Pour le Franco-Togolais Kofi Yamgnane, ex-élu breton, l'élection présidentielle de samedi est jouée d'avance.
Ancien secrétaire d’Etat aux Affaires sociales et à l’Intégration sous François Mitterrand, Kofi Yamgnane, 74 ans, continue de suivre avec attention la vie politique togolaise. Après avoir été écarté de l’élection présidentielle en 2010 – la Cour constitutionnelle a rejeté sa candidature pour un doute sur sa date de naissance –, il se dit aujourd’hui «en réserve» et attend que les «conditions soient réunies» pour envisager un retour dans son pays natal. Depuis Concarneau, il commente «avec pessimisme», prévient-il, l’élection présidentielle prévue ce week-end.
Quelle crédibilité accorder au scrutin de samedi ?
Aucune. Eyadema Gnassingbé, le père de Faure, avait fait modifier la Constitution un 31 décembre [en 2002, ndlr] à minuit, en plein réveillon, pour faire sauter la limite du nombre de mandats et rester au pouvoir jusqu’à la mort. Puis son fils a pris la suite sans crier gare. Il se vante d’être instruit, diplômé, j’ai cru pendant un moment qu’il allait faire autre chose que son père… Il fait pire, et lui n’a pas l’excuse du manque d’éducation.
Avec la réforme constitutionnelle de l’an dernier, un deuxième tour de scrutin a été introduit. Mais je suis persuadé qu’il n’y aura qu’un seul tour. Faure va être proclamé gagnant avec environ 60% des voix et ce sera terminé. Evidemment, il y aura du bourrage d’urnes et des achats de voix. La nuit du vendredi au samedi, l’argent va couler dans tous les villages, les opposants recevront leur part également, et il n’y aura personne pour contrôler. La Commission électorale nationale indépendante (Céni) est un instrument aux mains du régime : l’opposition a fait une erreur en refusant d’y siéger.
Elle part une nouvelle fois désunie. Que s’est-il passé ?
Tout le monde comprend aisément qu’avec six candidats d’opposition, ils ne peuvent pas gagner. Cette fois, ils pensent avoir une excuse : il y a deux tours, donc ils se disent que le second tour sera celui de la réunion. Ce genre de raisonnement tient dans des pays démocratiques, pas au Togo. D’abord, il n’y aura pas de second tour. Ensuite, dans le cas hautement improbable où il surviendrait, ils seront incapables de s’aligner, essentiellement pour des raisons d’ego et de méfiance réciproque. Celui arrivé en troisième position dira que c’est Faure qui a placé l’autre devant, et il n’y aura pas de désistement. Le pouvoir le sait très bien.
Le Parti national panafricain (PNP), qui avait fait trembler le gouvernement en 2017, appelle au boycott du scrutin. Est-il en mesure de relancer un mouvement de protestation massif ?
Le pouvoir a désigné le Parti national panafricain non pas comme un adversaire politique mais comme un ennemi. Le régime, essentiellement contrôle par les Kabyés, a décidé que l’ethnie Tem, à laquelle appartient Tikpi Atchadam, le leader du PNP, devait être combattue. A Sokodé, en pays Tem, vous voyez des maisons détruites par les mitrailleuses, beaucoup de villageois ont fui dans les pays voisins. Ceux qui restent craignent la répression.
Par ailleurs, les autres opposants ne s’aligneront jamais derrière Tikpi Atchadam. D’abord car il est un nouveau venu dans le jeu politique, ensuite parce qu’est un homme du Nord. Les partis traditionnels d’opposition dirigés par les Ewé, c’est-à-dire des gens du Sud, n’appelleront jamais à rejoindre un Tem du Nord. Cette division régionale, qui date du temps de la colonisation, a été instrumentalisée par les Gnassingbé.
Les Blancs sont venus par la mer : ils ont «civilisé» en premier les habitants du Sud. A l’indépendance, tous les hauts fonctionnaires étaient du Sud. Il n’y avait pas de cadres formés au Nord. Eyadema [Gnassingbé], en prenant le pouvoir, a renversé la situation. En particulier dans l’armée, où il a placé des gens du Nord, et de sa propre ethnie. Il s’est servi de cette division pour conserver le pouvoir, en jouant sur le sentiment de menace que représenterait ce «Sud revanchard», bien plus peuplé que le Nord.