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Présentation de la 3e édition du Forum de Paris sur la paix (Allocution de Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des Affaires étrangères Paris, 29 avril 2020)

Publié le vendredi 1 mai 2020  |  Diplomatie francaise
Coopération
© aLome.com par Marc-Innocent
Coopération France - Afrique: Ouverture des Rencontres Africa
Abidjan le 02 Octobre 2017. Le Vice-Président Ivoirien, Daniel Kablan Duncan, a ouvert les travaux des Rencontres Africa ce jour à Sofitel Hôtel Ivoire en présence de Jean-Yves Le Drian, Ministre de l`Europe, et des Affaires Etrangères de France.
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Mesdames les Ambassadrices, Messieurs les Ambassadeurs,

La crise que nous traversons actuellement me frappe par son caractère tout à la fois inédit et profondément symptomatique. Sa singularité tient, évidemment, à son extrême gravité et à l’ampleur de ses conséquences, dans tous les domaines.

En quelques mois, le Covid-19 a touché et continue à toucher des millions de personnes. Il a bouleversé nos vies. Les liaisons internationales sont aujourd’hui quasiment à l’arrêt. Jamais notre génération n’avait connu pareille épreuve. Jamais, dans l’histoire récente, nous n’avions été confrontés à un choc si brutal et si massif. Tant et si bien que ce moment pourrait marquer la fin d’une époque.

C’est, du moins, ce qu’avancent certains commentateurs. Je crois plutôt, pour ma part, que cette crise agit en réalité comme un formidable révélateur : à bien y regarder, elle met à jour la nature des défis et la force des périls auxquels la communauté internationale doit faire face depuis de nombreuses années et qui demeureront, demain, des tendances lourdes avec lesquelles nous devrons continuer à composer.

Ce que révèle la crise du Coronavirus, c’est donc d’abord, sous une forme pour ainsi dire ramassée et exacerbée, la nature des défis internationaux du XXIème siècle.

Ces défis ont ceci de commun qu’ils se jouent des frontières et n’épargnent aucun pays : le dérèglement climatique et l’érosion de la biodiversité, sur le plan environnemental ; les inégalités mondiales, sur le plan du développement ; l’émergence d’un terrorisme mondialisé, sur le plan sécuritaire ; la révolution numérique, sur le plan technologique. Face à ces défis, le bon sens plaide pour des réponses collectives et concertés.

Ces défis nous concernent tous. Ils nous touchent, d’ordinaire, selon des temporalités distinctes et à des degrés divers, au point que certains en méconnaissent la portée globale et tournent le dos à leurs responsabilités. La propagation soudaine du Covid-19 ne laisse, cette fois, place à aucune ambiguïté : comme les animaux de la fable de La Fontaine, nous sommes «tous frappés», sur tous les continents et, à quelques semaines près, au même moment.

Si bien que le salut ne peut venir que des efforts que nous saurons mener ensemble pour combattre le virus. Face à lui, nous sommes tous dans le même camp. Car pas un de nous ne pourra se considérer à l’abri tant que la pandémie ne sera pas maîtrisée. La santé de chacun dépend de la santé de tous. C’est pourquoi cette crise nous rappelle les trois impératifs qui devraient toujours nous guider face aux défis mondiaux d’aujourd’hui :

l’impératif de coordination d’abord, le « chacun pour soi » ne pouvant conduire qu’à l’impuissance collective ;
l’impératif de coopération ensuite – l’union fait la force, nous l’avons encore vérifié à chaque fois que nous avons pu compter les uns sur les autres pour aider au retour de nos ressortissants ou acheminer du matériel sanitaire ;
l’impératif de solidarité enfin, puisque nous ne disposons pas tous des mêmes ressources pour faire face à la crise. Il est essentiel que la communauté internationale soutienne les pays les plus vulnérables, notamment ceux d’Afrique. Vous le savez, c’est une priorité de la France. Tout cela, non seulement parce que nous portons une vision humaniste du monde, bien sûr, mais aussi parce que nous sommes convaincus que c’est notre intérêt collectif bien compris.
Ce que révèle la crise du Coronavirus, c’est aussi les fractures qui minent l’ordre international depuis des années.

Je pense, bien sûr, à l’affirmation des logiques de puissance et à la systématisation des rapports de forces. Et nous l’avons constaté : même en pleine crise pandémique, les rivalités et les luttes d’influence se poursuivent, comme si l’heure pouvait être à la division.
Je pense également à la contestation du multilatéralisme, qui trouve aujourd’hui encore des détracteurs, contre toute logique.
À mon sens, il existe donc un risque réel de voir la crise actuelle accentuer ces fractures. De ce point de vue, le « monde d’après » pourrait bien être pire que le « monde d’avant ». C’est, en substance, ce que j’ai récemment déclaré publiquement et je voudrais aujourd’hui dissiper tout malentendu sur le sens de ces propos : ce n’est pas, pour moi, une fatalité, un simple constat de pessimisme et de renoncement. Au contraire ! C’est une invitation à la réaction collective. Car nous pouvons et, je crois, nous devons faire de cette crise un accélérateur des changements dont nous avons tous besoin.

