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Tribune : un plaidoyer pour l’annulation de la dette africaine

Publié le jeudi 7 mai 2020  |  Sud Ouest
Centre-ville
© aLome.com par Edem Gadegbeku & Jacques Tchakou
Centre-ville commercial de la capitale togolaise
Lomé, le 19 juin 2019. Centre-ville commercial de la capitale togolaise vu depuis le siège de la BIDC.
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Par Taieb Talbi, économiste franco-tunisien (1)


La pandémie du Covid-19 est la dernière en date des plaies de l’Afrique. Elle rend encore plus pertinente la cause de l’annulation la dette qui ronge le continent depuis plus d’un demi-siècle.

Les dirigeants africains ne s’y trompent pas. Ils ont demandé, le 31 mars dernier, une annulation totale des dettes auprès des grands bailleurs de fonds internationaux. Aucune aide extérieure ne saurait être à la hauteur des défis parmi lesquels le sauvetage de plus de vingt millions d’emplois, dont la perte irrémédiable est annoncée, si aucune intervention n’est engagée par les États aujourd’hui sans moyens appropriés.

L’histoire moderne et contemporaine de ce continent est enfermée dans ce labyrinthe dont la complexité ne fait que s’aggraver au fil des plans de développement ou des accords internationaux supposés résoudre les déséquilibres politiques, sécuritaires, économiques et sociaux. On assiste alors à fuite en avant qui précipite des peuples entiers dans une course destructrice dans laquelle l’endettement ne génère que plus que des dettes supplémentaires.

Une chute attendue de la croissance

La situation actuelle est telle que la croissance espérée pour le continent, affichée à un niveau de 3,4% pour 2020 deviendrait négative et tomberait, dans le meilleur des cas à – 1,1%. Tous les secteurs seraient touchés et les exportations chuteraient de 40% quand les importations s’effondreraient d’au moins 35%. L’heure est grave, et, sans réaction de la part des acteurs internationaux, c’est le monde entier qui suivrait l’Afrique dans sa chute.


Les accords d’indépendances sont autant de fondations de la dette africaine. C’est une réalité incontestable engendrée par le mécanisme financier international, outil de contrôle et de maintien en dépendance des nations du continent. Aujourd’hui, l’ONU demande l’annulation de 236 milliards de dollars. Ce montant parait presque insuffisant pour répondre aux besoins du sauvetage économique et humain face à la pandémie et la récession qui en découlera.

Des pays endettés jusqu’à 95 % du PIB

On peut le comprendre facilement quand on sait que l’endettement atteint par exemple 95% du PIB dans les pays de la zone subsaharienne. La seule suppression du coût représenté par le service de la dette libérerait, en fonds propres, plus de 44 milliards de dollars. Les investissements de la période coloniale n’ont pas visé le développement et le bien-être pur des autochtones, mais servi les logiques, les intérêts stratégiques et économiques des Occidentaux.

Les puissances colonisatrices, avant de signer les accords menant à l’indépendance, ont présenté une facture, la plus lourde possible, pour « compenser » le coût de ces investissements générant ainsi une dette odieuse supportée, encore aujourd’hui par les pays d’Afrique.

Égypte et Madagascar, les cas les plus graves

La création de cette dette artificielle est la mère de toutes les embûches placées sur la route de ces pays. Nombre d’entre eux sont techniquement en cessation de paiement. Les exemples de l’Égypte ou de Madagascar sont les plus graves avec plus de 100,8 milliards de dollars au titre des charges du service de la dette pour le premier pays, et 1,6 milliards de dollars pour le second, soit, pour chacun, un équivalent de 10% du PIB.

Il est alors primordial de baser la démarche de réduction ou d’effacement des dettes sur une méthode d’audit alliant impartialité, indépendance et compétence au travers d’études opérationnelles et financières aptes à prioriser et planifier les actions à entreprendre. La création d’un organisme panafricain d’analyse et de renégociation de la dette est d’une nécessité urgente.

Un moratoire partiel n’est pas suffisant

La réponse que le FMI, la Banque mondiale ou l’Union européenne ont apporté à l’initiative des chefs d’Etats est, à l’heure actuelle de proposer un moratoire partiel auquel de nouveaux prêts pourraient être adjoints. Les agriculteurs européens connaissent bien ce type de situation qui les conduit à la perte de leur outil de travail ou, pour certains, au suicide. Cette solution a été proposée à la Grèce avec les effets désastreux qu’on connaît. Ainsi, face à une dette odieuse d’une part, et, d’autre part une situation propre à faire imploser tout un continent, la réponse des organismes internationaux est indigne et quasi irresponsable.

L’inclusion d’un interventionnisme politique étranger et perpétuel dans la vie politique des pays du continent est un autre volet de la stratégie incriminable au sens où elle aura encouragé le comportement dévastateur et fratricide de bien des dirigeants africains belliqueux ou despotes qui ont si souvent joué contre leur camp.


«Qui perd l’Afrique perd le monde ! »

Pourtant, c’est un vrai « plan Marshall » de la dette qu’il faut mettre en place d’urgence. L’ancien président de Côte d’Ivoire Félix Houphouët-Boigny avait déclaré : « Qui possède l’Afrique possède le monde ». A contrario, il faudrait éclairer les décisions multilatérales de la maxime suivante : Qui perd l’Afrique perd le monde ! Le montant, les coûts de gestion et les intérêts de la dette africaine provoque une hémorragie infernale que rien ne semble vouloir stopper. En conséquence, cette dette est devenue si complexe et importante qu’elle n’est pas ou peu payée.

