Le chanteur d'Aline et des Mots bleus s'est éteint à l'âge de 74 ans, dans la nuit du 16 au 17 avril, victime de complications liées à une maladie pulmonaire. Dandy solitaire et altier, noctambule aventureux et créatif, il a connu autant le succès populaire que l'éclat d'une exploration avant-gardiste.
Il ne vivait que la nuit. Et pas de dérogation pour les journalistes rencontrés. Un entretien avec lui s'apparentait à un échange cosmique, volubile, décalé, subliment déroutant et profondément empathique. Ni limite horaire, ni déroulé cadré. Mais des mots qui s'échappaient d'un phrasé en saccades, des histoires courtes, des digressions lunaires, des silences, des blagues cryptées.
Christophe avait les postures et le mystère d'un personnage "lynchien". Parfois, il invitait son interlocuteur à poursuivre la conversation dans son antre. Dedans, il y avait installé son studio dans une grande pièce ogivale, ouverte sur les passants et les lumières du boulevard du Montparnasse. Ce qui frappait au sein de son intérieur, c'était la profusion de photos (dont beaucoup de David Bowie), synthés, guitares, juke-boxes, objets anciens. Miroir d'un esprit de collectionneur.
Si les disques de Christophe ne déchiraient plus les hit-parades, le dandy désinvolte dégommait la couverture médiatique, encensé autant par la presse généraliste que spécialisée. Lui le crooner yéyé (il apparaît sur "La photo du siècle" regroupant 46 artistes dans le magazine Salut les copains en 1966) avait muté en artiste branché-underground depuis plus de deux décennies.
Chercheur de sons
Attiré par les sirènes de l'inconnu à partir de l'album Bevilacqua (1996), Christophe s'est armé pour succomber à leurs appels. Une fascination pour les expérimentations les plus échevelées qui n'a alors cessé de prolonger l'état de grâce de sa renaissance créatrice. Plutôt que chanteur ou musicien, il se définissait comme chercheur de sons et causait de ses disques à la manière d'un réalisateur de films.
Le cinéma était une autre passion, entamée dès l'adolescence en fantasmant sur les traits de Gloria Swanson et de l'American way of life et qui s'est poursuivie au rythme d'un film avalé quotidiennement au petit matin. Cinéphile donc, joueur de poker averti, amateur de voitures (jusqu'à son retrait de permis en 2000). Un parcours aventureux et que la logique commande de scinder en deux : celui d'interprète de tubes de la chanson, celui d'explorateur.
Lors de ses tournées, il attaquait d'ailleurs les nouveaux morceaux à la file avant de piocher dans sa malle universelle et réinventée en adéquation avec sa conception spatio-temporelle de la musique. Une manière d'accorder un passé recomposé à un présent radieux, parce qu'il y a cinquante-cinq ans, Daniel Belivacqua - son vrai nom au civil - criait Aline, construisait des Marionnettes, et faisait fondre les jeunes filles en fleurs avec sa belle gueule de rital blondinet.
La séduction tenace est tenace la décennie suivante à travers le romantisme déchirant des Paradis perdus (repris par Christine and the Queens en injectant le Heartless de Kanye West sur le refrain) et des toujours lisibles Mots bleus, deux chansons dont le texte a été écrit par Jean-Michel Jarre.
Les années 80 se conjuguent entre bluette triomphale (Succès fou), titre en yaourt (Voix sans issue), composition d'un tube pour Corinne Charby (Boule de flipper), fulgurance (Je l'ai pas touchée) et retrait. Stand-by aussi pour la scène de 1976 à 2002. Christophe, minutieux et perfectionniste, ne s'encombre plus à se presser.
Audaces artistiques
Obsédé par les claviers, l'art du découpage et la quête du vertige, il stocke bouts de texte, collages vocaux et sons. Puis, il laisse sept ans s'écouler entre Comme si la terre penchait et Aimer ce que nous sommes (2008). Ce disque-là, follement audacieux, plein de nappes de synthés, noctambule, cinématographique, ne peut qu'ordonner révérence. La voix semble sortir d'un rêve vaporeux et l'homme a la notion de casting, capable de réunir dans le même élan, la star Isabelle Adjani, la comédienne Sara Forestier, le magnat de la presse Daniel Filipacci, l'artiste électro Murcof ou le batteur du groupe Vanilla Fudge.
Même dynamique, juste entrecoupée d'un album acoustique-live interprété majoritairement au piano (Intime), en 2016 pour Les vestiges du chaos.... suite de l'article sur RFI