L'ancien secrétaire d'État à l'Intégration de François Mitterrand dénonce la polémique actuelle qui vise à accréditer l'idée que la France serait un pays raciste.
Il a été le premier maire noir élu dans l'Hexagone, à la tête de la petite commune bretonne de Saint-Coulitz dans le Finistère. Il fut aussi le premier Africain naturalisé français à siéger au gouvernement, comme secrétaire d'État aux Affaires sociales et à l'Intégration, sous François Mitterrand. Après une carrière comme député et conseiller général, ce proche de Richard Ferrand – l'actuel président de l'Assemblée nationale fut son collaborateur –, septuagénaire, deux fois père et quatre fois grand-père, coule une retraite paisible chez lui, en Bretagne.
Alors que la polémique sur les violences policières cible un racisme français, celui qui, né à Bassar au Togo, a été naturalisé français à l'âge de 32 ans en récuse l'idée, défend une République française « inclusive », et condamne avec fermeté les prises de position de personnalités comme le comédien Omar Sy ou l'écrivaine Virginie Despentes. « Maintenant, il faut parler », nous a dit Kofi Yamgnane, désolé de la confusion actuelle du débat, en répondant à notre sollicitation.
Le Point : La France de 2020 est-elle un pays raciste ?
Kofi Yamgnane : Non, non, non ! Pas plus en 2020 qu'auparavant. Nous n'avons aucune institution, aucun organisme, aucune loi qui prône la ségrégation raciale. Intrinsèquement, la République française est une République inclusive. Mais avoir la nationalité française, cela se mérite. Il faut être plus blanc que blanc. N'avoir rien à se reprocher. Connaître la littérature française. Ce n'est pas donné d'être français.
Est-ce une bonne ou une mauvaise chose ?
Une bonne chose ! Un pays est souverain. C'est lui qui établit ses lois, qui propose un contrat à celui qui veut faire partie de cette communauté. Si vous souhaitez devenir citoyen, voter, vous devez vous conformer à ce que vous propose votre pays. Il faut se montrer digne d'avoir la nationalité. Je suis arrivé en France en 1964 en venant du Togo à 18 ans pour étudier à l'École des mines de Paris, et j'ai obtenu la nationalité en 1977.
Cette carte d'identité, on me l'a donnée de façon incroyable. Après des démarches qui ont duré un an, j'ai reçu dans ma boîte aux lettres une enveloppe Kraft où il était simplement écrit : «À partir de maintenant, vous êtes français. » Quand je suis devenu secrétaire d'État à l'Intégration, j'ai institué une cérémonie au moment de l'attribution de la nationalité. Pour moi, il était important que ce moment soit solennisé.
Que pensez-vous de ces mouvements de «racialisme» et d'«indigiénisme» qui se manifestent bruyamment dans la société française ?
Tout cela n'a aucun sens. Je veux bien croire que l'accueil des travailleurs qualifiés en France n'est pas bon. Aucun Malien, aucun Togolais, aucun Tchadien ne vient pour envahir la France. Ils suivent tous des projets individuels. Mais, quand ils arrivent, la République les met dans des départements, des quartiers où ils se regroupent. Tout cela n'a aucun sens.
Nous n'agissons pas bien avec eux. Il faut laisser les gens s'installer où ils veulent et, surtout, faire en sorte qu'ils se mélangent. Avoir fait des études d'ingénieur, m'être marié avec une Bretonne, être baptisé et avoir passé mon enfance à la campagne ont favorisé mon intégration. Je ne comprends pas que des ressortissants étrangers puissent décider de se regrouper entre eux en excluant les autochtones.
Le Cran, les Indigènes de la République, tous ces mouvements, je ne les comprends pas. La lutte contre le racisme est devenue une légitimation du communautarisme.
Or, la République ne reconnaît pas le communautarisme mais les individus. Le racisme est une idéologie, une posture qui va à l'encontre des principes de la République. Tous les Français qui sont dignes de la République doivent combattre cela. On ne peut pas lutter contre le racisme par des combats particularistes. Nous ne pouvons pas vivre ensemble en renonçant à la mixité sociale et raciale. Sinon, on se regarde en chiens de faïence, comme cela se passe actuellement. Il faut que les étrangers qui viennent en France entrent de plain-pied dans la société française, qu'ils en acceptent les lois, je le dis en particulier pour mes compatriotes musulmans : la loi de la République est supérieure à celle d'Allah !
Avez-vous lu la tribune d'Omar Sy dans L'Obs dénonçant les violences policières en France, liées au racisme ?
Oui, je l'ai lue et je la trouve très exagérée. Il est dommage qu'Omar Sy se soit laissé aller à une telle polémique. Il ne fait pas mieux qu'Éric Zemmour, qui souffle sur les braises et allume des incendies. Si l'on continue ainsi, on ne réussira jamais à vivre ensemble. Évidemment qu'il y a des racistes en France, mais comme au Togo ou en Algérie…
Et des racistes, on en trouve dans tous les corps de métier. Au nom de quoi la corporation des policiers échapperait-elle à une telle dérive ? Les policiers et les gendarmes ne sont pas des extraterrestres. On trouve parmi eux des racistes comme ailleurs. Comme ils sont les bras armés de l'État, ils doivent dans leur formation recevoir des cours de déontologie poussés, ils se doivent d'être des personnes d'élite. Maintenant, comment peut-on affirmer que la police française est raciste ? Il faut souligner la gravité de cette accusation.