amour et le corps qui tombe malade et qui vous abandonne ), se déroule à Lomé, à Aného, à Grand-Popo (Bénin) ; puis, dans son dernier tiers, dans tout le reste du Togo. Mes deux personnages principaux prennent une voiture et, pendant une semaine à peu près, remontent le pays du sud au nord, jusqu’à la frontière de Senkansé, face au Burkina Faso. Je ne voudrais pas en dire plus quant aux épisodes ; je précise juste ceci que j’aimerais souligner : le Togo est vu et décrit physiquement tout au long des six cents kilomètres de parcours que mes personnages font.
J’ai accumulé une connaissance géographique et paysagère de notre pays depuis mon adolescence. J’ai passé mes années de lycée à Dapaong, là-bas tout au nord. Pendant toute cette période, j’ai fait des allers et retour entre ces deux bouts du Togo. En mars 2017, en vue de ce septième roman, j’ai refait le trajet Lomé-Dapaong, quittant parfois la route internationale numéro 1 pour pénétrer à l’intérieur des terres à gauche ou à droite, allant visiter par exemple la ville de Tchamba ou le fameux pays Temberma. Je suis même allé voir Kpagouda, près de la frontière avec le Bénin. Donc Perdre le corps explore le Togo presque dans son entièreté. Je l’ai écrit en consultant sans cesse, outre les photos et les notes que j’ai prises pendant mon voyage, un atlas du Togo. Je dois être honnête et ajouter ceci : j’ai écrit un chapitre de ce roman en m’inspirant de photos de paysages du Nord prises par l’artiste plasticien togolais Sokey Edorh lors d’un voyage qu’il y a fait. Il les a publiées sur son mur facebook. J’ai écrit des phrases de mon roman en ayant ces photos sous les yeux. Je vois cet artiste développer un sens du paysage qu’il me semble possible de rattacher à mon propos d’aujourd’hui.

Question : Pourquoi cela ? Pourquoi une trilogie intitulée Avant Accra, après Cotonou ?
Je vous prie d’excuser par avance la prétention que semble exprimer la réponse que je vais donner à cette question. Je choisis de formuler la chose ainsi uniquement pour que vous saisissiez clairement ce que je pense des mots statut et fonction accolés à celui de littérature.
Donc.
Pourquoi je décris le Togo ?
Pourquoi mes romans décrivent-ils ainsi le Togo ?
La réponse est simple :
Parce que je veux créer le Togo. Parce que je veux fonder le Togo.
Eh oui !
Avant de vous étonner à juste titre d’une pareille présomption, accordez-moi quelques minutes pour que je me justifie, je vous en prie.

L’homme ne vit pas dans la nature, mais dans ce qu’il a créé, comme nous savons. Nous naissons dans les bras d’autres hommes et d’autres femmes, et nous mourons de même. Évidence. Dans le roman Perdre le corps, l’un des deux personnages principaux est un jeune agent immobilier – un démarcheur, comme nous disons plutôt au Togo. A travers lui, je développe le thème de l’habitat. Il n’y a véritablement d’habitat qu’humain. Les autres vivants se protègent ou s’abritent dans des trous, des tanières, des grottes, des refuges aléatoires. L’homme seul conçoit et se construit réellement une habitation, une demeure ; une maison. C’est l’obsession primordiale de l’homme : créer où vivre. Avoir un toit qui l’abrite, qui protège sa vie, qui le distingue, qui le réjouit… Sans habitation sur terre, l’homme est un désocialisé – un être quasiment hors humanité, même au cœur d’une grande ville. Et il ne peut rien accomplir de ses potentialités dans cette condition. Vous rendez-vous compte ? Sans un logis de quelques dizaines de mètres carrés, aucune jouissance pour ainsi dire du monde pour l’homme. Pas de maison, pas de famille.

Il faut donc créer au propre et au figuré le lieu où l’on vit – son pays. Je suis écrivain, et romancier. Pas un commerçant, ou un architecte, ou un médecin, ou encore un policier. Je crée ma part de pays avec mes romans.
Voilà une première étape, si je puis dire, de mes réflexions sur ce sujet qui nous intéresse aujourd’hui.


II


Elle ne suffit pas, bien sûr. Il en faut plus car l’affaire est sérieuse.

Si vous avez un terrain (un lot comme nous disons ou simplement un champ), et que vous n’y projetez pas votre esprit et votre imagination, que se passe-t-il au fil des ans ? La nature en (re)prend possession tout doucement. Les mauvaises herbes l’envahissent, les eaux des pluies s’y accumulent calmement saison après saison, de petits vivants de toutes sortes s’y installent ; pire, d’autres humains sont tentés de vous le confisquer si par chance et malchance à la fois il y pousse ou s’y trouve des choses qui suscitent leur convoitise. Nous savons cela, n’est-ce pas ? Le sol que vous ne labourez pas de votre esprit et de votre imagination vous échappe, il est susceptible de vous être arraché ou volé.

