Par Sylvain Félix Semilinko
Ancien directeur de BBC Afrique, consultant
En Afrique, l’hôpital n’est pas une priorité pour nos gouvernements. Exigeons d’eux la mise en place d’un système de santé digne de ce nom.
Plusieurs mois durant, l’Afrique s’est targuée d’avoir déjoué les pronostics les plus pessimistes. D’un bout à l’autre du continent, l’on se réjouissait que le coronavirus n’y ait pas fait les ravages attendus. « C’est parce que Dieu aime l’Afrique ! » entendait-on ici et là.
L’on savait néanmoins qu’il ne fallait pas crier victoire trop vite, que rien n’était encore gagné, que le tsunami annoncé n’avait certes pas eu lieu, mais que la pandémie progressait.
Les chiffres rendus publics au début de juillet par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) le confirment : en moins de cinq mois, le Covid-19 a fait près de 15 000 victimes (un bilan désormais plus lourd que celui causé par Ebola en Afrique de l’Ouest entre 2014 et 2016), et plus de 600 000 cas ont été répertoriés.
Ne pas baisser la garde
Bien sûr, certains pays sont plus touchés que d’autres : l’Égypte, l’Afrique du Sud, le Nigeria, le Ghana ou encore l’Algérie, qui totalisent 42 % des cas de Covid-19 sur le continent.
Mais alors que plusieurs pays ont déjà annoncé un allègement des mesures de confinement, il est impératif de ne pas baisser la garde si l’on veut éviter que le continent ne devienne un nouvel épicentre de la pandémie : beaucoup de nos pays ne pourront pas faire face.
Car malgré les slogans enthousiastes, malgré la multitude de schémas de développement qui nous sont proposés depuis des décennies, l’Afrique patine. Elle aime revendiquer haut et fort sa souveraineté, surtout quand la communauté internationale met le doigt – de manière aléatoire et souvent hypocrite – sur les égarements et les turpitudes de ses dirigeants.
Mais les progrès sont décevants, et nos systèmes de santé pas en mesure de faire face à un déferlement de cas de Covid-19.
J’en veux pour preuve le fait qu’en pleine crise sanitaire, et alors que l’Europe s’épuisait à contenir le virus et le nombre de victimes, c’est quand-même là-bas que des personnalités africaines de premier plan ont choisi d’aller se faire soigner – à commencer par le Premier ministre ivoirien, Amadou Gon Coulibaly, qui a finalement succombé à des problèmes cardiaques le 8 juillet à Abidjan.
C’est aussi là-bas que sont décédés, en pleine épidémie, les anciens Premiers ministres togolais Edem Kodjo (après neuf mois d’hospitalisation) et Apollinaire Yaovi Agboyibor.
Saluons leur mémoire, mais osons poser la question : devons-nous constater et accepter, avec fatalisme, que nous n’avons tout simplement pas les infrastructures sanitaires suffisantes pour prendre en charge les pathologies les plus sérieuses ?
Ballet des évacuations sanitaires
Pouvons-nous continuer de nous cacher derrière le fait que nous ne sommes indépendants «que» depuis soixante ans pour justifier l’absence de plateaux techniques et l’insuffisance du nombre de places en réanimation, et pour expliquer que nos services d’urgence ressemblent à des mouroirs ?
Alors oui, nos moyens sont limités, nous avons des lacunes en matière de formation et de recherche, et nous sommes quasiment absents des grands raouts scientifiques internationaux. Mais devons-nous nous satisfaire de la manière dont nos dirigeants utilisent les maigres ressources dont nous disposons ? La réponse est non.
Beaucoup d’entre eux préfèrent observer le ballet des évacuations sanitaires vers l’Europe, l’Afrique du Sud ou le Maghreb, les laisser devenir un business à part entière, plutôt que de réfléchir aux modalités de mise en place d’infrastructures hospitalières durables.