C’est la voie que la France et l’Europe s’efforceront de tracer dans les semaines et les mois à venir. La troisième édition du Forum de Paris sera, en novembre prochain, un moment privilégié pour poursuivre collectivement cette réflexion.
Mais je souhaiterais d’ores et déjà vous indiquer quelques-unes de nos priorités, s’agissant d’une question qui nous occupe tous aujourd’hui : la question de la gouvernance sanitaire internationale.

Pour être efficace, cette gouvernance doit être multilatérale.

Elle doit s’appuyer sur l’OMS, qui joue un rôle absolument indispensable et que nous devons travailler à renforcer et à réformer. Elle doit aussi permettre une meilleure coordination de tous les acteurs de la santé mondiale.

Voici le coeur du message que je suis venu porter devant vous aujourd’hui, comme un appel à rester unis dans cette crise et à nous préparer, ensemble, à affronter les crises qui pourraient nous frapper demain.

L’OMS - je l’ai dit et je veux y insister - joue un rôle absolument indispensable.
D’abord pour une raison de bon sens : l’OMS est l’un des piliers de l’ordre multilatéral qui a été fondé au lendemain de la Seconde Guerre mondiale et elle est surtout aujourd’hui la seule organisation de santé publique universelle. Elle est donc essentielle pour affronter une pandémie, qui est, par nature, elle-même universelle.

Ensuite, les critiques dont elle a été la cible au cours des dernières semaines n’ont pas toujours fait justice à son niveau de mobilisation.

L’OMS a présenté, début février, un Plan stratégique de préparation et de réponse à l’épidémie de COVID-19, qui sert de boussole à l’ensemble des pays.
Elle a publié plus de 40 « lignes directrices » qui sont mises à jour à mesure que les connaissances sur le virus évoluent. C’est extrêmement utile car, dans le brouillard des fausses informations, il est absolument crucial de pouvoir fonder nos choix politiques sur le dernier état de la science.

Enfin, l’OMS coordonne les efforts de recherche, afin que nous puissions, ensemble, développer, produire et distribuer un traitement et un vaccin contre le Covid-19. C’est notre horizon commun et celui de la Conférence des donateurs organisée le 4 mai prochain par l’Union européenne, qui permettra de lever des fonds au cours des prochaines semaines.

C’est pourquoi, à mon sens, la communauté internationale doit aujourd’hui faire bloc autour des Nations unies et de l’OMS. La crise n’est pas dernière nous - tant s’en faut ! - et nous ne pouvons pas nous permettre le luxe d’affaiblir le seul instrument universel dont nous disposons pour y faire face. C’est une question de cohérence et de pragmatisme. Je dis bien « pragmatisme » car si la France promeut le multilatéralisme, ce n’est pas par idéologie. C’est parce que c’est une méthode qui a fait la preuve de son efficacité et qui plus que jamais est la seule pertinente pour préserver les biens publics mondiaux dont fait partie la santé avec le climat, la biodiversité, l’éducation ou bien encore la sécurité alimentaire.

Pour autant, le moment venu, il faudra nous interroger sur ce qui n’a pas suffisamment bien fonctionné et doit être amélioré, pour tirer toutes les leçons de ce que nous sommes en train de vivre afin de nous préparer aux prochaines crises sanitaires. La France a engagé une réflexion à ce sujet, autour des deux grandes priorités auxquelles je viens de faire allusion.

Il est, premièrement, indispensable de renforcer l’OMS, ce qui peut passer par un certain nombre de réformes.
Et, d’abord, dans son rôle normatif.

Le Règlement sanitaire international, dont l’OMS est garante, est un instrument juridique international qui a force obligatoire pour 196 pays dans le monde. Il a pour objet d’aider la communauté internationale à prévenir les risques graves pour la santé publique, et il a aussi pour mission de riposter face à ces menaces.
C’est donc un instrument essentiel. Il doit donc pouvoir être pleinement mis en oeuvre par les États. Or, nous ne disposons pas aujourd’hui, par rapport à ce Règlement sanitaire international, de mécanismes de vérification. Il nous faut par conséquent y réfléchir. De tels mécanismes pourraient prendre plusieurs formes : mécanismes de revue par les pairs, publicité des recommandations, inspections.

