L’économiste togolais Kako Nubukpo esquisse le scénario d’une sortie de crise par le haut pour le continent, à rebours des thèses les plus pessimistes.
J’appelle toutes les bonnes volontés, les forces vives de nos pays, à rejoindre le débat, nous éclairer de leurs réflexions, de leurs talents, de leurs propositions. Il nous faut nous fixer un cap. Une autre Afrique est possible et ce n’est pas seulement une utopie. L’histoire nous regarde…
La pandémie due au coronavirus (Covid-19) fait basculer le continent dans une rupture systémique dont nous n’appréhendons pas encore pleinement l’ampleur. A court terme, les arbitrages s’annoncent douloureux entre la préservation de la santé des populations, qui nécessite un confinement strict, et le maintien d’un fort dynamisme économique, incompatible avec un confinement durable de populations très peu salariées et généralement sans filet de protection économique et sociale de la part des pouvoirs publics.
A moyen terme se posera la question des transformations structurelles à mettre en œuvre au sein de l’espace économique africain, afin d’augmenter la résilience économique et sociale des populations, tant du côté de la demande sociale en matière de santé, d’éducation, de formation et d’emplois ; que du côté de l’offre en biens et services, supposant la hausse des capacités productives dans leur ensemble.
Dans ce contexte de crise planétaire, les piliers paradigmatiques de la mondialisation, à savoir le néolibéralisme, héritier de la doctrine classique du « laisser-faire, laissez-passer », sont remis en cause. Les Etats appliquent la fermeture drastique de leurs frontières aériennes et terrestres, même s’ils sont moins regardants sur les frontières maritimes, sachant que 90 % des échanges mondiaux passent par les océans. Il faut que le commerce des biens se poursuive, notamment pour pouvoir transporter les matières premières d’Afrique vers le reste du monde. Pour ce qui est de la circulation des personnes, il en va autrement et il y a fort à parier que les frontières ne rouvriront pas de sitôt, dans un contexte de peur accrue en Occident, de vagues migratoires en provenance d’Afrique.
Toute crise, aussi dramatique soit-elle, peut néanmoins receler des opportunités à saisir afin de «coconstruire» une mondialisation plus équitable et écologiquement viable. Et le continent africain devrait participer à ce nouveau monde dont les prolégomènes se dessinent sous nos yeux. A cet égard, trois urgences méritent d’être prises en considération, de la plus factuelle à la plus conceptuelle.
Amortir le choc d’abord
Il y a d’abord urgence à évaluer l’impact du double choc de l’offre et de la demande qui constitue à l’heure actuelle, la conséquence la plus tangible du Covid-19, sur les budgets. En effet, il y a rupture des chaînes d’approvisionnement, depuis la chute de production chinoise et ses effets sur toutes les chaînes logistiques mondiales. Les ports africains et toutes les chaînes d’approvisionnement macro, méso et microéconomiques seront forcément affectés par ce choc d’offre négatif. En termes de choc de demande, c’est l’impact de la chute de la demande mondiale en matières premières, celle du tourisme et celle, donc, des revenus des agents économiques qu’il faudra évaluer.
De même, la hausse prévisible des dépenses sociales et celle, exponentielle, des dépenses de santé devraient certainement conduire à réévaluer les ressources financières consacrées au développement humain, dans un souci de prise en compte effective des principes fondamentaux d’équité, d’inclusion et de durabilité, conformément aux objectifs du développement durable (ODD).
Rien ne serait pire que de privilégier les mesures de renforcement de la demande, à l’instar des transferts de fonds aux ménages, au détriment de l’accroissement des capacités de production et d’approvisionnement internes en biens et services. Si une telle articulation n’était pas effectuée, on aurait une hausse générale des prix liée à l’excès de la demande sur l’offre, à moins d’envisager parallèlement une hausse massive des importations de biens et services, dont le principal intérêt serait de relancer les économies occidentales et orientales en déficit de demande intérieure.
Penser la relance
La deuxième urgence consiste à orienter et amplifier les politiques économiques africaines (budgétaire et monétaire) dans le sens d’un accroissement structurel des capacités d’offre de biens et services de première nécessité, en lieu et place des politiques malthusiennes prônées par le FMI (Fonds monétaire international) et la Banque mondiale dans le cadre de l’ajustement structurel.
En effet, au lieu d’accompagner la dynamique de demande des économies africaines, pouvant susciter des investissements productifs pour y faire face, les institutions de Bretton Woods, au motif de la mauvaise gouvernance des Etats africains, ont préféré infliger à ces derniers, une sérieuse cure d’austérité budgétaire à partir du début des années 1980, dans le cadre des programmes d’ajustement structurels (PAS), dont l’échec patent est aujourd’hui illustré par les multiples carences identifiées en matière de prise en charge sanitaire idoine pour faire face à la pandémie due au coronavirus, tant en termes de capacité d’accueil que du point de vue de l’efficacité des soins.
Vers une Afrique équitable et durable
Enfin, le continent africain devrait s’atteler d’urgence à construire un paradigme endogène de développement, fondé sur la promotion d’une économie de proximité illustrée par les circuits courts, particulièrement adaptés à des mesures de confinement des populations, d’une économie sobre en carbone, afin de ne pas alimenter le réchauffement climatique dont il n’est absolument pas responsable, et enfin d’une économie solidaire fondée sur l’exigence de redistribution du surplus économique.