En marge des obsèques du président français Jacques Chirac fin septembre 2019, le journaliste français Jean Jacques Bourdin et un de ses confrères se sont fendus d’un billet pimenté avec assez d’humour sur certains dictateurs africains qui se sont invités à cette cérémonie.
Les deux journalistes ont étrillé Obiang N’Guema Mbassogo de la Guinée Equatoriale, Denis Sassou N’Guesso du Congo Brazzaville et Faure Gnassingbé du Togo. Le billet retrace l’histoire de chacune de ces familles installées au trône par la France, leur gestion patrimoniale du pouvoir, des ressources de l’Etat et les faits d’arme de leurs progénitures. Le billet a rappelé les exploits de la famille Gnassingbé, accusée par les USA d’être fortement impliquée dans le trafic de drogue depuis des années. Allusion faite au bateau Pitea bourré de plusieurs tonnes de drogue arraisonnée en 2004 au large des côtes togolaises. Et depuis, la vidéo de ce billet est devenue virale sur les réseaux sociaux.
La réputation du régime cinquantenaire togolais en matière de trafic de drogue et ses relations incestueuses avec les narcotrafiquants relèvent d’un secret de polichinelle. Si l’affaire du bateau Pitea a été le scandale le plus retentissant impliquant les hautes autorités du pays et leurs proches, le rapport du général Zoumaro Gnofam sur la drogue au Togo nous renseigne sur l’ampleur de cette activité criminelle aux ramifications dans tous les secteurs, y compris surtout l’armée. Cette sulfureuse réputation continue de faire le tour du monde entier.
Saisie de 4 tonnes de cocaïne au Venezuela à destination du port de Lomé
L’information a fait le tour de tous les médias du monde. Plusieurs ont rapporté la saisie record d’une cargaison de drogue en direction du port autonome de Lomé par les agents des douanes et de la marine de l’Uruguay le 27 décembre dernier à Montevidéo. « Quatre (4 ) tonnes de cocaïne de très bonne qualité dissimulée dans 4 conteneurs au port de Montévidéo d’une valeur marchande de près d’un milliard de dollars à destination du port de Lomé au Togo », ont rapporté les médias locaux qui ont précisé que « la cocaïne était dissimulée dans de la farine de soja». C’est l’une des plus importants saisies opérées par l’Uruguay, ont indiqué les responsables de ce pays d’Amérique du Sud devenu un point de départ des tonnes de drogue en direction des Etats de l’Afrique de l’Ouest qui servent de transit vers l’Europe.
Si l’affaire a fait grand bruit dans les médias du monde, surtout au vu du poids énorme de la cargaison, au Togo, pays de destination connu pour être depuis des années un pôle de trafic, c’est le silence radio de la part des autorités politiques et judiciaires.
Le poids de la marchandise ainsi que la valeur marchande donnent une idée précise des acteurs étatiques qui peuvent être impliqués dans ce trafic. A qui était donc destinée cette cargaison qui devait arriver au port de Lomé ? Quelle était la destination finale de cette marchandise ? Le Togo qui dit avoir souscrit à plusieurs mécanismes de lutte contre le trafic de drogue et le blanchiment d’argent a-t-il ouvert une enquête interne pour savoir à qui était destinée cette cargaison de drogue ? Le pouvoir de Lomé a-t-il envisagé une commission rogatoire, ou du moins sollicité l’appui des partenaires comme la DEA pour démanteler ce réseau ?
Autant de questions sans réponses. Un détail non moins important : « La cocaïne était dissimulée dans de la farine du soja ». Le Togo importe-t-il de la farine du soja et dans quelle proportion ? On ne saurait le dire pour le moment. Par contre le Togo exporte du soja. Une petite investigation permet de savoir que le pays exporte plus de 120 000 tonnes de soja par an et les acteurs de cette filière sont aussi divers que certains sont proches du pouvoir et bénéficient de toute la protection qui va avec. Cette filière dissimule-t-elle d’autres activités non visibles ? On ne saurait le dire pour l’instant.
