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Regards critiques sur l’Ordonnance de mise en œuvre de l’état d’urgence au Togo (Une réflexion de Syril AGBLEGOE)

Publié le jeudi 14 mai 2020  |  Societe civile Media
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© aLome.com
Le Drapeau Togolais.
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Le Togo, comme d’autres Etats africains, a décrété un état urgence sanitaire dans le cadre de la lutte contre la propagation du Covid-19. La mesure qui le consacre est l’ordonnance d’avril 2020. Au moment où se déploient les dispositions prises par l’autorité sur la base de cette ordonnance, il y a lieu de s’interroger sur le texte même de l’ordonnance, notamment les procédures de son adoption.
Qu’en est-il également de son contenu vis-à-vis du respect des droits de l’homme et des libertés individuelles et collectives ? C’est le sujet de la nouvelle réflexion de Syril AGBLEGOE, Doctorant en droit et chercheur au Centre de Documentation et de Formation sur les Droits de l’homme (CDFDH). Lisez plutôt !





«Je ne dis pas qu’il ne faille pas défendre les droits individuels et notamment les « droits à ». Nous l’avons fait à de multiples reprises. Je dis seulement qu’il ne faut pas leur sacrifier les intérêts collectifs que l’État a vocation à sauvegarder». Cette affirmation d’un ancien Président de juridiction constitutionnelle lors qu’il faisait le « bilan », de l’œuvre accomplie sous sa présidence remet au gout du jour une question d’éternelle actualité, celle de l’équilibre entre la protection des droits individuels et la garantie des droits collectifs.

Le sujet prend une autre allure s’il est perçu au travers du prisme de l’actualité en lien avec la lutte contre le coronavirus. En effet la plupart des Etats touché par le COVID-19, à l’instar du Togo ont déclaré un état urgence sanitaire essentiellement caractérisé par un accroissement des pouvoirs de police et un confinement du régime juridique des droits et libertés consacré par la constitution.

Le 30 mars 2020, l’Assemblée Nationale togolaise a voté la loi N° 2020 -005 portant habilitation du Gouvernement à prendre par Ordonnance les mesures relevant de la loi. C’est ainsi que dans son adresse à la Nation du 1er Avril 2020, le Chef de l’Etat décrète l’état d’urgence sanitaire, qui sera sanctuarisé par l’Ordonnance d’Avril 2020 déterminant les conditions de mise en œuvre de l’Etat d’urgence au Togo, lui-même entériné par le décret N° 2020-024 portant déclaration de l’état d’urgence sanitaire.

Sur la forme et sans rentrer dans de stérile débat, il faudra tôt ou tard, clarifier les dispositions de l’article 86 de la constitution qui dispose que « la loi fixe les règles concernant (…) l’état de siège et l’état d’urgence » croisées avec celles de l’article 94 aux termes duquel « loi organique détermine les conditions de mise en œuvre de l’état de siège ou de l’état d’urgence » surtout que dans la situation actuelle, la loi organique est sinon inexistante, du moins introuvable.

Dans tous les cas, si on convient que ces mesures qui sont de l’ordre de l’exception, ont été prises en réaction à une situation tout aussi exceptionnelle induit par la pandémie du coronavirus, il est impérieux de jeter un regard critique sur les dispositions du régime d’exception, à l’aune de la maxime selon laquelle, « si l’état d’urgence sanitaire bouscule l’état de droit, il ne saurait pour autant pour autant le faire tomber ».

Il ressort donc des analyses, un élargissement des pouvoirs du Gouvernement justifié mais aussi une faiblesse du dispositif de contrôle de mise en œuvre de l’état d’urgence.

DES POUVOIRS ELARGIS MAIS JUSTIFIES


L’analyse des différentes mesures prises dans le cadre de la mise en œuvre de l’état d’urgence en riposte à la pandémie du Coronavirus, montre d’une part la volonté du Gouvernement togolais non seulement d’inscrire ses actions dans la légalité mais aussi de se donner tous les moyens pour faire face au phénomène. Toutefois il convient de prendre certaines mesures pour corriger les dérapages constatés sur fond de violation des droits de l’homme.