Pourtant, les accords internationaux ont été conçus d’une manière vertueuse en prévoyant qu’une part de 0,7% des budgets des signataires serait consacrée à l’aide aux pays pauvres. Ces engagements ne sont jamais tenus, et les pays « bénéficiaires », au nom de la coopération nord-sud, se retrouvent engagés dans des projets inutiles et coûteux. Parmi les États africains, certains sont structurellement défaillants et ne payent plus car la dette est astronomique face à la faiblesse de leurs ressources financières, de leur richesse nationale et du produit de leur balance commerciale.

Des Etats «vertueux» mais…

D’autres États plus vertueux, et ils sont encore les plus nombreux, ont la volonté de payer. Mais ils ne sont capables d’assumer que les charges de leurs dettes, et, dans le meilleur cas, 10% du principal. La charge de la dette est constituée des coûts supportés par les institutions internationales pour payer les organismes et personnes qui administrent les dossiers de la dette. C’est comme si un prisonnier était aussi condamné à payer tous les frais induits par sa détention sans avoir les moyens de gagner par son travail les moyens nécessaires. Sa libération serait inévitablement renvoyée aux calendes grecques.

«La dette, un un instrument de contrôle géostratégique»

Il est maintenant clair pour tous que la dette est un instrument de contrôle géostratégique dont le fonctionnement inique, mais visible, n’embarrasse pas les entités internationales. Si certains dirigeants africains ou européens ont trouvé des intérêts personnels dans ce fonctionnement, d’autres n’ont pas pris la mesure de la situation induite et ont fort certainement négligé des étapes importantes dans la gestion, pris qu’ils étaient dans des situations urgentes et difficiles.

D’abord, il faudrait que l’Afrique, d’une seule voix, s’entende avec le concours des entités internationales, sur l’effacement des dettes coloniales manifestement odieuses qui, dans l’absolu, ont déjà été largement payées et pour lesquelles les pays sont, semble-t-il, condamnés à une sorte de double peine, voire triple si l’on considère la période coloniale qui les a privés du bénéfice des ressources exploitées.

Une gestion panafricaine de la dette

Une organisation africaine pour la gestion de la dette pourrait traiter à tous les niveaux et d’une seule voix pour effacer, prioriser, planifier et compenser les dettes dans une démarche unique et mutualisée. Concrètement, il s’agirait, dans un premier temps, d’identifier clairement les dettes annulables comme celle qui doivent être considérées comme odieuses et héritées de la colonisation ou de la seule décision de dirigeants autoritaires hors processus démocratique.

Dans un second temps, il faudrait déterminer comment choisir les dettes qui peuvent être refinancées dans de meilleures conditions sur les marchés financiers à des niveaux plus avantageuses aujourd’hui que par le passé. Ensuite, il faut bâtir un rééchelonnement au moyen d’une révision des taux d’intérêts et de la charge de la dette. Enfin, la dette doit être convertie en projets de développement dans des domaines économiques importants comme le tourisme, l’industrie et la santé, entre autres.

Vers une unité de compte commune aux Africains

Pour parvenir à un tel résultat, il est indispensable que chaque État crée, au sein de ses services financiers, une cellule dynamique pour la gestion active de la dette extérieure. Sans oser encore parler d’un Fonds Monétaire Africain comme le suggérait l’ex-leader libyen, il semble presque incontournable de construire une unité de compte commune à tous les pays d’Afrique afin de rationaliser les échanges entre les bailleurs et débiteurs.

Dès lors, il devient évident que la dette globale des pays puisse être confortée par des garanties solides constituées principalement par les importantes et précieuses ressources naturelles du continent qui, selon les pays, se matérialisent déjà dans les revenus de créances au profit des marchés internationaux. Les créanciers veulent toujours le plus précieux au plus bas prix.

La garantie des ressources naturelles

Le monde entier dépend de l’Afrique. Énergie, ressources agricoles, matières premières pour les nouvelles technologies, la liste est sans fin. Si les ressources naturelles ne manquent pas en Afrique, la ressource humaine, elle, fait encore grandement défaut. Il conviendrait de constituer des équipes de haut niveau, rassemblant des experts de haut rang pour, d’une part, concevoir une doctrine de gestion de la dette dans un modèle économique autonome ; d’autre part, élaborer les institutions appropriées pour mettre en œuvre les remèdes à la division découlant des égoïsmes et intérêts particuliers d’entre les états africains.

«Des hommes neufs, des outils novateurs»

Combattre l’étouffoir de la dette demande, en priorité, la mobilisation d’hommes neufs et la création d’outils novateurs en rupture avec le consensus malheureux devant une dette ogresse. Il serait offert à l’Afrique de négocier à armes égales, ou presque, avec les grands pôles dominants et les grandes puissances économiques tout en organisant par elle-même ses équilibres régionaux. La priorité pourrait être accordée aux relations bilatérales en simplifiant les chaînes de décision et de responsabilité.

Enfin, il pourrait être offert, aux banques africaines, la possibilité de prendre des initiatives non contraintes sur les marchés internationaux et ainsi remplir efficacement leur rôle dans le financement des industries et du commerce.


L’auteur

Taieb Talbi, né en Tunisie, a longtemps travaillé dans les pays arabes. Spécialiste de la gestion de la dette souveraine des pays émergents, il est diplômé en gestion financière de l’université de Bordeaux. Franco-tunisien, il conseille plusieurs États, Banques centrales et multinationales en matière d’investissement, gestion d’actifs et allègement de la dette, notamment dans les pays du Maghreb.



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