Étant entendu que d’éventuels manquements ne devraient pas rester sans conséquences. Des mesures coercitives pourraient être envisagées. Renforcer l’OMS, c’est aussi la renforcer dans son rôle d’alerte.

Il est déjà prévu que la déclaration d’une urgence de santé publique de portée internationale revienne au Directeur général de l’OMS, sur recommandation d’un comité d’experts indépendants. Mais il faut aller plus loin et donner à l’OMS les moyens de vérifier, de façon indépendante, les informations sanitaires transmises par les États.

Pour être en mesure d’agir vite, nous avons besoin de transparence et devons savoir à tout moment ce qu’il en est exactement de la situation sanitaire internationale. C’est pourquoi la France réfléchit à l’opportunité de lancer un « haut conseil mondial sur la santé humaine et animale ». Il serait chargé d’alerter les gouvernements et d’informer les sociétés, comme peut le faire le GIEC s’agissant du climat.

Nous estimons d’ailleurs - vous l’aurez compris - que la problématique de la santé humaine doit être traitée en lien avec les questions environnementales et les questions de biodiversité. Car il est illusoire de rêver à une humanité vivant en bonne santé sur une planète malade. Notre santé, la nature, la richesse de la vie animale, ce sont là des biens communs intimement liés les uns aux autres. Nous ne saurions vraiment veiller sur eux qu’en les protégeant ensemble. En oublier un revient à menacer les autres. Un seul chiffre pour s’en convaincre : selon l’OMS, 60% des nouvelles maladies infectieuses humaines sont d’origine zoonotique, c’est-à-dire animale.

Ce haut conseil permettrait également de renforcer la pleine coordination, devenue indispensable, entre les organisations internationales compétentes : l’OMS, l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), l’Organisation mondiale de la santé animale (OIE), mais aussi le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE). Il nous semble également essentiel de renforcer l’OMS dans son rôle de sensibilisation et de formation.

C’est pourquoi la France s’est engagée aux côtés de l’OMS pour la création à Lyon d’une Académie de la santé de l’OMS. Cette Académie permettra d’améliorer les compétences des personnels de l’OMS, mais aussi des responsables politiques et des praticiens de la santé.

Nous pensons, enfin, qu’il faudra examiner, le moment venu, de quelle manière l’on peut faire évoluer les modalités de financement de l’OMS. À la fois pour lui donner plus de marges de manoeuvre et, là encore, pour garantir son indépendance.

À l’heure actuelle, seul un quart de son budget est financé par des contributions obligatoires de ses États membres, le reste l’est principalement par des contributions volontaires fléchées de quelques États et de fondations privées.

Pour le dire en d’autres termes, l’OMS est aujourd’hui trop dépendante des décisions politiques des États de la soutenir ou de ne pas la soutenir. Il nous faudra réfléchir à la création de financements innovants, en alternative aux contributions volontaires. La France est prête à participer à cette réflexion.
Notre deuxième grande priorité, qui s’articule à ce premier chantier, c’est de renforcer la coordination des acteurs mondiaux de la santé : l’OMS, donc, mais aussi les organisations financières internationales, les acteurs privés et, bien sûr, les fonds multilatéraux.

Ces fonds ont montré ce que peut le multilatéralisme pour la santé des peuples :

Le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme a permis de sauver 32 millions de vies depuis sa création.

En vingt ans, Gavi, l’Alliance du Vaccin, a permis de vacciner 760 millions d’enfants.
Unitaid permet aux patients les plus vulnérables de bénéficier des traitements dont ils ont besoin. Avec, par exemple, des traitements qui permettent de prévenir la transmission mère enfant du VIH.
Et la France est très fière d’avoir toujours été aux côtés de ces acteurs de ce que j’appelle le multilatéralisme par la preuve.

Tous ces acteurs ont réagi vigoureusement à la crise que nous traversons et nous ne pouvons que nous en féliciter. Mais l’architecture d’ensemble est apparue trop morcelée et dotée de moyens insuffisants. Il est crucial que les différentes institutions travaillent mieux ensemble, dans le respect de leurs mandats et de leur valeur ajoutée. Le nombre de ces acteurs est une richesse, mais il est essentiel de veiller à leur bonne articulation pour maximiser l’intelligence collective dont ils sont porteurs.

Pour ce faire, l’OMS doit aussi être confortée dans son rôle de coordination de la réponse de l’ensemble des bailleurs. Elle devra être appuyée par les États membres qui participent également à la gouvernance de ces fonds et peser face à des partenaires aux ressources financières plus importantes, comme les fonds multilatéraux (ONUSIDA, Fonds Mondial, GAVI) ou les institutions financières internationales (Banque mondiale, FMI).