En revanche, quand votre esprit y fait et y conçoit un lieu de vie, votre propriété dudit lieu devient effective et définitive. Vous vous y enracinez. Vous le culturalisez. Vous le recréez.
Laissez-moi le redire d’une façon peut-être plus littéraire : Allez en Suisse. Ou au Japon. Ou en Allemagne. Ou vous voulez. Vous ne trouverez pas un coin de chacun de ces pays, vous ne trouverez pas un lac, pas une montagne, pas un fleuve, pas une belle étendue de plaine, pas une forêt, pas une île, pas même le ciel au-dessus des têtes ou un horizon que des natifs de ces pays-là n’ont déjà célébré par de multiples oeuvres littéraires et artistiques au fil des siècles.

Aucun non-Suisse n’apprendra à un Suisse ce qu’il faut sentir et aimer de son pays. Vous venez, vous admirez et vous repartez dire chez vous : Ah ! Les lacs suisses sont beaux ! Vous ne pouvez pas faire découvrir aux Suisses eux-mêmes ce que sont leurs paysages, leur géographie, leurs saisons et ainsi de suite. Leurs poètes, leurs artistes les ont sublimés depuis longtemps. Les enfants sont éduqués à percevoir cela.
Cela veut dire quoi ?
Que les Suisses ont le titre foncier de leur pays !
J’ajoute : dans leurs langues maternelles.

En octobre et novembre 1884 (il y a 135 ans), au tout début du protectorat allemand sur la côte de ce qui deviendra notre Togo, un journaliste allemand du nom de Hugo Zöller parcourt notre littoral et décrit ce qu’il y voit. C’est la première véritable description littérairement proche de mes intentions de ce que je nomme Avant Accra, après Cotonou, cet espace géographique qui nous habite et que nous habitons, ce petit morceau de la planète auquel vous vous référez où que vous soyez quand on vous demande : d’où venez-vous ?

Nous n’avons aucun héritage écrit lointain au sujet de notre Togo, ce cadre physique où nos ancêtres se sont succédé au fil des siècles. C’était comment avant le passage et le regard des premiers voyageurs européens ? Comprenez-vous pourquoi quelques États européens ont pu conquérir entièrement l’Afrique à la fin du XIXè siècle ? Ce n’est pas seulement une question de supériorité relative sur le plan des armes et de l’organisation socio-politique. Non. Sur cette terre, parmi les hommes tels qu’ils sont, il ne suffit pas d’être dans un lieu pour en être le propriétaire sûr et assuré ; il vous faut nommer ce lieu. Le (re)créer avec des mots. Le remplir de mots. Occuper le terrain. Ne laisser à autrui aucune possibilité de discours gagnants sur vous, votre lieu de vie, vos mœurs et habitudes. L’autre ne doit pas pouvoir vous dire avec assurance et autorité. Il vous faut énoncer à vous-même ce que vous êtes à vos propres yeux, ce qu’est votre lieu de vie dans votre âme. Par écrit.
L’ouvrage de Hugo Zöller que j’évoque est très instructif. Il est très précieux de signification pour nous, Togolais. Ce n’est pas qu’une simple description de ce qu’il voit. Avec cet ouvrage, pour la première fois, une topographie de l’espace côtier jusqu’au-delà du Lac Togo (qui lui doit ce nom – en allemand Togo-See) est plus qu’esquissée. La carte du territoire. La chose et la représentation graphique de la chose. Les descriptions de Hugo Zöller sont topographiques, mais aussi culturelles, historiques, paysagères, climatiques, etc. Mesdames, messieurs, c’est une saisie mentale de l’autre.

Puisque nous maîtrisons l’écriture désormais, nous devons écrire l’Afrique. Nos Afriques. Nous devons dire à nous-mêmes comment nos lieux et nos paysages sont à nos propres yeux, à notre propre âme, et comment nous y vivons au fil du temps qui s’écoule. C’est ainsi que nous créons le pays et que nous le transmettons à ceux qui nous suivent. C’est ainsi que nous empêchons, que nous interdisons à quiconque venu d’ailleurs de nous dire ce qu’est notre propre pays.

J’arrive presque à la fin de mon propos.

J’ai défini en creux les mots essentiels du sujet posé en y répondant, je crois. Je voudrais reprendre cela explicitement : Statut veut dire position, situation d’une chose ou d’un être dans un cadre ou un contexte donné. Fonction signifie : rôle. J’ajoute : rôle non assigné mais aptitude irrésistible et intrinsèque de la littérature à accomplir sa vocation quelles que soient les intentions des hommes. Et est littérature un énoncé dont la raison première ou le motif gagnant si j’ose dire n’est pas utilitaire mais de l’ordre de la sensibilité. Ne nous fatiguons pas : ce qui n’est pas littérature est destiné à l’oubli. Question de temps. Il y a quelque chose dans la création artistique qui, le cas échéant, existe malgré ou contre l’artiste lui-même. Quand il y a art, sa vérité est autonome et distincte de celles des hommes.