La recherche d’un fondement juridique aux mesures prises dans un contexte d’état d’urgence
La mobilisation de tout le système de santé pour combattre le Covid-19 est sans nul doute une réalité aujourd’hui. L’article 15 de l’Ordonnance déterminant les conditions de mise en œuvre de l’état d’urgence, sert de base juridique à l’ensemble de ces actions.

Elle dispose que « lorsque l’état d’urgence est décrété le ministre chargé de la santé, en relation avec le ministre de l’administration territoriale, mobilise l’ensemble des moyens sanitaires du pays, les biens et services utiles qu’ils soient public ou privés. Le ministre de la santé peut également prendre de telles mesures après la fin de l’état d’urgence sanitaire, afin d’assurer la disparition durable de la situation de risque de menace ou de crise sanitaire ».

A ces pouvoirs déjà étendus, s’ajoute celui qui permet au Gouvernement de faire des réquisitions. L’article 16 dispose en ce sens que « le ministre chargé de la santé mobilise toutes les structures hospitalières et le personnel médical placé sous son autorité. En cas de besoin il réquisitionne les structures sanitaires et le personnel soignant du secteur privé. Il réquisitionne également tous les biens et services nécessaires pour faire face au risque, à la menace, à la crise ou à la catastrophe sanitaire ». A partir de ce moment on peut comprendre et encourager par ailleurs les diverses mesures prises par le Gouvernement sur la base de ces dispositions au rang desquelles :

La Réhabilitation du CHR,
Le confinement des cas suspects dans un hôtel réquisitionné,
Le port de masque obligatoire pour le personnel de santé,
L’achat de matériel de médical,
Réquisition de la chloroquine disponible,
La fermeture des lieux de rassemblement, (écoles, universités, églises, mosquées
Interdiction de rassemblement de plus de 50 personnes
La libération de certains détenus et l’interdiction de visite à la prison civile de Lomé,
Le couvre-feu… etc
Il va sans dire que l’Etat togolais a pris à ce jour un certain nombre de mesures, d’une part en vue de contenir la propagation du virus puis d’autre part pour permettre aux personnes touchées par le virus de pouvoir accéder aux soins de santé.

Mesures d’état d’urgence et protection des droits de l’homme

Les mesures prises dans le cadre de l’état d’urgence ont des effets divers sur la situation des droits de l’homme. Si en ces périodes, les actions mises en évidence permettent d’assurer le droit à la vie et à la santé des populations, nombreux sont les droits de la personne qui sont malmenés par les mesures prises.

En effet , la mise en œuvre de l’état d’urgence sanitaire a entraîné entre autres la fermeture des frontières (atteinte à la liberté de circulation), l’instauration d’un couvre-feu entre 20h et 6h (atteinte à la liberté d’aller et venir), l’interdiction de l’exercice de certaines professions (atteinte à la liberté d’entreprendre) ; fermetures des lieux de cultes, et interdiction de rassemblement ( liberté d’association et de réunion), fermeture des écoles ( droit à l’éducation).

Ces mesures à priori liberticides sont pour le moins légales dans le cadre de l’état d’urgence. Et pour cause, l’article 17 de l’Ordonnance déterminant les conditions de mise en œuvre de l’état d’urgence au Togo délimite les prérogatives du Gouvernement en ce sens. Il dispose en effet que : dans les circonstances territoriales où l’état d’urgence sanitaire est déclaré, le Président de la République peut, par décret en conseil des ministres, sur le rapport du ministre chargé de la santé, aux seules fins de garantir la santé publique :

Restreindre ou interdire les circulations des personnes et des véhicules
Interdire les sorties de domicile
Ordonner des mises en quarantaine et les mesures de placement à l’isolement
Ordonner les mesures de fermetures des établissements
Interdire les rassemblements sur les lieux publics
Prendre toutes les mesures permettant la mise à disposition de médicaments appropriés pour l’éradication de la pandémie
Interdire aux personnes de sortir de leur domicile sous réserve des déplacements justifiés par des besoins familiaux professionnels ou de santé impérieux
Prendre des mesures temporaires de contrôle des prix de certains produits rendus nécessaires pour prévenir ou corriger les tensions constatées sur le marché de certains produits
Aussi larges soient-ils, les pouvoirs que disposent le Gouvernement en période exceptionnelle ne sont pas illimitées. Ils doivent être confinés dans le cadre stricte prévu par l’Ordonnance.