Nous devons également renforcer le plan d’action global (Global Action Plan for Healthy Lives and Well-being for All) qui réunit les douze acteurs multilatéraux de la santé mondiale autour d’engagements à mieux travailler ensemble pour atteindre en 2030, le troisième objectif de développement durable fixé par les Nations Unies . Ces engagements doivent désormais se traduire en actions concrètes, que ce soit en termes de recherche, de financements ou de solutions sur le terrain.

Pour atteindre ce troisième objectif, la coopération entre ces acteurs multilatéraux de la santé doit pouvoir aussi s’élargir à l’ensemble des acteurs de la recherche et du développement qui interviennent à titre bilatéral.


Un mot, enfin, sur la méthode.
À mon sens, la méthode multilatérale elle-même demeure le meilleur levier pour améliorer le fonctionnement des institutions multilatérales. Il n’y a, en effet, que collectivement, dans le dialogue et la coopération, que nous pourrons renforcer durablement nos instruments communs. Cela suppose de refuser trois maladies chroniques du multilatéralisme : le retrait unilatéral ; le blocage systématique ; l’instrumentalisation pour ses intérêts propres.

C’est le sens aussi de la réunion de l’Alliance pour le multilatéralisme que j’ai co-présidée avec mon homologue allemand, Heiko Maas, le 16 avril dernier et à laquelle ont participé plus d’une vingtaine d’autres pays venant de tous les continents. La déclaration que nous avons adoptée, que tous les pays attachés à l’action collective peuvent encore endosser, donne plusieurs pistes pour aller de l’avant sur les défis que je viens d’évoquer.

C’est aussi pour cette raison que le président de la République a lancé, le 24 avril, une initiative coordonnée autour de l’OMS et des grands acteurs internationaux engagés dans la réponse à la crise - les fonds verticaux (Gavi, Unitaid, Fonds mondial contre le sida, le paludisme et la tuberculose), les fondations, l’industrie pharmaceutique - sur les diagnostics, les traitements, les vaccins accessibles à tous et le renforcement des systèmes de santé nationaux.

Aujourd’hui, le plus important est, bien sûr, de parer à l’urgence. Mais, demain, nous aurons à nous saisir, ensemble de tous les problèmes de fond révélés par la crise actuelle. C’est pourquoi, comme cela a été dit tout à l’heure, le président de la République a souhaité que le Forum de Paris sur la Paix se mette au service de nos efforts pour trouver, développer et renforcer des réponses à la hauteur des enjeux. Outre la question de la gouvernance de la santé publique mondiale, que je viens d’évoquer, le Forum permettra de renforcer la mobilisation sur deux autres sujets extrêmement importants et qui lui sont liés :
La reconstruction d’une économie durable, avec un Sommet des banques de développement qui portera sur la finance climat, et la lutte contre les « infodémies », qui appellent un renforcement des efforts lancés dès la première édition du Forum pour lutter contre les manipulations de l’information.

Le multilatéralisme nouveau que nous voulons bâtir avec les Européens et avec tous nos partenaires de bonne volonté est un multilatéralisme inclusif, ouvert à tous les acteurs de la société civile internationale. Car nous sommes convaincus qu’ils portent une part significative des réponses que nous cherchons. Pour autant, nous estimons que les États n’en ont pas moins encore un rôle central à jouer. C’est la raison pour laquelle ils garderont, cette année encore, une place de premier rang au Forum de Paris, qui sera, comme toujours, ouvert par les chefs d’État et de gouvernement.

Le succès des deux précédentes éditions du Forum vous doit beaucoup, Mesdames les Ambassadrices, Messieurs les Ambassadeurs. Sans votre aide, il n’aurait pas été possible d’accueillir à Paris 65 chefs d’État et de gouvernement en 2018, et plus de 140 délégations officielles de haut niveau en 2019. Surtout, il n’aurait pas été possible de lancer ou faire vivre les grandes initiatives politiques auxquelles nombre de vos gouvernements se sont associés : que ce soit l’Appel de Paris sur la confiance et la sécurité dans le cyberespace, que ce soit le partenariat pour l’Information et la démocratie, que ce soit l’Alliance pour le multilatéralisme et bien d’autres encore.

Je vous demande donc de continuer à nous aider à construire, avec vos capitales, des solutions collectives, des solutions solidaires et inclusives et pour tirer ensemble toutes les leçons de la crise que nous traversons aujourd’hui.

Je vous donne donc rendez-vous le 11 novembre prochain et j’invite les pays que vous représentez à soutenir la coopération internationale et à la nourrir d’initiatives nouvelles, en ces temps où elle nous est particulièrement nécessaire.

Merci de votre attention./.

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