C’est peut-être redondant de le dire, mais c’est une constance que les
peuples burkinabé et togolais sont confrontés à un même défi. Au pays
des « Hommes intègres », l’opposition s’est levée tôt et entreprend la
lutte pour ne pas être surprise au dernier moment. Et chaque jour que
Dieu fait, elle donne à sa pendante togolaise des pistes à explorer. La
dernière, c’est l’exigence de la procuration aux représentants du parti
au pouvoir lors des discussions entamées sous l’égide du médiateur
Jean-Baptiste Ouédraogo.
L’opposition burkinabé exige une procuration signée de Blaise Compaoré
Décidément, il aura fort à faire avec
ses contradicteurs, Blaise Compaoré. Non seulement ils sont gonflés à
bloc, mais en plus ils optent pour des stratégies assez pensées. En
ouverture des discussions entre le parti au pouvoir et l’opposition
autour de la problématique de la présidentielle de 2015, avec évidemment
en première ligne la question de la modification de la Constitution et
de la candidature de Blaise Compaoré, l’opposition a exigé le lundi 10
février dernier des émissaires du président une procuration dûment
signée de sa part les mandatant à discuter et éventuellement prendre des
engagements en son nom. «En préalable aux négociations, l’Opposition
a exigé que la majorité présente un mandat du Président du Faso
l’investissant du pouvoir de négocier », indique un communiqué.
En réponse à cette exigence, la majorité
conduite par le Secrétaire exécutif national du parti au pouvoir,
Assimi Kouanda, a estimé d’une part, que sa délégation était conforme à
la lettre d’invitation de la médiation adressée aux partis de la
majorité présidentielle et d’autre part, qu’elle n’avait pas besoin d’un
mandat du président pour discuter avec l’opposition dans le cadre de
cette médiation. Les deux parties ne sont pas arrivées à s’accorder sur
ce préalable, mais le groupe des médiateurs conduit par l’ancien
président Jean-Baptiste Ouédraogo a sollicité la confiance des deux
délégations en leur assurant qu’il prendrait à court terme les
initiatives nécessaires à la validation et à l’application des résultats
auxquels parviendrait la médiation.
C’est assez original, cette formule de
l’opposition burkinabé. Chat échaudé craint l’eau froide, dit-on. C’est
juste un garde-fou, une façon pour l’opposition d’éviter de s’entendre
dire plus tard par Blaise Compaoré que les engagements pris par ses
émissaires ne l’obligent en rien.
Un cas d’école pour l’opposition togolaise
C’est une évidence, et on l’a dit
plusieurs fois déjà, les oppositions burkinabé et togolaise, pour ne pas
dire les deux peuples mènent le même combat : faire entendre raison aux
deux hommes au pouvoir dans leurs pays respectifs à ne pas briguer un
mandat de plus en 2015. Ils sont peut-être appelés à utiliser les mêmes
armes politiques : pressions de la rue, mais surtout dialogue et
engagement des occupants actuels des palais de Kosyam et de la Marina.
Au pays des « Hommes intègres », on a déjà commencé. L’opposition
traditionnelle, les démissionnaires du parti au pouvoir, la société
civile, adoubés par le peuple ont formé un front commun contre Blaise
Compaoré qu’ils tiennent désormais par les couilles. Les concertations
nécessaires à une solution pacifique à la crise ont déjà commencé, sous
la conduite d’un ancien président de la République, sur les questions
d’enjeu.
Même si pour l’instant aucun nuage ne
zèbre le ciel, on y arrivera forcément au Togo aussi, avec le sujet des
réformes constitutionnelles et institutionnelles et la question de la
candidature de Faure Gnassingbé. En tout cas, ça commence à bouger du
côté de l’opposition, dans la perspective de l’élection présidentielle
de 2015. La Coalition Arc-en-ciel, pour être plus forte dans cette
perspective, a enregistré l’adhésion du parti Santé du Peuple.
L’Alliance nationale pour le changement (Anc) est en tournée nationale
depuis ce samedi. Plusieurs localités des Lacs et de Vo ont été
visitées, et à chaque étape, la délégation a insisté sur l’urgence des
réformes de l’Apg et appelé les populations à la mobilisation et à la
vigilance afin d’arracher l’alternance en 2015. Les sources assurent que
son président, Jean-Pierre Fabre a saisi Faure Gnassingbé de l’urgence
des concertations politiques. Du côté de l’Organisation pour bâtir dans
l’union un Togo solidaire (Obuts), on continue de crier au dialogue. Des
discussions politiques, il y en aura forcément. Et c’est ici que la
clairvoyance de l’opposition togolaise est requise. Pourquoi pas
s’inspirer de la sagacité de son homologue burkinabé ?
L’intelligence recommande de tricher
chez l’autre ce qui a réussi. D’habitude, c’est le pouvoir togolais qui
gruge toujours ses interlocuteurs d’en face. A part les manœuvres
dilatoires souvent multipliées pour faire perdre du temps lors des
discussions, ce sont des concessions minimales qui sont faites au
dernier moment, mais que le régime foule toujours au pied quand il
s’agit de l’application des accords. C’est ici que l’opposition
togolaise, au-delà des divisions internes, devra s’inspirer de la
clairvoyance de son homologue burkinabé, poser des garde-fous, exiger
des engagements formels de Faure Gnassingbé pour ne pas être grugée à la
fin, comme toujours. Des 22 engagements à l’Accord politique global
(Apg) en passant par l’Accord cadre de Lomé et autres, les nombreux
accords politiques signés entre le pouvoir des Gnassingbé et
l’opposition ont toujours souffert de leur mise en exécution, à cause de
la mauvaise foi du régime. On se rappelle qu’ à un moment donné, la
polémique fut entretenue autour de l’application du fameux accord
Rpt-Ufc du 26 mai 2010. L’argument était que ce n’était pas Faure
Gnassingbé en personne qui avait apposé sa signature au bas du document,
mais Solitoki Esso ; donc que les promesses faites ne l’engageaient pas
tellement. Une manœuvre à l’époque juste pour justifier la non
application de l’accord. Si le pouvoir est sans doute le premier à
blâmer lorsqu’il s’agit de l’application des compromis politiques, le
manque de sagacité des contradicteurs lors des dialogues en est
peut-être aussi pour quelque chose dans l’échec. Il faudra pour une
fois, pour l’opposition togolaise, éviter de tomber dans le piège du
pouvoir.
Tino Kossi