Ainsi ne saurait être admis, l’atteintes à l’intégrité de la personne, les tortures, les mauvais traitements, l’atteinte au droit à la vie observés dans la gestion du couvre-feu. Ces actes non couvert par les dispositions de l’état d’urgence doivent être condamnés et leurs auteurs réprimés conformément à la loi.

LA FAIBLESSE DISPOSITIF DE CONTROLE DE L’ETAT D’URGENCE


Les larges pouvoirs octroyés par l’Ordonnance de mise en œuvre de l’état d’urgence contrastent avec la faiblesse du dispositif prévue pour son contrôle.

Un contrôle parlementaire a minima


L’Ordonnance déterminant les conditions de mise en œuvre de l’état d’urgence prévoit un minimum de contrôle parlementaire : l’article 7 dispose que « pendant la durée de l’état d’urgence le Gouvernement informe régulièrement l’Assemblée nationale des mesures prises.
Dans la mémé période l’assemblée nationale peut requérir du Gouvernement la communication de tous les documents et de toute information complémentaire qu’elle juge utile dans le cadre du contrôle et de l’évaluation des mesures prises.

En cas de communication de documents ou d’informations, classifiées ou couverts par le secret défense, les débats de l’Assemblée nationale se déroulent à huis clos et les députés qui y participent sont tenus par le secret des délibérations sous peine de poursuites conformément aux dispositions du code pénale» ; Ainsi libellé, la générosité de cette disposition en faveur du contrôle et de l’évaluation des mesures prises en état d’urgence pèche en ne rendant pas obligatoire les transmissions de document à l’Assemblée nationale. Le texte l’article 7 suppose un travail supplémentaire de sorte que les parlementaires doivent d’une part, savoir ce qu’ils cherchent et d’autre part et où le trouver. Il serait judicieux que la transmission soit automatique que ce soit pour les mesures réglementaires adoptées par le Gouvernement que pour les mesures locales et même pour les mesures individuelles.

Ceci d’autant plus que la configuration actuelle saisie par le fait majoritaire aura naturellement tendance à plus accompagner les actions du Gouvernement qu’à véritablement les contrôler.

Par ailleurs, au-delà du dispositif spécifiquement consacré par l’Ordonnance pour le contrôle de l’état d’urgence sanitaire, le droit parlementaire fournit plusieurs instruments qui permettent d’assurer l’information du Parlement dans le cadre de sa mission de contrôle de l’action gouvernementale, étant donné que l’Ordonnance ne les exclus pas expressément.

Ainsi les parlementaires ont deux possibilités. Ils peuvent d’une part mettre en place des commissions ad hoc ou des commissions d’enquêtes qui ont justement l’avantage de disposer d’un certain nombre de pouvoir en matière d’investigation. Ces commissions pourront alors se saisir des différentes violations des droits de l’homme évoquées lors de la mise en œuvre du couvre-feu.

La seconde possibilité concerne la mise en orbite des commissions permanentes qui assurent déjà un contrôle de droit commun. On peut donc espérer que la commission des droits de l’homme se saisissent des cas de violations des droits de l’homme, auditionne le cas échéant, le ministre en charge de ce département, et situe les responsabilités.

Un contrôle juridictionnel en débat

L’Ordonnance déterminant les conditions de mise en œuvre de l’état d’urgence est restée muette sur le contrôle juridictionnel des différentes mesures prises. Cet état des choses appel deux commentaires : soit ces actes jouissent d’une immunité juridictionnelle totale, ce qui serait quand même curieux, soit les juridictions de droit commun sont compétentes de plein droit. C’est dans ce sens qu’il faudra l’interpréter. Dans une perspective de révision de cette Ordonnance, il serait intéressant de prendre exemple sur d’autres pays qui y ont intégré la mention suivante : « les mesures prises en application du présent chapitre peuvent faire l’objet de recours devant le juge administratif et le juge judiciaire » soit prise en compte lors de l’amendement du l’Ordonnance sur l’état d’urgence au Togo.

... suite de l'article sur Autre presse

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