Observez bien, s’il vous plaît, où je me situe exactement. (Je poursuis ainsi la définition de la littérature que je viens de donner.) Je ne me tiens pas à côté de la table de travail de l’écrivain pour lui dire : « écris ceci et vise tel objectif ». De quel droit ? Non. Je suis en 2060, assis dans une bibliothèque où sont rassemblées les œuvres, toutes les œuvres littéraires produites par des Togolais en un siècle d’"indépendance" (c’est dans quarante ans !) et je dis de cette littérature centenaire : voilà notre avènement et notre présence au monde en tant que Togolais. Un siècle de littérature togolaise ! (Donc, tout à l’heure, lorsque j’osais affirmer que je voulais créer le Togo, j’entendais par là non pas moi, individu, mais l’écrivain en moi, le principe littéraire à travers moi, et à travers vous, autres auteurs togolais !) Comme partout ailleurs, nous créons nous aussi une littérature au Togo qui, en même temps, nous crée. L’homme construit sa maison qui, en même temps, l’humanise en l’arrachant à une vie fruste comme celle d’une bête dans la nature. L’humain vit dans ce qu’il a créé, ai-je dit. Il se crée lui-même. C’est tout à la fois sa force et sa faiblesse inouïes.

Bref, en un mot comme en mille : la littérature fonde l’humanité – permettez-moi cette grandiloquence. Les œuvres artistiques d’une manière générale. C’est cela leur statut et leur fonction intrinsèques, quasi indépendants de vous et moi.


III


Malgré toutes ces phrases catégoriques que j’ai énoncées, en commençant mon propos, je n’ai pas pensé une seconde que je viderais en quelque sorte ce sujet, bien entendu. Il y a encore beaucoup à en dire si nous resserrons notre réflexion sur le quatrième mot que je n’ai pas oublié : Afrique. Notre chère Afrique.
– Il y a la question inévitable des langues africaines – la littérature, c’est la langue. Elle n’est pas subsidiaire du tout, mais au cœur du sujet. Elle décide de l’effectivité en Afrique dudit statut et de ladite fonction qui nous préoccupent. Puisque j’écris en français, mon descendant direct dans un siècle, pour pouvoir me lire dans le texte original, doit être pleinement locuteur de la langue française. Cela me perturbe et m’empêche d’avoir une vue claire et lisible de ma postérité. J’ai le sentiment de travailler pour le compte d’autrui. C’est une question que nous devons clairement et ouvertement nous poser.
- Il y a aussi que, comme le franc CFA, nous déposons la presque totalité de nos avoirs littéraires – les droits d’auteur, donc les retombées financières de notre créativité littéraire – dans les coffres de l’Occident puisque nous utilisons leurs langues et leurs infrastructures performantes. C’est payant. Cash. Et cher. Le talent littéraire africain n’enrichit pas l’Afrique. C’est un comble puisque l’Afrique est sans cesse notre matière, notre matériau !

- Pire, il découle d’une telle situation concrète une (je souligne) corruption de l’esprit, une falsification tragique de presque toutes nos aventures littéraires africaines en vérité puisque, de facto, nous demandons ainsi sans cesse insidieusement une autorisation pour créer, sentir et penser. Si ! On capture ainsi, avec notre plein accord enthousiaste et joyeux, notre droit et notre liberté de nommer et de créer l’Afrique… Or, je viens juste de vous dire que c’est ce qu’il faut précisément accomplir.

Un tout dernier mot.

Si vous acceptez et admettez tout ce que je viens de vous dire, vous serez logiquement d’accord avec moi que la littérature, pour une communauté d’humains, est une affaire… régalienne (réitération de son statut). Puisqu’il s’agit de notre existence commune.
Cela veut dire que :
1) Organiser un champ littéraire national, c’est organiser la vie. C’est ni plus ni moins entreprendre une œuvre d’équipement et d’aguerrissement du soi collectif.
2) Cette foire du livre de Lomé qui nous réunit cette semaine, cette sympathique Fi2L, troisième édition, est donc une affaire vitale et régalienne. Pas que la Fi2L, mais toutes les autres composantes du champ littéraire en création au Togo (maisons d’édition, médias culturels, festivals…) !

Par conséquent, en tant que domaine régalien – même à notre échelle togolaise minuscule, fragile, modeste, naissante –, nous devons veiller à protéger l’autonomie de ce que nous faisons ainsi ensemble. Tout simplement parce que, penser et sentir (autre définition de la fonction de la littérature), c’est penser et sentir vrai et véritablement, et non sous influence.

Je vous remercie de m’avoir écouté".
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