La vie semble se dérouler normalement à Bissau, capitale de la Guinée-Bissau, pour l’étranger qui foule pour la première fois ce pays. Pourtant, les Bissau-Guinéens vivent une situation des plus incommodantes qu’ils font l’effort d’ignorer pour continuer à vaquer à leurs occupations quotidiennes. Il s’agit de la crise post-électorale dans laquelle ce pays est plongé depuis la fin du second tour des élections présidentielles tenues le 29 décembre dernier. Scrutin qui a opposé deux anciens Premiers ministres, Domingos Simoes Pereira et Umaro Sissoco Embalo.
Ce dernier a été proclamé vainqueur par la Commission nationale électorale au terme d’un processus qui s’est terminé dans le cafouillage. Toute chose qui a poussé son adversaire à déposer un recours devant la Cour suprême, la plus haute juridiction du pays faisant office de Conseil constitutionnel, et donc d’arbitre des élections.
Griefs vs jubilation
En effet, à écouter le camp Domingos Simoes Pereira dit ‘’DSP’’, le dépouillement des suffrages n’a pas suivi les procédures normales, alors que jusqu’alors tout le processus s’est déroulé dans une totale transparence. Les dirigeants du Parti africain pour l’indépendance de la Guinée-Bissau et du Cap-Vert (Paigc) dénoncent l’attitude du président de la CNE, lequel aurait proclamé « de manière unilatérale », selon eux. « Le président de la CNE a disparu alors que les dépouillements étaient en cours. On n’avait plus de nouvelle de lui. Ses portables étaient fermés. On entend dire que des hommes en armes sont allés le chercher, et qu’il était chez le chef d’état-major. Plus tard, on apprend qu’il est dans un camp militaire. Puis, trois jours après, il réapparait, et tout pressé, il refuse d’écouter tout le monde, y compris les membres de la Commission. Puis, dans la précipitation, il annonce les résultats ».
Ces résultats, dénoncent DSP et ses partisans, le président de la CNE les aura proclamés de façon globale sans donner les statistiques des dépouillements sur l’ensemble du territoire. Ce qui ne permet pas d’attester de la vérité des urnes sorties de chaque région et dont les procès verbaux (Pv) rassemblés font foi.
De leur côté, les hommes de Umaro Sissoco, en déplacement à l’extérieur, au moment de notre passage au siège de son parti, jubilent déjà de leur victoire. Une victoire sans euphorie dont ils n’attendent confirmation que si la Cour suprême autorise l’Assemblée nationale – comme c’est le cas dans ce pays – à procéder à l’investiture du nouveau président. Une attente déçue malheureusement pour eux, par la haute juridiction.
La Cour suprême, maîtresse du jeu
En effet, alors que la veille, un communiqué de la Cedeao saluait le nouvel élu et demandait aux institutions habilitées de procéder à son investiture, coup de tonnerre, ce vendredi 24 janvier 2020. La Cour suprême, en maîtresse du jeu et sous un ton menaçant, rend une décision et enjoint fermement à la CNE de procéder à un recomptage des voix dans l’immédiat, brandissant une « poursuite pénale » contre les membres de cet organe. Dans une première décision qui n’avait pas été suivi d’effet, cette Cour avait déjà réclamé les procès verbaux sur la base desquels la CNE avait proclamé les résultats du scrutin pour vérification. Ce qui ne fut pas fait. Bien au contraire, l’organe en charge de l’organisation des élections, estimant que ce sont des considérations subsidiaires, a préféré plutôt donner les résultats définitifs obtenus, déclarant Umaro Sissoco élu avec 53,45% voix contre 46,65% pour Domingos Pereira.
Cette façon de procéder, alors que c’est la Cour suprême qui est habilitée à valider les résultats avant proclamation par la CNE, est perçue comme un passage en force du président dudit organe en faveur de l’un des candidats. José Pedro Sambú est soupçonné d’avoir été séquestré par des hommes en armes et corrompu pour inverser les résultats au profit du candidat du Madem soutenu au second tour par le président sortant, José Manuel Vals (Jomav) éliminé, lui, au premier tour. Jomav aurait ainsi ourdi un plan machiavélique pour donner un coup de pouce à son poulain contre DSP, son ancien camarade de parti devenu son plus farouche adversaire.
Le Sénégal indexé, Jomav encore au Palais
Dans la foulée, le Sénégal de Macky Sall est sérieusement mis à l’indexe par une partie des populations à Bissau. Celles-ci soupçonnent et déplorent un coup de main du président sénégalais à celui qui ne se cache pas à le présenter comme son parrain. Alors que le contentieux sur les élections n’est pas encore soldé, Dakar est le premier territoire à dérouler le tapis rouge à Umaro Embalo. Un empressement qui fait dire dans la capitale bissau-guinéen que Macky Sall veut mettre son poulain pour contrôler le pays.
Certaines langues vont même plus loin pour parler de la découverte de 7 puis de pétrole qui devrait changer la vie des 1,8 millions d’habitants que compte la Guinée-Bissau. Territoire aux 84 îles dont seulement une vingtaine est habitée.
Du côté du Sénégal, on parle de nécessité de contrôle de la Guinée-Bissau tout comme de la Gambie pour raison de sécurité. Car, ces territoires abritent des niches des rebelles casamançais pourchassés par l’armée sénégalaise.
Finalement, la Cedeao, contrariée et prise de cours par la Cour suprême du pays, a décidé de repartir aux nouvelles. Ce jeudi 30 janvier 2020, une délégation d’émissaires du président Issouffou Mahamadou est attendue à Bissau. Pendant ce temps, c’est la veillée d’armes dans les deux camps adverses. Un calme précaire règne dans le pays dirigé présentement par le Premier ministre issu de la majorité (Paigc), Aristides Gomes, quand Jomav, lui, attend le dénouement de ce contentieux pour quitter le Palais de la présidence au cœur de la ville qu’il continue d’occuper, serein.