Le pavillon togolais et les activités criminelles en haute mer
La polémique sur les 4 tonnes de cocaïne en direction du port de Lomé ne s’est pas encore estompée que le nom du Togo est de nouveau associé à un autre scandale de 4 tonnes de drogue saisies en haute mer par la police espagnole le 27 avril 2020. « La police espagnole a annoncé mardi 28 avril le démantèlement en Galice (Nord-Ouest) d’un réseau qui récupérait de la cocaïne en haute mer auprès des trafiquants internationaux, une opération qui s’est soldée par 28 arrestations et 4 tonnes de drogue saisies. Les enquêteurs, aidés par l’agence anti-drogue américaine DEA et les forces de l’ordre britanniques ou colombiennes avaient été prévenus de l’arrivée d’un bateau transportant la drogue. Battant pavillon togolais, ce navire qui était en mer depuis vingt jours a été intercepté à vingt miles nautiques des côtes de Galice avec quatre tonnes de cocaïne à bord».
On ne compte plus les scandales, les activités criminelles (drogue, migrants, armes, etc.) dans lesquels les navires battant pavillon togolais sont impliqués. Le phénomène a pris tellement d’ampleur qu’en 2016, mis au banc des accusés, le gouvernement togolais s’est engagé à rayer de ses registres d’immatriculation des bateaux battant pavillon togolais impliqués dans ces actes criminels. Plus de 4 ans après cette annonce et vu le nouveau scandale impliquant un navire battant pavillon togolais au large des côtes espagnoles, tout porte à croire que le nettoyage promis n’a pas eu lieu ou certains navires ont échappé à cette remise à l’ordre.
Pourquoi le régime togolais accepte-t-il d’immatriculer en masse des navires dont les propriétaires sont de moralité douteuse ou se livrent à des activités criminelles ? Cette histoire d’immatriculation de navire est un business juteux pour les tenants du régime de Lomé, notamment ceux en charge de la Direction des affaires maritimes, de la Préfecture maritime et tous ceux qui rôdent autour du port de Lomé. Derrière les discours pompeux de lutte contre la piraterie maritime, les sommets qui engloutissent des milliards, se cachent une réalité beaucoup plus sombre dont seules les autorités togolaises ont le secret. Drogue, activités criminelles, trafic de carburant toxiques, les vagues des eaux profondes des côtes togolaises engloutissent bien des secrets.
Complaisance de la fameuse communauté internationale
En 2004, Jacques Chirac, ami personnel du général Gnassingbé Eyadema et soutien indéfectible du régime togolais, s’est investi personnellement pour étouffer le dossier Pitea. Dans le rapport aux mains des autorités françaises et américaines, on peut facilement lire les aveux des soldats togolais arrêtés et interrogés sur place alors qu’ils étaient venus récupérer la marchandise. De Paris à Washington en passant par Bruxelles, les dirigeants de ces pays savent mieux que quiconque ceux qui font le trafic de drogue au Togo dans le cercle du pouvoir et les milliards que cela rapporte.
Les régimes autoritaires et autocratiques, en dehors de la main mise sur les ressources du pays, se livrent généralement à des activités mafieuses pouvant générer une fortune qui permet de maintenir le système en place par la corruption. Celui en place au Togo depuis plus de 50 ans est fondamentalement ancré dans cette pratique.
Les fonds colossaux générés par ces activités peu recommandables servent souvent à organiser les élections frauduleuses, acheter les observateurs, corrompre les opposants, acheter le silence des diplomates, de la communauté internationale et les chefs d’Etat de la région. Dans un rapport indépendant rendu public en juin 2014 par la Commission ouest-africaine sur les drogues présidée par Olusegun Obasandjo, ancien président du Nigéria, il est mis en relief le lien entre les Etats et certains réseaux de trafiquants de drogue qui ont pris en otage les institutions de la République, notamment l’armée, la justice voire le pouvoir exécutif. Ce travail financé par l’Union européenne et les Nations unies s’alarmait déjà non seulement de la déstabilisation des Etats par le trafic de la drogue, mais aussi de la récupération de cette activité criminelle par les réseaux terroristes, comme c’est actuellement le cas au Sahel.
En abordant le sujet du trafic de la drogue au Togo publiquement sur RMC en septembre 2019, au-delà de la raillerie, Jean Jacques Bourdin et son confrère viennent rappeler au monde entier l’hypocrisie de la communauté internationale, mieux, leur complicité avec des régimes peu recommandables qui se livrent à des activités criminelles avec le sceau de leur Etat. Le silence sur le scandale des 4 tonnes de cocaïne en direction du port de Lomé saisies à Montevideo en est une illustration.